L'inflexion de la croissance mondiale, mais aussi la durée exceptionnelle de la hausse des Bourses – le Bull market le plus long de l'histoire selon les spécialistes d'Invesco – pousse les gérants d'actifs à s'interroger sur une rotation au sein des portefeuilles. À la recherche de valeurs décotées, on constate deux grandes classes d'actifs qui peuvent paraître sous-valorisées. Il s'agit des valeurs moyennes des grands marchés et de la classe émergente prise globalement.
Les sujets sont bien différents au moins en apparence. Du côté des émergents, des chocs géopolitiques (y compris la guerre commerciale), les conséquences sur les taux et les changes de la politique de la Réserve Fédérale américaine pèsent; de celui des Midcaps, la classe d'actions semble globalement portée par un cycle économique fort et supérieur au potentiel dans les pays développés, offrant des effets de levier de croissance et de marge.
Dans les deux cas cependant, il n'est pas forcément cohérent de raisonner en classe d'actifs, - les ensembles sont très disparates - les investisseurs se sont montrés discriminants cette année en matière de secteurs d'activité et les profils sont très différents d'un marché à l'autre, d'un secteur à l'autre, d'une valeur à l'autre. Cependant, dans un monde de la gestion d'actifs marqué par les flux en direction de la gestion passive – pas mal indicielle – les performances agrégées dictent une tendance. Depuis 2009, au plan mondial, les flux vers les fonds actions enregistrent un apport positif de 2.500 milliards de dollars pour la gestion passive alors que les flux sont négatifs de 2.000 milliards pour les fonds de gestion active.
Au palmarès des indices, l'indice MSCI Émergent recule de 15 % depuis le début de l'année et de 23 % depuis la fin janvier. Les indices de petites et moyennes valeurs européennes cèdent de 8 à 20 % par rapport à la fin décembre.
La désynchronisation des marchés touche particulièrement ceux jugés les plus risqués, en particulier si les performances passées ont été (très) bonnes : si les Midcaps et les émergents baissent, c'est que les cours anticipaient beaucoup. Cela n'a rien d'anormal. Les investisseurs se positionnent progressivement pour faire face à une fin de cycle.
Le contexte est contrarié par la relance fiscale américaine, mais la croissance mondiale se stabilise pas loin de 3 %, un rythme qui se modère. Au-delà du court terme, les économies vont converger vers une croissance moins forte, même si elles vont le faire en ordre dispersé.
Aux tensions plutôt normales à ce stade du cycle, se sont ajoutées, pour les émergents, celles provenant de la guerre commerciale engagée par l'administration américaine et, plus largement, des incertitudes géopolitiques. On avait observé une inflexion du commerce mondial avant l'entrée en action de M. Trump. Les échanges ne sont plus le moteur de l'expansion générale, mais sur le niveau des 3 % ou un peu au-dessous des 3 %, on se situe loin d'une récession de l'économie de la planète.
Ce qui pèse sur les Bourses émergentes, c'est plus la conjonction d'un pétrole cher, qui amplifie la réduction de la croissance des bénéfices, et la rupture monétaire dans la gestion de la Fed. Les indices émergents ont offert depuis plus de 15 ans une corrélation très forte avec les profits des sociétés et le repli de cette année est avant tout fondamental : les investisseurs ont révisé les flux de résultats à moyen terme. La modération du cycle et la hausse du baril – largement la conséquence de données géopolitiques – opèrent une sorte d'effet de ciseau.
La reprise de liquidités par la Réserve Fédérale et la hausse des taux directeurs marque par ailleurs le début d'une donne vraiment modifiée du côté des émergents. 2019 sera une année de QE à l'envers sur le total des bilans des grandes banques centrales. Taux plus élevés, bénéfices et impôts qui se réduisent, cela signifie moindre capacité de couvrir les remboursements ou de rouler les dettes. La spirale est bien connue : balances des paiements qui se détériorent du fait du rapatriement des devises de la part des grandes gestions, puis montée des taux directeurs pour contrer, ce qui entraîne la croissance vers le bas. On doit cependant observer que la chute des devises a été concentrée sur les pays présentant des déséquilibres financiers (solde courant) et/ou des risques politiques : Argentine, Turquie, Brésil, Afrique du Sud, Russie, …
Les vrais chocs sont assez circonscrits, mais l'ensemble des dettes émergentes qui a été sanctionné avec un écart de taux par rapport à une moyenne mondiale qui s'est accru cette année de 1 % pour s'approcher de 6 %.
C'est finalement la dette émergente davantage que les actions qui paraît ainsi l'opportunité value, à la condition d'éviter les pays à risque avéré. Cependant, aussi bien les Bourses que l'obligataire de la classe émergente sont avant tout sous une influence : celle de la Chine. On sait que l'Empire du Milieu est sur une position vulnérable dans les négociations commerciales (et sur le change) vis à vis des États-Unis : elle y exporte son PIB et le ratio inverse plafonne à 1 %. Mais le Parti Communiste a les moyens de tenir son objectif de 6 % de croissance annuelle. Les marges de politique monétaire commencent seulement à être mobilisées et, si les chiffres de dette privée peuvent donner le tournis, on doit considérer que la Chine présente des ratios d'endettement global (public-privé) qui sont simplement dans les ratios des pays développés. Ce qui n'est pas anormal pour la deuxième économie mondiale.
Au total, la décote apparente des actions émergentes a des raisons fondamentales qui ne conduisent pas à considérer aujourd'hui globalement la classe d’actifs. Il n'en est pas de même pour les marchés obligataires qui pourraient amortir une tendance médiocre des marchés de taux des grandes devises. Reste la question value des Midcaps. C'est un autre sujet à l'évidence. Mais il y a des points communs. En premier lieu, c'est la politique monétaire de la Fed et des autres grandes banques centrales qui vulnérabilise les cours : les dettes accumulées sur les sociétés de taille moyenne au travers des montages de Private Equity devront continuer à s'amortir par des cessions qui pèsent sur les ratios de valorisation. Le deuxième point commun est la révision à la baisse des estimations de profits à venir dans une conjoncture de fin de cycle. Le troisième point est plus encourageant : les potentiels doivent se juger cas par cas, société par société, et il en existe qui sont à mettre à profit sur les émergents comme sur les Midcaps des pays de l'OCDE. Cependant, ces niches sont loin des flux qui vont vers les gestions passives.