Les marchés financiers veulent sortir du feuilleton des négociations commerciales États-Unis/Chine qui est depuis de trop nombreuses semaines un de leurs principaux facteurs d'évolution. Les scénarios qui ont appuyé le rétablissement spectaculaire des indices boursiers depuis début janvier reposent sur la certitude de la conclusion d'un accord. Les investisseurs font le pari que Donald Trump, après avoir cédé devant les parlementaires démocrates sur le bras de fer budgétaire, ne peut pas faire autrement que céder sur le dossier de la guerre commerciale. La nécessité électorale a pris le dessus pour mettre fin à l'arrêt des activités gouvernementales (le Shutdown). Le consensus estime qu'il va en être de même sur la question protectionniste : la croissance est l'objectif premier pour préparer l'élection de novembre 2020. Cependant, même si la négociation aboutit en effet, la question de la guerre commerciale va continuer à planer.
Le calendrier confirme les anticipations optimistes. Même si le Président a encore répété qu'il était prêt à renoncer à tout accord si ce qui était proposé finalement ne lui paraissait pas assez bon, le report de la date butoir du 1er mars pour mettre en placede nouvelles taxations a pu être interprété comme l'intention de conclure presque à tout prix.
Les conseillers de la Maison Blanche en charge des négociations soufflent d'ailleurs le chaud, parlant même de « progrès fantastiques ». L'accélération de l'agenda pourrait même conduire à une rencontre entre le secrétaire général du parti communiste Xi Jinping (le patron du pays) et M. Trump d'ici trois semaines dans la résidence des présidents américains de Mar-a-Lago à Palm Beach.
Le rapport de force un peu rééquilibré en faveur des Chinois pour des raisons de politique intérieure des États-Unis va conduire plus à un armistice a minima qu'à un traité de paix. Il n'est plus question de changement de modèle en Chine, mais simplement d'aménagements à la marge permettant de laisser les choses se développer.
Les deux grandes économies mondiales ont la particularité d'être toujours en croissance : 6,2 % attendue cette année à Pékin, 2,5 % à Washington. Si on ne va pas céder beaucoup plus que du symbole côté chinois, on comprend que, bien au-delà des échéances électorales américaines ou même d'alternance, à plus long terme, le rééquilibrage va s'imposer. Les parties semblent dans l'immédiat avoir une volonté commune de ne pas peser sur leurs économies et de les stabiliser. La stabilisation est aussi l’objectif sur le change et il y a comme un accord tacite à évacuer le yuan du champ des discussions.
Il y a un sujet qui ne sera pas réglé et qui sera pourtant central dans l'avenir : c'est celui de la propriété intellectuelle. Les transferts de technologies consentis par les sociétés américaines (les européennes sinon les japonaises sont dans le même cas) ne sont pas niés et sont dans le viseur de M. Trump. Son administration a déjà agi dans le domaine nucléaire et va élargir à l'ensemble des technologies «industriellement importantes ».
Le symbole va être Huawei. Le géant chinois est un fournisseur de solutions numériques digitales pour les opérateurs, les entreprises et les consommateurs. Il est le deuxième producteur mondial de smartphones. Ses démêlés avec les justices occidentales ne sont pas récentes et, en 2003 déjà, il avait été convaincu d'utilisation illégale de solutions développées par Cisco. L'année dernière, Huawei a été exclu des marchés australiens du téléphone et, il y a deux mois, la justice fédérale américaine a annoncé des poursuites sur plus de 20 chefs d'accusations. Ils comprennent des accusations de viol de technologies, corruption, blanchiment ou fraudes diverses. L'extradition de Meng Wanzhou, la directrice financière et fille du fondateur a été demandée au Canada où elle est déjà en résidence surveillée.
L'enjeu n'est pas ordinaire : Huawei est un groupe mondial, qui réalise plus de 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires, il est le symbole de la technologie chinoise. Il va évidemment contester les accusations devant la justice américaine, mais aussi son boycott par les agences fédérales. Le traitement de ce cas hors norme (qui comprend une violation de l'interdiction de commercer avec l'Iran) aura une dimension politique. S'il aura du mal à intervenir au fond (d'autant qu'il soutient la lutte contre le pillage intellectuel chinois), le cas personnel de Mme Wanzhou pourrait être pour M. Trump l'occasion de donner des gages au président chinois.
Cela posé, les sanctions judiciaires, mais aussi et surtout l'exclusion des investissements 5G aux États-Unis et peut être ensuite en Europe, vont freiner plus que sérieusement un accord pérenne de commerce transpacifique. Le rééquilibragedes balances retardé, la question commerciale pourra à nouveau peser sur la croissance dans un terme assez rapproché.
On a coutume de dire que, dans les relations avec les entreprises chinoises, « la négociation réelle commence le jour où on signe ». Il y a bien des chances pour que ce soit le cas à grande échelle dans cette guerre commerciale. La capacité du commerce international à accélérer à nouveau pourrait être limitée de ce fait.
D'un côté, la croissance chinoise est soutenue à tout prix. À la baisse de l'impôt sur les sociétés et de la TVA annoncées cette semaine, venant après celle des réserves obligatoires des banques, va s'ajouter le programme d'infrastructures déjà mis en oeuvre. L'objectif du parti de 6 à 6,5 % de croissance sera assuré cette année, sans doute vers le milieu de la fourchette.
De l'autre si le différend avec les États-Unis n'est pas véritablement en voie d'amélioration, les stratégies protectionnistes de M. Trump, mais aussi du Congrès ont bien des chances de ne pas se tarir. Ce mardi, le représentant américain au Commerce a annoncé que, sur une décision du Président, le statut accordé à l'Inde et à la Turquie en vertu du Système généralisé de Préférences était annulé. Les américains demandent une ouverture à leurs exportations et font parler la poudre. L'Europe est la cible suivante et le marché risque d'être mis en mains sous la forme d'un sacrifice des avantages de la politique agricole commune en échange du maintien des exportations automobiles. Au-delà du différend franco-allemand qui pourrait en découler, on comprend les limites qu'auraient sur la conjoncture un accord chinois un peu de façade.