L'actualité financière du début d'année, c'est le retour des grandes banques centrales à des politiques (très) conciliantes. Les degrés sont divers et les modalités différentes, mais les hausses de taux directeurs sont oubliées, peut-être pour l'année, les réductions des concours par baisse des bilans sont en voie d'annulation sine die, les réglementations du crédit allégées. Derrière ce revirement en moins de six mois, l'infléchissement de la croissance au niveau mondial évidemment. Cependant, en abandonnant des objectifs de retour vers plus d'orthodoxie, les grands argentiers font fi de l'inflation.
Le changement de pied monétaire intervient dans une conjoncture marquée par un endettement record des économies. La dette mondiale approche 2,5 fois la création de richesse annuelle (le produit intérieur brut). C'est une position de fin de cycle, alors que, précisément, l'environnement n'est pas marqué par des risques de récession, seulement par une expansion dont le rythme se réduit.
Pour tenir, les agents économiques endettés - États y compris – doivent continuer à bénéficier de taux d'intérêt très bas. Un simple exemple : les dettes privées dans les pays du G7 atteignent leur niveau de 2011 qui était aussi celui de 2007 avant les records passés dans la crise financière. Dans le même temps, la charge d'intérêt reste très basse, inférieure de plus de 10 % au niveau de 2007.
La gestion monétaire axée sur le soutien aux économies se transmet cependant de façon atténuée : le dynamisme du crédit n'est globalement pas au rendez-vous. Les potentiels de gains de productivité sont réduits – les entreprises américaines affichent un record absolu des marges à plus de 12 % – ce qui explique cette morosité du crédit davantage que des besoins de désendettement.
L'inflation est en tout cas contenue en-deçà des objectifs de la Réserve Fédérale malgré la durée du cycle. Hors alimentation et énergie, elle est comprise entre 2 et 2,25%. Dans la zone euro, l'inflation sous-jacente a du mal à décoller au-delà de 1%. Les 1,2 % affichés en janvier sont éloignés de la cible de la Banque Centrale Européenne qui vise une stabilisation à 2 %.
Le paradoxe américain – qui vaut aussi pour l'Europe et dans une certaine mesure pour le Japon – perdure : le plein emploi n'entraîne pas la dérive des prix. Il y a pourtant un mouvement qui est réel puisque les salaires réels du secteur privé américain progressent sur un rythme de 3 % alors qu'il y a deux ans, on se situait encore à 2,5%.
En données brutes, le reflux des cours du pétrole réduit l'inflation. Malgré un rebond depuis le début de l'année, le baril reste plus de 20% en-deçà de ses niveaux d’il y a six mois. Ce facteur de désinflation s'est retrouvé dans les publications : on attend une moyenne de 1,8 % aux États-Unis pour les trois premiers mois de l'année alors que la zone euro a affiché 1,4 %.
Les pressions déflationnistes de la mondialisation tiennent toujours les salaires et les prix. La spirale de compétitivité continue à peser sur les salaires des pays développés, sans que le plein emploi ou le chômage bas donnent des marges pour augmenter les rémunérations. Il en est de même pour les produits manufacturés : les écarts de prix de revient poussent toujours les prix à la baisse.
La stratégie du Président américain vise à ramener de la production dans le pays, avec des effets sur les salaires. C'est la doctrine de la guerre commerciale. Les taxes à l'importation ne joueront pas forcément beaucoup au vu des masses en cause, mais le message est là. Le monde n'est pas entré dans une véritable phase de démondialisation, mais la compétition par les prix est peut-être en train de trouver des limites. Cela peut s'exprimer dans les rapports entre les émergents (y compris la Chine) et les pays développés, mais aussi entre pays développés, pour ce qui nous concerne y compris au sein de la zone euro.
D'une façon générale, le besoin de rééquilibrage des termes des échanges va plutôt s'affirmer que se réduire. De ce point de vue, la gestion ultra accommodante des grandes banques centrales peut déboucher sur une véritable inflation qui s'exprimerait en 2020 ou 2021, à un moment où la croissance mondiale se réduira encore.
La Fed a cédé aux marchés financiers en faisant faire un tour à 180 degrés à sa politique. Elle devra, comme ses homologues et en particulier la BCE, accepter un pic d'inflation pour ne pas casser les économies. Cela posé, les investisseurs n'y croient pas. Ils n'ont pas peur de l'inflation ; les emprunts d'État allemands dégagent un rendement négatif jusqu'à l'échéance de 8 ans, l'OAT française est dans le même cas jusqu'à 5 ans et les JGB japonais jusqu'à 10 ans. Et à 2,7 %, le 10 ans américain affiche un écart limité à 0,2 % avec le deux ans.