Le constat sur les performances financières depuis le début de l'année ne s'arrête pas à la hausse des actions américaines, la chute des chinoises, des cas particuliers comme la Turquie ou le Brésil, et des performances médiocres des autres Bourses. Il y a une classe d'actif qui semble en panne depuis six mois au moins autant que les actions européennes ou japonaises. Il s'agit des obligations d'État et, en conséquence, des dettes des meilleurs emprunteurs privés.
Les rendements des emprunts de référence à 10 ans n'ont pratiquement pas bougé depuis mai pour ce qui concerne les États-Unis, la France ou même le Royaume-Uni. Ils ont très légèrement remonté au Japon et ont rendu des fractions en Allemagne pour retrouver le taux de la fin 2017. En prenant justement en référence le Bund, les écarts de rendement avec les pays dits périphériques de la zone euro sont également stables depuis mars, à l'exception de l'Italie en raison des incertitudes politiques sur son budget et, dans une mesure limitée du Portugal. On peut presque faire un constat du même type pour les dettes émergentes en général : les ajustements se sont surtout opérés sur le change et l'indice JP Morgan de la dette émergente n’a rendu que 3,4 % en sept mois.
La stabilité et même l'apathie apparente des marchés de taux est un peu un paradoxe face à une actualité internationale chargée en tensions diverses. La géopolitique au Proche-Orient – qui n'est pas une nouveauté -, mais aussi le thème protectionniste aux États-Unis découlant du soutien budgétaire à l'activité, l'installation d'une coalition des extrêmes en Italie, sont des facteurs de déstabilisation au moment où les politiques monétaires divergent.
D'un côté la Réserve Fédérale poursuit sa normalisation et est suivie par la Banque Centrale Européenne. De l'autre, la Banque Populaire de Chine y a complètement renoncé et est entrée dans sa quatrième phase d'assouplissement depuis 2008 pour, suivant l'analyse des spécialistes de CPR « limiter l'impact récessif sur l'activité réelle de la politique de désendettement mise en place depuis plusieurs trimestres ». Enfin la Banque du Japon reste très accommodante au-delà d'aménagements techniques d'application.
Dans un contexte général d'inflexion de la croissance mondiale qui sera voisine de 3 %, cette année malgré le soutien américain (avec un PIB qui progressera de près de 3 %), les divers facteurs de risque ont au final provoqué une « fuite vers la qualité » d'une ampleur plutôt limitée sur les emprunts allemands et sur les Treasury Bonds.
Cette stabilisation des marchés de taux correspond à celle de l'inflation. La dérive des prix est stabilisée un peu partout, et recule même un peu au Japon. Pas besoin de se limiter aux données sous-jacentes. Pour les chiffres effectifs, on observera que le pétrole – dont le cours a des supports géopolitiques et est soutenu par les accords OPEP-Russie - est pratiquement la seule matière première à afficher une hausse depuis le début de l'année. L'effet pétrole diminuant mécaniquement, la convergence de dérive des prix un peu au-dessus de 2 % cette année pour les pays développés et la Chine devrait se poursuivre en 2019 un peu en deçà de ce seuil, toujours à l'exception du Japon qui a du mal à s'extraire des 1 %.
Ainsi, la conjoncture financière de mer d'huile reflète ces données de croissance et d'inflation ainsi que la visibilité de la stratégie des banques centrales, en s'affranchissant des facteurs de tensions et de risques.
Les flux sur les marchés obéissent à cette logique. Malgré un solde qui redevient positif pour Wall Street, les fonds actions présentent un désinvestissement global alors que les souscriptions gonflent encore l'encours obligataire.
Est-ce que cette situation des marchés de taux peut durer longtemps ?
Au-delà des statistiques d'inflation, on doit observer l'effet de surplace des taux longs face à une remontée des taux directeurs. La hiérarchie des rendements américains en fonction de la durée (la courbe des taux) s'est presque effacée : 2,83 % pour le T-Bond à 2 ans, 3 % pour le 10 ans. Un écart de 0,30 % n'est pas exceptionnel dans les périodes de relèvement de la Fed et, au fil des cycles, il peut passer dans le négatif (courbe inversée). Cela posé, sans être annonciateur de récession, une courbe « aplatie » plaide pour une inflexion de la croissance américaine. Le scénario cadre bien avec les effets d'un reflux suivant le stimulus fiscal de cette année.
Il y a là un frein qui subsiste aux pressions à la hausse des taux longs que les États-Unis et leur croissance durable vont cependant exercer de toute façon.
Aujourd'hui, il n'y a qu’aux États-Unis que les obligations rapportent plus que les actions sur le critère du rendement. La situation dure cependant sur les autres marchés sans rattrapage. La stabilité des indices malgré cet avantage d'ordre fondamental prend de fait en compte les risques. Ce n'est pas spectaculaire, mais bien réel. L'ajustement passera par les devises et c'est l'évolution dollar qui devrait permettre de juger de la direction que prendront les Bourses, en particulier européennes dans la sortie de la période de surplace.