La Banque Centrale Européenne a suivi – une fois encore – la Réserve Fédérale américaine en définissant, la semaine dernière, une gestion monétaire très accommodante. Derrière le changement de signe de son action, derrière les mécanismes annoncés aux acronymes plus ou moins poétiques, les scénarios s'adaptent sur les marchés de taux. Pour les projections économiques, l'analyse doit être un peu différente : la conjoncture a dicté la plume des banques centrales autant qu'elle pourra dépendre de leur action.
Il y a neuf mois, la BCE avait annoncé la fin de ses injections de liquidités par rachat aux banques d'obligations émises par les États ou par des entreprises. La fin de cet ajustement quantitatif (le QE ou Quantitative Easing) a été actée en décembre. La démarche s'inscrivait dans un début de stratégie de normalisation de la politique monétaire en zone euro.
La décision de la semaine dernière tourne le dos à ce premier mouvement vers l'orthodoxie : certes le QE n'est pas relancé. Mais les grands argentiers ont utilisé une autre arme non conventionnelle à leur disposition : l'engagement à long terme sur le niveau des taux directeurs. Remplacer en partie le QE par l'orientation des taux d'intérêt a été testé au Japon. La « forward guidance » oriente en effet les conditions du crédit – on peut dire qu'elle les cadre – et intervient de façon assez salutaire au moment où le stock d'obligations éligibles à l'ajustement quantitatif se tarit, en particulier pour les emprunts des États les plus solvables.
En tout état de cause, le remplacement du QE par la forward guidance a été répercuté sur les marchés. Les opérateurs n'anticipaient pas que l'engagement de maintien des taux directeurs jusqu'à la fin de l'été soit prolongé « au moins jusqu'à la fin de l'année ». Les marchés à terme anticipaient un passage du taux Euribor en territoire positif mi-2021. Désormais, il est dans les cours pour le début 2022. Les agents économiques et en particulier les banques peuvent tabler sur près de trois ans de taux monétaires négatifs.
Les taux obligataires de la République Fédérale d'Allemagne ont répercuté l'engagement de la BCE. Désormais, les rendements sont négatifs jusqu'à l'échéance de 9 ans et sont faiblement positifs (0,06 %) pour le 10 ans. On retrouve ainsi une hiérarchie faible en fonction de la durée du prêt : c'est la courbe des taux plate qui peut annoncer une récession ou, en tout cas une période de croissance très limitée. La visibilité apportée aux taux directeurs incite les investisseurs à prolonger le mouvement et les écarts de rendement entre les emprunts d'État allemands et ceux des autres pays de la zone (les spreads) se sont réduits. La recherche de rémunération oriente les capitaux vers des émetteurs souverains de moindre qualité.
Finalement, l'arme de la « forward guidance » remplit des objectifs assignés à l'ajustement quantitatif : baisse des taux longs, resserrement des écarts de rendement au sein de la zone de la monnaie unique.
Le dispositif est complété par des achats de créances par la banque centrale. Un nouveau programme d'opérations ciblées de refinancement de long terme va être mis en place. Il s'agit du fameux acronyme TLTRO pour Targeted Long Term Refinancing Operations.
Les concours de refinancement aux banques accordés pour 4 ans de juin 2016 à mars 2017, qui constituaient dans le jargon TLTRO II, viendront à échéance à partir de juin 2020, mais leur encours sortira des ratios bancaires à partir de juin prochain. Sans relais, les établissements financiers auraient dû emprunter plus cher sur les marchés, et les plus petits, certaines banques italiennes et allemandes aussi, auraient risqué de ne pas se refinancer. Le nouveau programme TLTRO III va s'opérer sur des modalités techniques ajustées dans des proportions pas forcément très claires pour le moment. Elles prévoiront un ratio maximum de refinancement par rapport au stock de dettes de chaque banque et une incitation renforcée à prêter à l'économie.
Il s'agit pour la Banque Centrale Européenne de répondre à une nécessité. Avant l'échéance de juin, la dynamique du crédit n'est pas vraiment satisfaisante. Même si elle était négative il y a un an, l'impulsion du crédit (le total des nouveaux crédits rapporté au produit intérieur brut) plafonne à 0,4 % sur l'ensemble de la zone, ce qui est inférieur de plus de moitié à la moyenne des années 2014-2018. La dynamique en France (1,7 %) et la tendance résistante en Allemagne (0,6 %) contrastent avec les pays dits périphériques qui connaissent un net ralentissement. Ce qu'illustre la contraction des nouveaux crédits en Espagne à hauteur de 2,1 % du PIB.
Les mesures prises ont rassuré les marchés financiers qui en sont les principaux impactés. Mais TLTRO III et les taux durablement très bas veulent surtout contrer la dégradation de l'accès au crédit. Le durcissement déjà observé ne peut être imputé aux techniques de la gestion monétaire. C'est la montée des risques qui freine les concours à la consommation et à l'investissement. Pour résumer, c'est la très nette inflexion de la croissance qui, pesant sur la dynamique du crédit, amplifie précisément le ralentissement.
Le risque de tendance conjoncturelle négative s'auto-alimentant ainsi est peut-être le message le plus important de la BCE des six derniers mois de la présidence de Mario Draghi. La révision à la baisse de la croissance (désormais 1,1 % cette année pour la zone) et la montée des risques sont le sujet et vont le rester, au-delà, de la bonne tendance des Bourses depuis le début de l'année.