Le coup de politique international tenté par M. Macron à l'occasion des cérémonies commémorant l'armistice de 1918 n'est, dans un premier temps pas vraiment une réussite. Profitant de la présence de nombreux chefs d’État, le « Forum pour la paix » a été lancé dans la foulée de la prise d'armes, avec l'ambition de « rassembler tous ceux, États et société civile, qui croient encore que l’action collective, le multilatéralisme et la bonne régulation des biens publics mondiaux est notre seule chance de relever les défis communs et de maintenir la paix. » L'intention est évidemment louable, mais on aura remarqué dans la séance d'ouverture l'absence du président des États-Unis, du Premier ministre britannique, du secrétaire général du Parti Communiste chinois, du président Brésilien, du président indonésien et du Premier ministre Australien. Si on ajoute le service minimum assuré par M. Poutine, cela fait une liste qui compte.
Le rendez-vous annuel que veut être ce forum a été monté un peu sur le modèle des épisodes des COP (Conference of the Parties) qui tentent d'établir des engagements mondiaux en matière d'environnement. Dans les deux cas, il s'agit de prolonger ou de suppléer l'ONU. Dans les faits, l'initiative du président français est une nouvelle tentative pour regrouper des pays autour de règles communes à ce qu'on appelle « la communauté internationale ». En d'autres termes, de donner un nouvel élan au multilatéralisme de coopération international.
L'ONU n'est pas le dépositaire unique de cette notion de multilatéralisme. Les institutions de monétaires et celles qui tentent de réglementer le commerce, issues elles-aussi des conférences d'après-guerre, font partie de ces organisations supranationales dont le Président français veut préserver les pouvoirs.
Des pouvoirs qui ont bien évolué depuis 1991 et la dissolution du pacte de Varsovie. Les accords de commerce du GATT devenu OMC ou les pouvoirs du FMI sont progressivement passés d'un périmètre limité au monde occidental à une vision planétaire, incluant la Russie et la Chine.
L'ambition de gouvernement mondial se heurte à la réalité des poids démographiques, économiques et militaires des pays et l'administration américaine du président Trump ne fait que mettre en évidence l'intention d'être un cas à part dans cette fameuse « communauté internationale ». Le multilatéralisme n'a jamais visé à équilibrer le poids des pays, mais simplement à tenter de trouver des règles communes à partir de l'agglomération des intérêts particuliers des uns ou des autres.
Les États-Unis jouent le jeu aussi loin que c'est leur intérêt. On en a eu des preuves multiples en matière géopolitique : ils appliquent les résolutions de l'ONU tant qu’elles vont dans leur sens, s'asseyent dessus ou s'en passent dès lors que ce n'est pas le cas. On voit aujourd'hui qu'il en est de même en matière économique : la mondialisation a profité à leur économie et à leurs multinationales, mais aujourd'hui ils veulent imposer des limites. La Chine n'a pas une vision égoïste vraiment différente même si elle prend plus de gants avec les structures.
C'est donc en parfait accord bilatéral que les États-Unis ont révisé les termes de leurs échanges commerciaux avec le Mexique et le Canada. Ils débordent très largement avec la Chine : à l'occasion du G20 de Buenos Aires à la fin du mois, les deux principales puissances économiques mondiales ne vont sans doute pas trouver d'accord. Mais ce G20 sera l'occasion de fixer le cadre d'une négociation dans laquelle les autres pays et les organisations supranationales seront exclues.
On comprend bien que l'administration américaine est aussi sur un plan bilatéral avec la Russie, et, bien entendu, ses accords passés restent limités entre pays avec l'Arabie Saoudite et les régimes d'Amérique du Sud, en premier lieu le Brésil.
Il peut sembler qu'il n'y ait pas grand-chose de nouveau dans ce qui est cependant au moins une évolution. Mais le tournant pris par les États-Unis pour défendre leurs intérêts est durable et va bien au-delà du président contesté d'aujourd'hui. Comme la réforme fiscale qui prolonge le cycle et qui ne sera pas profondément rapportée par une nouvelle administration, le nouvel ordre économique mondial sera confirmé dans l'avenir. Ramener de la valeur ajoutée (et donc des salaires) dans le pays est une direction qui a bien peu de chances d'être abandonnée.
La tentative d'Emmanuel Macron de contrer ce sens de l'histoire se comprend d'autant mieux que le multilatéralisme est particulièrement fragilisé en Europe. Les deux grands dossiers qui pèsent sur les marchés financiers, les deux grands risques qui poussent à des désinvestissements sur les fonds investis dans la zone euro, sont des acteurs potentiels de l'affranchissement vis-à-vis des institutions supranationales. Il s'agit du Brexit et de la politique économique italienne.
La sortie de l'Union Européenne est déjà un acte d'indépendance du Royaume-Uni. On ne veut pas croire au scénario du pire : en cas de rejet du compromis présenté cette semaine, le « no deal » qui serait pénalisant pour les économies des deux côtés de la Manche. L'impact financier et règlementaire qu'aurait le rétablissement des frontières donne une obligation d'accord aux deux parties. Derrière le bras de fer des négociations, la menace d'une sortie brutale et peu négociée a logiquement brandie de part et d'autre.
Cela dit, le scénario a pu être développé et reste un risque. Derrière la position de force anglaise, il ne faut pas mésestimer le non-dit du dialogue entre le Royaume-Uni et les États-Unis. Un accord bilatéral atténuerait très sensiblement les dommages de l’accord proposé, comme d'un « no deal » du côté britannique. Et il s'imposerait pour partie à l'Europe continentale. Et même en cas de cette sortie négociée de l'Union, l’adossement américain sera un atout que la Grande Bretagne saura jouer. Au moment de la guerre d'Irak, les opposants à M. Blair avaient regretté que le Royaume- Uni se comporte comme la 51ème étoile du drapeau américain (le 51ème État). Aujourd'hui et demain ce pourrait être un atout et un facteur d’affranchissement vis-à-vis de l'UE.
Si on prend le cas italien, on est loin d'en être là. Mais la commission de Bruxelles et, pour tout dire l'Allemagne, voient leur marge de pression sérieusement entamée par la simple possibilité pour l'Italie de trouver des compromis particulier avec un allié américain. En cas de crise consommée, différentier les termes du commerce entre l'Allemagne (67 milliards d'excédent vis-à-vis des USA) et l'Italie (un excédent moitié moindre) pourrait s'inscrire dans la logique de la doctrine Trump. Sanctionner trop fortement l'Italie, aller vers une crise de l'euro serait destructeur. Pousser les États-Unis à fractionner l'Europe serait dans ce cadre un risque que l'Union Européenne ne peut sans doute pas prendre. L'UE sans le Royaume Uni et l'Italie serait amputée de 27 % de sa puissance économique et sa souveraineté supranationale se réduirait presque à organiser le statu quo entre L'Allemagne, la France et le Benelux.
Au total, la dimension du tournant néfaste au multilatéralisme est de nature à remettre en cause les dogmes européens mis en place par l'Allemagne et adoubés par la France. La limitation des pouvoirs contraignants de la commission de Bruxelles et de la Banque Centrale Européenne ne sera peut-être pas une mauvaise nouvelle à terme. Mais la transition promet des tensions qui sont de nature à justifier encore les décotes des placements en zone euro sur les marchés financiers. Le Brexit et la politique économique italienne ont sans doute une dimension qui dépasse leur simple sujet.