Trump, le retour. Le dernier épisode de l'affrontement dans le dossier des règles commerciales avec la Chine a secoué les esprits et, aussi, les marchés. L'ultimatum lancé lundi est allé en sens inverse des informations données par les deux parties, y compris du côté américain et au sein même des équipes de la Maison Blanche. Le Président américain a déclaré qu'il passait dès vendredi de 10 % à 25 % les taxes à l'importation sur 200 milliards de biens chinois déjà taxés. Les 340 milliards non taxés sont de plus dans le viseur.
La nécessité d'un rééquilibrage est très largement partagée. Les facteurs de risque portés par les déficits jumeaux américains - commercial et budgétaire – sont dénoncés par les économistes, les financiers et les divers gouvernements. Les appels à les réduire sont nombreux et insistants. Du côté Chinois, la même unanimité plaide pour un changement de modèle, s'appuyant sur les facteurs internes et faisant plus de place aux services.
Le moins qu'on puisse dire est que l'évolution a été au mieux timide, au plus inexistante, depuis le début de la décennie. La problématique est évidemment chiffrée par les données de la balance commerciale américaine des biens. Le déficit s’est monté à 890 milliards de dollars en 2018 dont 48 % avec la Chine. C'est le plus gros contributeur au déséquilibre, devant le Mexique (9,2%), l'Allemagne et le Japon (7,8%), l'Irlande (5,3%), le Vietnam (4,5%) et l'Italie (3,6 %).
Le solde général est réduit par un excédent des services (270 milliards de dollars), mais le résultat est là et l'administration américaine, celle de M. Trump ou tout autre, se doit de traiter le sujet.
Il y a un vrai consensus pour saluer l'accord Alena renouvelé il y a six mois avec le Canada et le Mexique comme « très bon » et de nature à favoriser la croissance économique des trois États par la définition de dispositions visant à la fois à « résoudre les enjeux commerciaux du XXIe siècle » et promouvoir les débouchés de la production Nord-Américaine.
Après avoir conclu avec ses voisins, et avant de redéfinir les choses avec l'Europe et le Japon, le Président américain se devait de s'attaquer sérieusement au gros morceau qu'est la Chine.
Voilà maintenant six mois que les négociations se tiennent et avancent selon les informations que les négociateurs ont laissé filtrer. Mettre à plat des enjeux d'aussi gros montants entre les deux principales économies mondiales est évidemment complexe. Les sujets ont cependant été assez clairement délimités dès le départ : devise, barrières non douanières (pour éviter les barrières douanières), accès au marché des services, agriculture, propriété intellectuelle et transferts de technologie. Ces deux derniers points sont ceux qui ont donné lieu au plus de contestations. Les avancées technologiques chinoises justifient aux yeux des deux parties une nette évolution des pratiques. Cependant, les dossiers sont en quelque sorte renvoyés en commission avec l'acceptation par la Chine du principe de « panels » en charge de régler les contentieux. Pour ce qui concerne directement les transferts (forcés) de technologie, la demande américaine de produire en Chine sans l'obligation d'un partenaire chinois, gros minoritaire ou à 50/50, semble avoir été acceptée dans un premier temps, mais apparaît aujourd'hui stoppée. Les procédures de modification de réglementation ne sont pas engagées et, il semble, pas même envisagées.
La situation est un peu similaire pour ce qui concerne l'ouverture du marché chinois aux services, en particulier financiers.
Les avancées apparaissent aussi plutôt modestes pour ce qui concerne les barrières non tarifaires, tant pour ce qui concerne les discriminations règlementaires pour les marchés que pour les subventions : les deux pays sont plutôt protectionnistes, et il semble que des concessions américaines n'ont pas permis d'envisager des contreparties chinoises à hauteur.
Pour l'Agriculture, la Chine a semble-t-il pris des engagements, mais, pour l'industrie, les États mettent en avant la liberté des entreprises de choisir leurs fournisseurs.
Au bilan, on comprend que les annonces répétées de la proximité d'un accord visaient plus à sauver la face et à figer les sanctions croisées qu'à bâtir vraiment une nouvelle règle du jeu. Les Américains comme les Chinois ont durci ces dernières semaines leurs positions sur ces bases pourtant limitées.
On peut trouver cela assez classique pour une fin de négociation : le poteau d'arrivée s'approchant, un peu de surenchère peut être efficace pour obtenir davantage de son partenaire. À ce jeu, l'ultimatum de 4 jours de M. Trump est une attaque interdisant aux négociateurs chinois la menace de faire capoter un accord, faute de concessions de Washington.
La conjoncture économique a évidemment relancé la donne. La croissance forte des deux côtés du Pacifique au premier trimestre, l'exceptionnelle santé du marché du travail américain, sont autant de données qui relativisent le risque (réel) de peser sur la croissance par la poursuite d’une guerre commerciale. Les spécialistes de l'OCDE chiffrent à 0,4 % pour le PIB américain et à 0,6% pour le chinois la baisse dans le cas de passage à 25 % la taxe sur les 200 milliards d'importations annoncé par M. Trump. Les chiffres sont portés à 0,8% (États-Unis) et à 0,9 % (Chine) si tous les produits devaient être taxés. M. Trump et M. Xi peuvent aujourd’hui se dire qu'ils ont les moyens de poursuivre le bras de fer.
Après son ultimatum, le Président américain a abattu ses cartes : il s'estime en position de force à un point tel que la Chine voudrait, selon lui, conclure un accord commercial presque à tout prix. Ce scénario, celui du bluff classique de fin de négociation, est loin d'être certain.
Ce qui l'est en revanche, c'est que la portée finalement limitée d'un accord va être prise en compte par les marchés, même si il devait y avoir finalement signature. Les investisseurs avaient considéré la négociation pliée, la conclusion n'étant plus qu'une affaire de calendrier. Ils doivent réviser les scénarios et prendre en compte plus d'incertitudes. La baisse du yuan depuis le début de la semaine (0,7 %) en est un signe.
Les Bourses cherchaient une raison de consolider après la forte progression depuis le début de l'année. La saisonnalité du mois de mai joue, mais les ajustements apparaissent pour le moment plutôt contenus.