Il est un peu des marchés du pétrole comme de celui des changes : les prévisions sont quasi-impossibles et sont souvent prises à contrepied. Ce qui frappe aujourd'hui, c'est la violence des écarts. Après avoir été multiplié par trois de janvier 2016 à début octobre 2018 (près de 89 dollars), le baril qualité brent était revenu à 50 dollars fin décembre. La chute de plus de 40 % en moins de trois mois a été rattrapée pour une bonne part : à 75 dollars, le rebond par rapport aux plus bas de 2018 se monte à 50 %.
Sans pouvoir pronostiquer les variations à venir (dans cette même chronique le 26 février, une stabilisation entre 60 et 65 dollars était envisagée), les facteurs de la hausse peuvent être définis et conduire aussi à anticiper leurs effets.
C'est du côté de l'offre qu'est venue l'actualité. Alors qu'en février M. Trump avait surpris en affirmant que le pétrole était trop cher, visant une stabilisation entre 60 et 65 dollars pour le baril de brent, il a provoqué cette semaine un regain de hausse en annonçant ce week-end de lever les exemptions à l'importation de pétrole iranien.Cinq pays sont dans le viseur et menacés, s'ils poursuivent leurs achats, des sanctions américaines parmi les huit qui bénéficiaient des exemptions, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, le Japon et la Turquie s’approvisionnent en Iran. L’Italie, la Grèce et Taiwan sont déjà sortis de ce marché. La Turquie a déjà rejeté l'embargo, ce qui amène à chiffrer le retrait de l'offre sur les marchés internationaux à un peu plus d'un million de barils/jour, ce qui est de l'ordre d'un peu plus de 1 % de la consommation mondiale, alors que les productions libyennes et vénézuéliennes sont affectées par des tensions internes politiques et/ou sociales.
Les anticipations américaines après ce nouveau coup de force reposent sur une compensation de la production par les pays de l'Opep, principalement l'Arabie Saoudite, et par la Russie. Ce serait une inversion – qui devra être concertée – par rapport à la stratégie actuelle au sein du « club des 10 », les trois pays produisant plus de 10 millions de barils / jour : États-Unis, Arabie Saoudite, Russie.
La gestion du Royaume Saoudien semblait jusqu'ici de réduire sa production pour établir durablement 70 dollars comme prix plancher pour le baril.L'offre de pétrole est cependant portée par la Russie qui gère sa production pour contenir la hausse et, surtout par les États-Unis, le premier producteur mondial avec 12 millions de barils/jour en mars, indépendant énergétiquement, et dont l'industrie se prépare à une croissance des exportations. À la fin de l'année la progression de sa production pourrait avoir compensé intégralement le retrait de l'offre iranienne.
Pour autant, le déficit du marché mondial de l'ordre de 500.000 barils/jour au second semestre va peser sur les stocks et, en tout cas à court terme, tenir les niveaux élevés du baril.
Car en face de cette offre stabilisée par l'oligopole de fait, la demande progresse toujours. L'année dernière, la consommation mondiale a crû de 2,3 %, retrouvant des niveaux de progression de la fin de la décennie 2000.
Cette croissance qui progresse quand le commerce mondial et le cycle marquent une inflexion est un peu contre-intuitive. Ce sont précisément les craintes sur l'activité qui avaient provoqué l'effondrement du baril au quatrième trimestre 2018.
Aujourd'hui, sous la pression de politiques monétaires ultra expansionnistes dans les grandes économies et de programmes d'investissement dans d'autres la conjoncture apparaît stabilisée. Les indicateurs avancés annoncent une croissance modeste, mais une croissance réelle. Elle reste au-dessus de son potentiel.Des prix de l'énergie en (forte) hausse et des Bourses qui montent sont le signe d'un choc de demande. La conjoncture chinoise et ses conséquences sur l'ensemble des pays émergents poussent cette demande dans une vraie tendance.
Les effets récessifs du renchérissement de la facture énergétique ne sont pas à mésestimer. On observera qu'ils frappent d'abord les pays dont la croissance a une forte composante de consommation. Ce sont les zones en stagnation : Europe, Japon et celle dont le taux d'expansion s'infléchit (États-Unis). La hausse a redistribué les cartes la réduction de pouvoir d'achat pour les ménages américains est par exemple estimée à 0,5 %. La croissance de l'industrie pétrolière américaine peut compenser pour une part mais, à un an et demi des élections présidentielles, il y a de bonnes chances pour que de nouveaux stimuli budgétaires soient mis en oeuvre par l'administration Trump.
Ce qui est en tout cas patent, c'est aujourd'hui la visibilité sur la rentabilité revue à la hausse de l'industrie pétrolière et des marchés qui s'accroissent pour les services pétroliers.