L'actualité économique et les marchés financiers sont dominés par les épisodes publics ou les rumeurs orientées concernant la négociation commerciale entre les États-Unis et la Chine. De fait, dans les derniers mois, les effets porteurs des politiques monétaires accommodantes ou ultra-accommodantes des grandes banques centrales, sur fond de stabilisation de la croissance, n'ont trouvé de résistance sur les marchés financiers que face à la montée des tensions de la guerre commerciale. Il y a pourtant bien des risques qui semblent ignorés ou peu pris en compte. Parmi ceux-ci, il est un qui a disparu des radars dans des proportions qui surprennent un peu : le Brexit.
Les négociations internes dans le Royaume-Uni, et aussi celles avec les négociateurs de l'Union Européenne, se font discrètes. C'est en principe de bon augure, tant que la surenchère médiatique et politique peut polluer des pourparlers complexes et quelquefois techniques. En l'espèce, c'est aussi parce qu'il est de plus en plus difficile d'y voir clair, d'appréhender l'évolution des choses. Plus cela a avancé, plus les dates ont été repoussées, plus le dossier est flou. On n'a pas l'impression que les « décideurs », au sein du gouvernement et du Parlement britannique, au sein de la Commission ou dans les gouvernements continentaux derrière l'Allemagne, contrôlent la situation.
La phase 1 de la négociation menée entre le gouvernement de Mme May et les négociateurs continentaux emmenés par M. Barnier s'était conclue en décembre 2017 sur un accord cadre. Cela pouvait être considéré comme encourageant, 18 mois après le référendum du 23 juin 2016 ayant décidé de la sortie du Royaume- Uni de l'Union Européenne. L'optimisme devait cependant être tempéré par le périmètre de cette phase 1 et par la nécessité que ces accords, validés par l'Europe des 27 « restants », le soit finalement par le Parlement de Westminster.
Le compromis de décembre 2017 a été validé par les chefs d'État et de gouvernement de l'Union Européenne sous la forme d'un satisfecit marqué par le volontarisme : ils avaient estimé que des « progrès suffisants » avaient été réalisés et permettaient que la phase 2 des négociations soit enclenchée. En fait de progrès, on avait constaté plus d'intentions que d'engagements. Le principe de la facture du divorce avait été retenu, avec une estimation de 40 à 50 milliards d'euros, à acquitter par le Royaume-Uni à l'UE, en fonction de la réalisation de projets engagés ou décidés et pour la part de financement revenant aux britanniques. Ce qui annonçait un versement au montant inconnu pour une part et étalé au moins sur une dizaine d'années.
De même le règlement des statuts des impatriés (ressortissants européens résidant au Royaume-Uni et sujets britanniques résidant dans l'UE) avaient été remis à plus tard, sur la base de principes plutôt flous. Enfin, la reconstruction de frontières physiques et maritimes entre la République d'Irlande et la province de l'Ulster avait été écartée, sans que des modalités pratiques de frontières commerciales ou fiscales soient évoquées.
Cette fameuse phase 1 ne réglait pas grand-chose de vraiment concret, on le voit. Sa validation en Conseil Européen avait simplement permis d'aborder la phase 2, c'est-à-dire l'accord au fond, devant être validé par les continentaux. Pour Westminster, c'est l'accord global (phases 1 et 2) qui devait faire l'objet d'un vote positif.
C'est justement le Parlement britannique qui a pris en main en 2018 et jusqu'à aujourd'hui, sinon l'issue de la négociation, du moins le calendrier. De report en report, d'hypothèses en hypothèses, de votes des Communes en votes des Communes, les étapes de la dernière chance ont aujourd'hui un terme fixé au 30 octobre. Les sujets d'Elizabeth II vont donc élire des députés au Parlement européen à l'issue d'un scrutin tenu le 23 mai.
Les deux grands partis – conservateur et travailliste – sont partagés en interne sur la question du Brexit. Cependant, leurs dirigeants ont de bonnes chances d'arriver à un accord plutôt majoritaire. Il semble qu'ils visent même à présenter leur schéma aux continentaux de façon à ce qu'il puisse être validé avant l'ouverture de la session de Strasbourg le 2 juillet. Cet accord qui permettrait aux Anglais de suivre leur tradition diplomatique de défense stricte de leurs intérêts, on en imagine finalement les contours.
Le maintien d'une union douanière pourrait être l'élément central de la garantie de relations économiques étroites entre le continent et le Royaume-Uni dans l'avenir. On comprendra qu'il s'agirait dans les grandes lignes de ce que le brief donné aux négociateurs en octobre 2016 cherchait à éviter : accorder au sortant les avantages d'un membre tout en l'exonérant de contraintes. Donner au Royaume-Uni un statut comparable à celui de la Suisse ou de la Norvège qui sont loin d'avoir sa taille, ne pourra à terme qu'inciter d'autres pays à quitter l'Union pour être traité de la même façon généreuse.
La couleuvre sera sans doute difficile à avaler par les continentaux et, en particulier par le président français. Mais la nécessité d'éviter un Brexit sans accord (no deal) est maintenant bien comprise et le gouvernement allemand a trop d'intérêt en jeu pour ne pas chercher à imposer un accord. Sa position a toutes les chances d'emporter la décision.
Si effectivement la nécessité devait finalement faire loi, le Royaume-Uni pourrait poursuivre dans un environnement qui ne lui a pas si mal réussi depuis 2016. Sa croissance moyenne est un peu supérieure à celle de la France et un peu inférieure à celle de l'Allemagne. Il n'y a pas eu de rupture : le poids de l'incertitude politique et économique, en particulier sur l'investissement, a été contrebalancé par la baisse de la livre sterling. La monnaie britannique a perdu 25 % face à l'euro. Ainsi l'économie britannique a pu bénéficier d'une dévaluation compétitive tout en restant - pour le moment - dans l'Union Européenne.
La suite des opérations pourrait permettre aux britanniques, grâce à une union douanière, de conserver l'arme du change dans le marché européen. Des pays comme l'Italie ont une croissance bloquée par la force de l'euro, la France a un moment sous-performé l'Allemagne pour les mêmes raisons : on imagine mal que de nouveaux mécanismes de souplesse ne s'instaurent finalement pas au sein de la zone euro après une nouvelle donne face au Royaume-Uni. Le risque du Brexit est sans doute aujourd'hui d'abord celui de la règle du jeu entre continentaux.
En tout état de cause, la stabilisation de la livre et l'analyse politique et économique plaident pour les actions anglaises dont la décote par rapport aux Bourses de la zone euro a des raisons de se réduire.