Le thème de la diversification des actifs revient en force dans les salles de marché et chez les investisseurs professionnels, assez paradoxalement peut-être après l'année noire de 2018 qui a vu la quasi-totalité des classes d'actifs afficher des performances négatives. Pour autant, l'envolée des encours des fonds d'investissement privés (Private Equity, infrastructures, dette privée) met en évidence l'attrait pour les investisseurs institutionnels des placements dits « réels » : cet encours a été multiplié par 2,5 en dix ans, pour dépasser 4.500 milliards de dollars au plan mondial. Pour être complet dans le concept des « actifs réels », il faut ajouter les fonds d'arbitrage (Hedge Funds), l'immobilier en direct et les matières premières considérées comme placement.
Les spécialistes d'Amundi – le leader européen de la gestion d'actifs avec un encours de plus de 1.400 milliards d'euros fin 2018 – ont présenté cette semaine une étude recherchant l'apport de ces « actifs réels » dans un portefeuille multi- actifs. Plus que la définition du « portefeuille optimal » défini par leur analyse des évolutions passées, elle met en évidence des tendances longues qui parlent finalement à tout le monde.
L'attrait des actifs non cotés est d'abord psychologique : les à-coups liés aux mouvements de marché sont évacués et, d'une certaine façon, le détenteur a un sentiment de sécurité et celui d'échapper aux baisses. C'est bien sûr un biais, mais quand on possède un bien immobilier par exemple, on sait qu'il est toujours là d'un jour sur l'autre alors qu'un portefeuille d'actions ou d'obligations peut se déprécier fortement et quasi-immédiatement.
Le porteur d'un portefeuille coté qui, comme celui d'actifs réels peu liquides, se donnerait un horizon assez long avant de même chercher à évaluer le bien, ne devrait a priori pas obtenir un retour si différent. En quelque sorte, l'absence de cotation et donc de volatilité immédiate protègerait de décisions ne cadrant pas avec une vision de long terme, en contraignant l'investisseur à adopter la maxime « quand on n'a pas vendu, on n'a pas perdu ». Quand le bien n'est pas liquide, on ne peut pas vendre sur une réaction.
Un gérant pour compte de tiers ou un détenteur de patrimoine, qu'il soit privé ou institutionnel doit faire correspondre la liquidité de ses actifs avec celle de ses passifs. Cela limite les placements en biens réels, mais, évidemment, cela ne les interdit pas absolument.
La première question est la rémunération qui doit être obtenue en contrepartie du renoncement à la liquidité. Par la performance bien sûr, mais surtout par la diversification dans les différents stades des cycles et par des comportements décalés par rapport aux actifs cotés, l'analyse sur 40 ans, met en évidence un apport positif.
Ce qui ressort de l'analyse, c'est surtout la différence initiale : on n’investit pas dans des marchés, mais dans des biens dans le cas de l’immobilier et des matières premières ou dans des deals, des projets dans le cas du Private Equity, de la dette privée ou des infrastructures (qui peuvent aussi être finalement des biens réels). Le cas des fonds d'arbitrages (Hedge Funds) est différent, car l'investissement est dans une gestion, un process pour profiter des écarts de marché, mais est précisément peu corrélé avec leurs évolutions.
Ainsi, au total, les « actifs réels » ont présenté une corrélation plutôt faible avec les actifs cotés.
Le succès du concept auprès des investisseurs institutionnels s'est encore renforcé après l'année 2018, à l'issue de laquelle les actifs cotés se sont pratiquement tous dépréciés : l'absence de cotation avait joué et les deals ou les biens réels n'ont pas eu à subir les anticipations des marchés. Il est assez logique de trouver la diversification comme principale motivation de la part des grands investisseurs, davantage que les flux de revenus relativement assurés et la protection contre l'inflation.
Amundi estime que les trois quarts des investisseurs institutionnels dans le monde sont investis dans au moins une des classes dite réelle (Private Equity, Fonds d’arbitrages, immobilier en direct, infrastructures, dette privée, matières premières) et que 43 % sont positionnés sur quatre et plus.
Au-delà de la diversification, les rendements cibles sont aujourd'hui supérieurs aux potentiels des marchés financiers. On comprend cependant que l'effet rareté des deals ou des immeubles a joué, mais il peut continuer à le faire. Cela dit, les frottements (commissions diverses) sont très supérieurs à ceux qui obèrent les rendements des gestions classiques. Une situation qui devrait trouver certaines limites du fait de la concentration des acteurs comme les fonds Apollo en sont l'illustration.
Le « portefeuille optimal » qui a accru la valorisation, limité des à-coups en bénéficiant d'une moindre volatilité dans les baisses et d'un rappel plus rapide dans les rebonds est estimé chez Amundi avec une exposition de 30 % à ces fameux « actifs réels ». Quand on parle de « réel », cela exclut les supports indirects. Ainsi, les sociétés foncières ne présenteraient pas les atouts de diversification et de valorisation qui sont ceux de l’immobilier détenu en direct, les producteurs d'or ou de matières premières pas plus ceux de l’investissement direct. Au sein de ces fameux 30%, pratiquement la moitié serait idéalement consacré à l’immobilier en direct.
Au-delà de l'effet de mode et de la crainte de la volatilité du coté, au-delà de performances sur 40 ans qui ont été portées (comme celles des Bourses) par une baisse continue des taux d'intérêt, les leçons de l'étude sont finalement celles du bon sens. Le placement coté correspond, pour l'investisseur quelle que soit sa taille, à ses besoins potentiels de trésorerie ; il est indispensable pour gérer son passif à venir. Au-delà, la question est celle du long terme, tant pour le rendement que pour la valorisation.
D'une certaine façon, cela signifie que les détenteurs à long terme profitent de la valorisation liée à l'expansion économique – qui comprend les effets de productivité et de démographie. C'est ce qui explique la prospérité historique des compagnies d'assurance : en s'extrayant des volatilités les capitaux ont créé de la valeur à long terme qui a amplifié la croissance. C'est ce qui explique aujourd'hui comment leur modèle est cassé : les règlementations européennes (Solvency II) imposent aujourd'hui une répartition des actifs qui leur interdit pour une grande part de profiter de la croissance et de position d'investisseur de long terme. On imagine que cela ne pourra durer.
L'analyse « actifs réels » explique aussi pourquoi l'écart de patrimoine entre les ménages allemands et les ménages français continue à se creuser au profit de ces derniers, malgré un écart (limité) de croissance jouant en sens inverse. Avec plus de la moitié de leur patrimoine investi directement en immobilier, avec plus accessoirement des actifs professionnels (entreprises, terres agricoles, fonds commerciaux,..) les Français ont pris en compte de longue date ce besoin de diversification qui concoure au « portefeuille optimal ». Il est vrai que la poche liquide de flux de rendements sûrs – l'assurance vie en euros – doit trouver son relais comme l'ont trouvé les institutionnels au travers de la dette privée ou des infrastructures. Mais, si on en reste à l'analyse historique, le bon sens a offert ce rendement optimal analysé par la théorie.