Les mesures annoncées lundi par M. Macron modifient la donne économique française. Il est vrai que trois semaines de contestations avaient aussi modifié la conjoncture.
Le conflit dit des Gilets Jaunes a en tout état de cause mis un terme à l'amélioration de la croissance que la France avait enregistrée au troisième trimestre. Les 0,4 % affichés après deux trimestres à 0,2 % permettaient de viser une expansion de 1,6 % à 1,7 % pour l'ensemble de l'année. Le retour à 0,2 % au quatrième trimestre - dans le meilleur des cas et avec le soutien de ventes d'Airbus – va consacrer un net ralentissement : 1,5 % après 2,3 % en 2017.
Le tournant conjoncturel mondial depuis le début de l'année – États-Unis exceptés –avait déjà bien ralenti les ambitions. La performance mondiale d'une croissance équivalente aux 3,7 % de 2017 ne peut pas occulter un recul général en dehors des États-Unis (proches de 3 %), alors que la zone euro sera sensiblement au-dessous de 2 %, le Japon au-dessous de 1 % et les émergents au-dessous de 6 %.
La baisse de la croissance européenne en début d'année était en quelque sorte un retour de manivelle après la forte tendance de 2017. À partir de l'été, des points de faiblesse sont apparus : marchés automobiles, ralentissement du commerce mondial (exportations allemandes et italiennes en particulier) et, au final, tournant du sentiment des entreprises (jouant sur l'investissement) et des ménages (jouant sur la consommation).
Enfin, la mesure des incertitudes qui pèsent sur le comportement des marchés financiers, mais aussi des agents économiques ne doit pas être sous-estimée : Brexit, Italie, endettement mondial, guerre commerciale et communication de M. Trump, ralentissement chinois, …
M. Macron nous a annoncé une injection massive d'argent public. Certainement plus de 10 milliards d'euros et, selon les hypothèses pas loin de 0,5 % du produit intérieur brut. Les enveloppes sont orientées vers des ménages ayant une forte proportion à consommer. On peut anticiper un impact de 0,3 % sur la croissance 2018. Cela compté, on n'est pas à l'abri d'une bonne surprise : l'effet récessif sur 2019 du dernier trimestre 2018 va ainsi être compensé et les baisses d'impôts qui n'ont pas produit d'effets sur la consommation pourraient être de nature à amplifier cette dépense budgétaire. Le calendrier 2018 des hausses et baisses d'impôts a occulté aux yeux des ménages comme aux yeux des entreprises un solde pourtant positif dans les données globales pour la consommation et l'investissement. Certes, le retour de la confiance ne se décrète pas, mais tout n'est pas aussi négatif que le constat de l'ensemble de l'année 2018 pourrait le laisser imaginer. Le climat des affaires n'est pas un gros soutien, mais il maintient des projections de croissance trimestrielle de 0,4 à 0,5 %. La stabilisation du chômage (et même une très légère amélioration malgré une loi travail dont les premiers effets sont de créer de la précarité) et une hausse des salaires qui dépasse maintenant 2 % devraient pousser la consommation soutenue par les baisses d'impôts et le programme d'aide du président de la République.
L'ensemble des données internes à la France ne demandent qu'une amélioration du climat social pour développer une pente d'activité supérieure à la moyenne de la zone euro – attendue à 1,4 –, et à l'Allemagne (1,5% dans les hypothèses les plus optimistes).
Évidemment, l'épisode des trois dernières semaines a mis en évidence la difficulté du président à donner un cap qui puisse mobiliser au-delà des milieux d'affaires qui lui sont acquis. Il y a beaucoup à revoir dans la méthode et, en premier lieu, à ne plus jouer les mesures budgétaires et sociales en donnant l'impression d'un enfumage façon bonneteau. Les hausses d'impôts ont été trop pénalisantes pour que les baisses (venant après un décalage) produisent leurs effets. La méfiance, puis le rejet ont été suscités par les mesures les plus autoritaires prises sans souci de consensus et dont les taxations sur l'énergie ont été une illustration comme le facteur déclenchant de la crise.
Au-delà d'un certain constat d'injustice face à une stratégie Macron qui a ses fondements macroéconomiques mais a failli sur la dimension politique, la nouvelle règle du jeu vise à, précisément, permettre aux agents économiques français de percevoir les aspects positifs des réformes menées. D'une certaine façon, le président de la République semble prêt à payer – cher – avec son injection de pouvoir d'achat, pour pouvoir poursuivre : régime des retraites et du chômage, transformation des entreprises, Éducation Nationale, réforme de l'Etat. Dans l'esprit du gouvernement, 10 milliards de charges annuelles données lundi seront rattrapées à terme par les gains d'un « nouveau monde ».
On a compris combien le passage pour retrouver une marge d'action est étroit. Les fondamentaux français ne sont pas mauvais et donnent une chance. En s'asseyant – sans doute pour longtemps – sur le dogme des 3 % du PIB pour le déficit, M. Macron décale l'ambition et met en quelque sorte la croissance au centre d'une stratégie tentant de réunir offre et demande.
Sans doute prendrait-il mal que ce tournant le place dans une logique qui n'est pas le contraire de celle de M. Trump. Ce qu'on peut retenir est que le nouveau pari (acheter auprès des ménages les réformes pro-business) peut être tenté sur un terreau plutôt meilleur que celui des pays partenaires économiques.
Mais c'est peut-être là le plus grand des risques. La guerre commerciale américaine a toutes les chances de se concentrer sur l'Europe (Allemagne et Italie) une fois établi un armistice entre la Chine et les États-Unis. D'une façon plus large, le blues de fin de cycle va se diffuser dans le monde à partir de l'Amérique avec moins de dynamisme économique, un peu plus d’inflation, des banques centrales moins accommodantes, un monde émergent toujours sous pression,...
Les -réels- atouts de la France « pour faire mieux » dans un contexte de croissance qui se rapproche du potentiel donnent des marges. Mais des marges finalement assez limitées.