Le 11 avril, puis le 19 mai, les électeurs hindous sont appelés aux urnes. 900 millions d'électeurs dans ce qui est souvent qualifiée de « plus grande démographie du monde» vont renouveler la chambre basse du Parlement, la Lok Sabha, des gouvernements régionaux aussi. C'est le Premier ministre qui sortira de ces scrutins qui est le grand enjeu.
Narendra Modi est le sortant et présente à nouveau une candidature après 5 ans de pouvoir, appuyé par le succès en 2014 de l'Alliance Démocratique Nationale, la coalition dont le parti de M. Modi (le parti du peuple indien) est la principale composante.
Cette arrivée au pouvoir n'était pas la première de l'Alliance Démocratique Nationale qui avait tenu le gouvernement de 1998 à 2004. Pour autant, la personnalité de M. Modi, le ton de sa campagne électorale, son programme, marquaient une vraie rupture et engageaient un tournant résolument nationaliste et, sur les critères occidentaux, de profil populiste.
Des mesures ou actions discriminatoires envers les minorités, en particulier la minorité musulmane ou même les basses castes ou les « hors castes », ont été prises, et, plus encore tolérées dans les excès de violence pas seulement verbale. Le Premier ministre est d'ailleurs avare de sa parole et communique presque exclusivement – et très souvent – via les réseaux sociaux.
L'élection des deux mois qui viennent va encore être influencée par le nationalisme dont M. Modi et son parti sont les grands avocats. Une démonstration en a encore été donnée ce mercredi par l'essai réussi de défense de destruction d'un missile en orbite basse. Le pays qui est doté de l'arme atomique, comme son voisin le Pakistan qui est l'ennemi potentiel déclaré, a rejoint dans la défense anti-missile un club très fermé puisque, jusqu'ici, seuls les États-Unis, la Russie et la Chine ont montré la maîtrise manifestée par l'Inde.
Pour reprendre la formule du Premier ministre, en « rejoignant les superpuissances de l'espace », la technologie indienne est consacrée. Le « moment de fierté » est un point bienvenu dans sa communication politique, mais l'élection va forcément aussi se jouer sur des questions concrètes, celles de l'économie prise plus globalement.
Il en est de l'Inde un peu comme de la Chine : la taille du pays et la population impliquent des modalités de gouvernement qui ne peuvent que théoriquement se rapprocher de celles des démocraties occidentales. 1,35 milliard d'individus ne peuvent s'inscrire dans une économie purement libérale. Le régime totalitaire et plutôt centralisé de la Chine ne s'applique pas à l'Inde, qui doit compter avec des structures régionales fortes et avec le système complexe des castes.
Les promesses faites en 2018 par le pouvoir actuel n'ont évidemment pas été intégralement tenues. C'est la population rurale (les deux tiers de celle du pays) qui peut se montrer la plus déçue : les emplois promis ne sont pas au rendez-vous, pas plus que le doublement des revenus de la moitié des actifs du secteur rural. S'est ajoutée en novembre 2016 la démonétisation de 86 % des billets de banque en circulation. Destinée à lutter contre l'évasion fiscale et la corruption, la mesure a perturbé les plus fragiles, qui utilisent très majoritairement le liquide.
Cela posé, le gouvernement Modi n'a pas cassé la forte croissance de l'économie amorcée en 2003 et il l'a sans doute même améliorée. La tendance est bien accrochée : en dix ans, de 2008 à 2018, le produit intérieur brut par habitant a doublé. C'est moins bien que la Chine, qui affiche un triplement sur la période, mais ce n'est pas hors proportion.
Le score de la croissance va se situer pas loin de 7 % pour l'exercice 2018 (qui sera clos le 31 mars) et, pour cette année, les 7,2-7,3 % apparaissent assurés. La résistance de l'Inde au ralentissement du commerce mondial est ainsi démontrée, avec un taux qui va être supérieur de 1% à l'affichage chinois.
Les réformes engagées depuis 2014 visent à augmenter ces performances indépendamment de l'évolution du cycle mondial. Certes, le pays n'a pas été changé comme les ambitions l'annonçaient, mais l'assainissement, salué par le Fonds Monétaire International, s'est opéré sans une purge qui aurait cassé la dynamique. La démonétisation, puis l'instauration d'une taxe unique étaient les préalables à créer de fait un marché unique en Inde. À partir de là, les réformes structurelles comme celles du marché du travail ou des régimes sociaux peuvent se développer et produire des fruits. La meilleure pratique du monde des affaires et plus de transparence ont renforcé les investissements étrangers, par ailleurs facilités par des règlementations assouplies.
Les traductions financières ne sont pas mauvaises. La roupie a limité à 10 % sa baisse face au dollar durant le mandat et s'est stabilisée depuis la fin 2016. L'assainissement fiscal a stabilisé la dette et le déficit public de 6,6 % du produit intérieur brut qui ne semble pas poser de problème de financement. L'inflation tourne autour de 4 % ce qui reste (modérément) excessif, mais qui est dû pour une part au poids des évolutions des cours du pétrole. Au bilan, l'indice BSE Sensex de Bombay affiche une progression de 70 % en 5 ans, de 50 % sur les trois dernières années et encore de 15 % en un an.
Le bilan n'est évidemment pas parfait et les grandes questions sont la réduction du chômage que la stabilisation de la croissance à plus de 7 % ne suffit pas à régler, loin de là, ainsi que celles des inégalités.
Ce serait presque une première de constater de vrais effets positifs à un programme de réformes libérales inscrit dans la philosophie du FMI. On n'en est pas si loin et, très probablement M. Modi va disposer des cinq années à venir pour le démontrer. Le parti du Congrès et son leader Raul Gandhi ne sont pas parvenus à proposer un programme qui aille au-delà de la critique de la politique des sortants. Les observateurs ont noté qu'il évite soigneusement par ailleurs de se prononcer sur les questions « nationalistes » en défendant par exemple les minorités du pays.
Vu de l'extérieur, l'Inde ne s'est pas tournée vers la stratégie mercantile de la Chine. Un modèle interne est par nature plus long à se développer, mais est moins lié à des facteurs extérieurs. Ce qui nous parle le plus, au-delà des données statistiques générales, c'est le développement d'une classe moyenne. La Banque Mondiale estime que la population pauvre est revenue de 37 % de la population en 2004 à moins de 25 % aujourd'hui : c'est le défi de long terme. En sens inverse, une classe moyenne correspondant aux standards occidentaux rassemble désormais plus de 5 % des Indiens, ce qui fait plus que la population française. De plus, les deux premières classes triées par le revenu progressent plus vite que la population.
La consommation générale qui suit un rythme annuel de +12 à +15 % est et va rester le point d'appui d'une économie qui est déjà la sixième mondiale au service d'une population qui sera la première d'ici à 2025. Le potentiel est là et les conditions pour son développement peut-être aussi.