La violence de la reprise des marchés financiers après un dernier trimestre noir a de quoi interroger. Bien sûr, le volte-face de la Réserve Fédérale américaine et la réplique de sa stratégie nouvelle par l'ensemble des banques centrales à travers le monde a lancé le mouvement. Pour autant, les fondamentaux ne peuvent être ignorés pour mettre en perspective les valorisations après le choc et le contre-choc.
Tous les actifs sont en hausse depuis la fin 2018. Les indices boursiers ont ainsi regagné les deux tiers de la chute encaissée en novembre et décembre. Ils présentent donc une performance négative par rapport à la fin octobre, ce qui n'est pas le cas des placements obligataires pris globalement.
On doit évidemment prendre un compte les aspects techniques. Pris à revers par la réaction des banques centrales, les rachats de vendeurs à découverts, l'amplification des programmes de rachats d'actions par les entreprises et des achats de la part d'investisseurs individuels comme c'est souvent le cas dans les périodes de forte baisse, ont entretenu la hausse. En revanche les flux de souscription –essentiellement de la part des investisseurs institutionnels – ont été plus longs à venir et, en solde depuis le début de l'année, on enregistre des souscriptions nettes pour les fonds obligataires et des rachats sur les fonds investis en actions.
Les cours des deux grandes classes d'actifs semblent en tout cas dire un peu l'inverse : les obligations prennent en compte une croissance limitée et une inflation très faible quand les actions anticipent des profits futurs des sociétés en hausse.
Bien sûr, le niveau des taux obligataires – qui reflète les stratégies très accommodantes des banques centrales – est mécaniquement favorable à la valorisation des Bourses : la valeur théorique d'une action, c'est l'actualisation du flux des dividendes à venir et du prix de vente. Le taux d'actualisation joue un rôle, mais les performances financières de l'entreprise aussi. La limite de la hausse lié aux taux se trouve dans les scénarios de bénéfices à venir qui, d'une certaine façon, peuvent sembler opposés entre les marchés de taux et ceux des actions.
Au bilan économique 2018 qui est désormais dressé et aux tendances qui font plus que se dessiner pour cette année, on peut observer que la croissance mondiale s’est ralentie et que le commerce mondial s'est contracté, mais que l'expansion économique de la planète reste supérieure au potentiel (effet combiné de la démographie employable et de la productivité).
Le ralentissement du quatrième trimestre a été réel, perceptible dans deux poids lourds de l'Union Européenne (l'Allemagne et l'Italie), en Chine et dans les émergents en répercussion de la baisse du commerce mondial. En revanche, la croissance a tenu aux États-Unis : les 2,9 % affichés pour les trois derniers mois de l'année permettent de considérer comme excessives les inquiétudes d'alors.
Les perspectives de croissance mondiale sont certes en recul par rapport aux dernières années, mais, malgré la faiblesse européenne, dessinent encore une année positive. L'accord commercial entre la Chine et les États-Unis, renforcera encore la conjoncture.
Les analyses peuvent finalement dépasser assez facilement l'actualité heurtée des cours de Bourse. Les données macroéconomiques qui sont globalement celles d'une stabilisation donnent une certaine visibilité permettant d'établir des prévisions de bénéfices plutôt fiables.
À la lecture des scénarios des cabinets d'analyse, on voit que les révisions pour tenir compte du passage à une croissance mondiale modérée ont déjà été faites. À la fin de l'été, la progression des bénéfices 2019 des compagnies américaines (S& P 500) était estimée à 10 %. On est revenu à 4 %. Ce sont les sociétés des pays émergents (dont la Chine) qui ont le meilleur potentiel, qui est cependant limité à 8 %. Pour l'Europe prise globalement, la zone euro et le Japon, les hausses de profits attendues varient entre 6 et 7 %.Ces chiffres montrent un recul général des taux de croissance et traduisent une pression sur les marges des entreprises.
Face à ces perspectives assez sûres, mais limitées, les ratios de valorisation se trouvent proches de leurs moyennes historiques de long terme. À Wall Street, le ratio cours/bénéfice (PER) est de 16,5 fois, pour 12,5 à 13,5 fois en Europe et au Japon et moins de 12 fois dans les Bourses émergentes. Ces niveaux ne sont pas excessifs. Ils sont même justifiés par la conjoncture de taux, mais ce ne sont pas des cadeaux. On se situe sur un point d'équilibre si la conjoncture se confirme. On ne voit pas vraiment les facteurs d'amélioration, mais les risques (guerre commerciale, Brexit, Italie, politiques intérieures, revirement de la Réserve Fédérale) semblent bien pris en compte.
Le problème de l'équilibre est qu'il est instable par définition. En matière de marchés financiers, on a pu observer que si on ne montait pas, on baissait et que l'inverse se vérifiait aussi. La très forte hausse depuis le début de l'année repose sur la prise en compte d'une réalité économique qui ne valide pas les scénarios de la peur de l'automne. Le mouvement s'est entretenu de lui-même, mais il devra trouver des limites.
Prendre un pari sur le sens de la rupture de l'équilibre est hautement spéculatif, mais si les cours justifient simplement les scénarios sans qu'il n'y ait forcément beaucoup de potentiel subsistant, la meilleure probabilité est celle d'une consolidation.