C'est dimanche soir que le Secrétaire américain au Commerce a remis au président Trump les conclusions de l'enquête menée concernant « les effets des importations d'automobiles et de pièces détachées sur la sécurité nationale des États-Unis. » Dans les trois mois, le Président prendra des décisions sur les bases de ce rapport.
Le caractère stratégique pour la sécurité nationale est évidemment question de point de vue. Cependant, quelle que soit la définition retenue, une industrie automobile entre dans le cadre.
Les fuites organisées à Washington ne laissent guère de doutes : la sécurité nationale va être mise en cause par le poids des importations automobiles et même des opérations américaines des grands groupes étrangers. Que ce soit pour les retombées en matière d'armement, pour le poids sur le marché du travail, pourl'innovation et les brevets à venir, les enjeux sont indiscutablement de niveau national.
Le marché automobile américain représente 17,2 millions de véhicules, dont près de la moitié sont produits sur place. Les gros importateurs sont le Japon (21 % du marché US), l'Allemagne (11 %) la Corée du Sud (8 %), enfin le Canada et le Mexique (10 % à eux deux). L'accord passé avec ses deux voisins les excluent d'une nouvelle donne de la part des États-Unis, le Japon et la Corée négocient de leur côté leur partenariat commercial. L'Europe et, singulièrement l'industrie automobile allemande se trouve dans la ligne de mire.
L'institut de conjoncture allemand Ifo a produit un rapport alarmant sur les conséquences qu’aurait l'instauration d'une taxe de 25 % à l'importation en Amérique des véhicules européens. Il est bien sûr dans son rôle, mais les chiffres présentés ont une réalité certaine. Dans son cadre, l'Ifo estime que les volumes exportés de l'Allemagne vers les États-Unis baisseraient à terme de près de 50 % et que cette chute aurait des répercussions sur d'autres marchés. Au total, il chiffre à 7,7 % la baisse des véhicules exportés, ce qui représenterait 18,4 milliards d'euros. Pratiquement 0,5 % du produit intérieur brut.
L'industrie automobile est le pilier de la production manufacturière. C'est ce qui conduit M. Trump à envisager des taxations. Pour l'Allemagne – qui fait appel à un gros réseau européen d'équipementiers, notamment en Italie, en France, en Espagne ou au Royaume-Uni – les enjeux sont impressionnants. Au total, l'industrie automobile pèse 13 % du PIB du pays et une proportion un peu plus forte sur le marché de l'emploi. 80 % de la production est exportée et représente pas loin de 20 % du total des exportations. Les grands allemands de l'automobile produisent à travers le monde un peu moins de 19 % des véhicules sortis des usines sur la planète, et un peu moins du cinquième sortent des usines de la République Fédérale.
Géant industriel, l'Allemagne a une dépendance à l'automobile qui est réelle, plus forte qu'en France dont la production est inférieure de 55 %. Les menaces de taxation Trump viennent sur un marché déjà en retournement. L'année dernière, la production allemande a chuté de 9 % et les exportations ont subi le même solde. Le marché mondial a marqué une progression réduite à 1 % en 2018 et les projections les plus optimistes tablent sur un simple maintien cette année.
Au bilan de l'exercice écoulé, si les marchés automobiles américain, japonais et indien ont tenu, l'Europe a reculé à partir de septembre. En croissance de 5,9 % sur les huit premiers mois 2018, elle termine sur une stabilité en un an. Les données des quatre derniers mois ont montré une série très médiocre et janvier 2019 a encore affiché 4,6 % de contraction.
Le plus spectaculaire est venu de Chine après un retournement du marché en juillet qui se traduit sur l'année par un recul de 3 %. Le septième mois consécutif de baisse a été janvier, en chute de 15,8 %. L'ouverture des vannes du crédit devrait enrayer cette chute, mais pas inverser vraiment la tendance.
C'est ainsi sur un marché au mieux stagnant que l'automobile allemande attend les positions de M. Trump. Contraint à un accord, même de façade avec la Chine, le Président américain a de bonnes raisons de cibler l'Europe.
En premier lieu parce que les conditions politiques le lui permettent : au-delà des effets de manche, on ne voit pas très bien par quelle réponse commune le Vieux Continent (Royaume-Uni du Brexit inclus) pourrait inquiéter les États-Unis.
En second lieu parce que la nécessité du rééquilibrage des balances d'échange passent à ses yeux par un rééquilibrage de la production manufacturée et que l'automobile en est le premier acteur.
Enfin, il ne faut pas ironiser à l'excès sur les aspects stratégiques de l'affaire. L'industrie automobile est engagée dans des investissements considérables de mutation vers les véhicules électriques et ceux qui seront connectés voire autonomes. On entre là dans le coeur de la politique américaine : préserver la propriété intellectuelle, les brevets de l'industrie de demain. Les marges bénéficiaires d'aujourd'hui sont les munitions de cette guerre de demain, plus stratégique que commerciale pour une industrie qui doit préparer une mutation d'ampleur.
La ligne semble tracée et la conjoncture européenne en sera finalement un peu la variable d'ajustement. Les mutations ne passent pas sans ruptures y compris économiques et financières. En l'espèce, la mutation n'est pas seulement technologique, car la voiture de demain répond à des exigences de mobilité, de densité de populations et d'environnement qui exigent l'application de ces technologies encore à mettre au point.