La fronde face à laquelle le gouvernement français a commencé à céder apparaît l'expression d'un désarroi. Le refus de nouvelles taxes sur l'énergie – venant sanctionner pour partie les ménages ayant suivi les incitations fiscales des années et décennies précédentes – ne peut se résumer à une simple contestation de l'impôt.
Le diagnostic vient de Mme Lagarde elle-même. La patronne du FMI a alerté cette semaine le monde de la finance depuis la bibliothèque du Congrès à Washington. Mettant en garde contre le risque d'avènement d'un « âge de la colère », elle ne renonce pas à la défense de la mondialisation et de règles multilatérales, au contraire. Elle est là dans son rôle. Mais elle donne des conditions : que « la globalisation évolue d'une façon différente, avec un meilleur respect des règles du jeu, ainsi que de l'environnement et un souci délibéré d'inclusion des peuples ».
Le constat est largement partagé. Les inégalités ont été considérablement augmentées au sein des pays développés entre le décile le plus favorisé (et même les 1 %) et les 50 % aux revenus et aux patrimoines les moins élevés. Et cela va bien au-delà puisqu'aux États-Unis, les 0,1 % de ménages les plus riches possèdent autant que les 90 % qui le sont le moins. Les limites d'écart salarial de un à quarante entre le patron et le plus modeste de ses employés préconisées par Henry Ford dans les années 1930 nous semblent venues d'un autre monde.
En France, on n'est pas dans les excès américains, puisque les 10 % aux revenus les plus élevés gagnent 3,2 fois la moyenne, et que les 1 % les plus favorisés montent le coefficient à 11 fois et se partagent 11 % du revenu national. Nous sommes plus redistributeurs, mais la tendance mondiale de plus de concentration se retrouve chez nous d'année en année.
Les nouvelles règles mondiales proposées par Mme Lagarde – celles du « nouveau multilatéralisme » comme elle dit – devraient ainsi viser à ce que « les bienfaits économiques de la mondialisation soient partagés par tous et non plus seulement par quelques-uns »
Pour éviter que « les inégalités dépassent ce qu'elles étaient au plus fort de l'âge d'or du capitalisme », pour que les sociétés ne passent pas sous la coupe « de l'amertume et de la colère nourrie par le fossé entre aspirations et réalités», la patronne du FMI en revient à l'impôt. Du côté du grand argentier du monde, on relève que les gouvernements n'ont pas trouvé la bonne réponse fiscale à la puissance planétaire de bon nombre d'entreprises. On doit reconnaître que face à des stratégies très offensives d'optimisation fiscale, les pays ont plutôt favorisé la possibilité que « trop d'impôts restent sur la table ».
Le dumping fiscal généralisé, l'Union Européenne de la gestion des égoïsmes le pratique plutôt bien. Établir un marché des biens et des personnes sans frontières, sans règles fiscales communes et sans règles sociales convergentes produit des déséquilibres qui s'auto-alimentent. Des déséquilibres qui se retrouvent dans les soldes commerciaux et budgétaires.
On en revient à la question française, au FMI, on soutient les réformes lancées par le gouvernement Philippe, ciblant la dépense publique. Cela posé, au-delà des coups de rabots, c'est la faisabilité qui sera jugée dans les instances internationales.
À l'analyse, le compte n'y est pas : la dépense publique n'a pas été abaissée – le ministre de l'Économie se targue simplement de la contenir – et c'est la fiscalité qui a été actionnée pour réduire le coefficient de déficit public. Le mouvement des Gilets Jaunes qui valide en quelque sorte le diagnostic général de Mme Lagarde est la résultante de cette pression sur le pouvoir d'achat qui pèse sur l'activité. Le résultat est doublement mauvais : l'impôt est contesté et, dans le même temps, une demande plus de services publics – donc de dépenses- s'est exprimée.
Peut-on suivre le FMI dans la médication qu'il propose à l'ensemble des économies ? Pour sauver la mondialisation et ses effets positifs, Mme Lagarde plaide pour plus de mondialisation encore. Mais un peu à l'inverse de ce dumping généralisé que les règles de l'OMC ont finalement organisé. Pour des règles du jeu qui seraient effectivement respectées, plus d'ouverture, en particulier sur les services, un système d'échanges éliminant les subventions et protégeant les droits de propriété intellectuelle : ce programme pour poursuivre la désescalade des tensions commerciales se retrouve un peu paradoxalement dans la ligne Trump.
La mise en place de ce multilatéralisme basé sur « une libre concurrence fair » ne sera pas facile. Les institutions internationales et l'OMC, mais aussi le FMI en premier lieu ont laissé s'exprimer les gestions des États les plus égoïstes qui soient. L'Union Européenne et ses dogmes servant les intérêts allemands en est une autre sorte d'exemple.
La problématique française d'aujourd'hui s'inscrit dans un cadre international plutôt paradoxal. C'est au moment où les règles mondiales vont évoluer vers plus de redistribution que nous devrions aller dans un sens inverse. Un mouvement qui, aujourd'hui, ne paraît guère possible. Sauf à trouver un soutien politique très affirmé, les réformes à venir sur des dossiers aussi marquants que le régime des retraites, celui de l'assurance chômage ou la transformation des entreprises, ont bien peu de chance d'avancer.
Sur fond de cycle de croissance qui tourne, en particulier en Allemagne, est-ce qu'un grand bien peu venir du grand mal qu'est le désordre que connaît notre pays ? On ne peut l'exclure et, précisément, la remise en cause de dogmes européens bloquant la croissance, pourrait être définie au sein d'une Union Européenne plus solidaire et moins dominée par les intérêts allemands. On perle déjà dans les rangs de la majorité LREM d'une majoration du fameux plafond de déficit public de 3 %.