Derrière le rebond des Bourses – évidemment technique et lié à des rachats de vendeurs à découvert pour une part à déterminer – se profile la grande question du moment : la croissance. Les indicateurs avancés comme les fameux PMI des directeurs d'achat ou les données du commerce international (comme le recul de la production manufacturière de la Corée du Sud) confirment de façon quasi-unanime l'inflexion de l'expansion mondiale, mais aussi américaine. C'est à ce stade, et après une suspension du blocage de l'administration fédérale (shutdown) que la Réserve Fédérale a dressé un panorama de confirmations, entraînant des décisions de politique monétaire sans surprise. Pourtant l'Amérique de M. Trump dont on attend toujours le discours sur l'état de l'Union est loin d'être celle des certitudes économiques. On peut s'essayer à cet exercice retardé par le président pour cause de shutdown.
Le jugement des conjoncturistes en ce mois de janvier est pratiquement unanime : les États-Unis vont subir cette année et en 2020 un contrechoc fiscal, mais n'entreront pas en récession.
Le contrechoc fiscal est simplement le fait accompli : aucun des partis représentés au Congrès ne va plaider pour une hausse des impôts. Mais il n'y aura pas de nouvel allègement et donc pas de stimulant nouveau.
Qu'a permis le programme fiscal mis en place par l'administration Trump ? Sans conteste, il a prolongé le cycle de croissance, l'économie des États-Unis gagnant en 2018 une hausse du produit intérieur brut de près de 3%, 0,8 % au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE et 1% de plus que la zone euro en moyenne. Finalement, contre le reste du monde, l'économie US a accéléré.
La transmission de ces bons chiffres à la construction d'une tendance plus longue n'est cependant pas au rendez-vous : c'est assez normal pour un soutien à un moment où le cycle s'atténue. La progression des salaires (autour de 3%) reste modeste et donne peu de levier face à un déflateur de légèrement plus de 2,5 %. Le manque d'inflation et les bonus fiscaux n'ont par ailleurs pas entraîné la progression des investissements privés qui était attendue.
En contrepartie, finalement, l'endettement des entreprises ne présente pas des excès de fin de cycle : avec un encours qui a certes progressé, la charge financière a baissé en un an en proportion des résultats bruts d'exploitation.
Le cycle de croissance américaine sera a priori fin juin le plus long de l'histoire économique depuis le milieu du XIXe siècle. S'il n'est pas durablement prolongé par les effets de moyen terme de retombée des investissements ou de flambée du pouvoir d'achat, l'effet d'entraînement va encore jouer cette année et le contrechoc ne devrait pas se manifester avant l'année prochaine.
Le principal facteur de prolongation de cette croissance américaine due au programme fiscal est à rechercher dans la gestion monétaire. La Réserve Fédérale a profité des baisses d'impôts pour durcir sa politique sans risquer de casser la croissance et, ainsi se donner des marges pour soutenir l'économie si besoin.
Les indicateurs de récession ne sont pas perceptibles : pas de baisse des profits des entreprises (simplement une érosion de leur progression), une hiérarchie des taux d'intérêt qui n'est pas négative (plate jusqu’à six ans). Au-delà c'est la vigilance de la Fed qui donne de la visibilité. Les hausses de taux directeurs attendues cette année pourraient être tout simplement annulées. Au sein du comité monétaire ou parmi ses économistes on évoque même la possibilité de stopper le resserrement quantitatif (Quantitative tightening) c'est à dire la baisse des concours à l'économie en diminuant le total du bilan de la Fed.
Reste le monde extérieur. Les États-Unis se sont placés dans une stratégie de redressement de leur balance commerciale. La guerre commerciale est venue amplifier de façon modérée pour le moment une contraction du commerce internationale qui était sensible depuis 2014-2015. Ses effets ne sont pas encore positifs pour la production interne : c'est l’étape suivante dans le projet. C'est loin d'être gagné, mais un regain de l'activité manufacturière peut créer les conditions d'un soutien interne par la consommation (salaires réévalués) et l'investissement, ce qui assurerait la consolidation de l'économie.
Ce qui est gagné en revanche, c'est la bataille des idées : plus d'équité dans les termes commerciaux avec la Chine et, aussi, avec l'Europe et le Japon, fait consensus en Amérique. Le conflit sur la propriété intellectuelle rassemble plus encore.
Le mois de janvier se termine donc sur une confirmation du scénario de croissance américaine qui s'érode, mais d'un cycle qui se poursuit, sans récession en vue. La politique fiscale Trump trouvera ses limites en fin d'année et en 2020 : l'administration devra prouver alors que l'ensemble de ses dispositifs mis en place peuvent permettre une nouvelle dynamique. Pour cela il aura le soutien de la Réserve Fédérale : les grands argentiers savent qu'ils n'ont pas forcément les moyens de relancer dans une récession et feront tout pour l'éviter, quitte à revenir sur deux ans de resserrement monétaire.
Ces projections « demies optimistes » n'auront pas forcément de traduction sur la tendance boursière qui pourrait rester très volatile, sous la pression de risques multiples de nature à la bousculer.