Les maximes se vérifient, surtout quand on les évoque a posteriori. Cependant, cette année encore, Sell in may and go away s'est confirmé. Le mois de mai s'est ainsi clôt à Paris sur une baisse de 6,8 % de l'indice CAC 40. Le dicton est quelquefois prolongé de Buy back on Derby day. Le Derby d'Epsom s'est disputé le samedi 1er juin. Depuis le 3 juin, le CAC 40 affiche une hausse de 5,2 %. L'indice est pratiquement revenu à son niveau du début mai, qui correspond aussi aux plus hauts de l'été 2018 et à sa valeur fin septembre, avant la chute de l'automne. Le rebond a été brutal le mardi 18 juin, avec des avances de plus de 2 % sur la séance. Et même sur la dernière partie de la journée de Bourse, puisque c'est une intervention de Mario Draghi, le patron de la Banque Centrale Européenne, qui l'a provoqué. La gestion des portefeuilles se doit de chercher des points d'appui concrets dans ces mouvements d'aller et retour qui semblent plutôt techniques dans des fourchettes qui se délimitent avec le temps.
Le premier des déterminants pour l'évaluation des actifs est, aujourd'hui plus que jamais, la politique monétaire. Les marchés financiers sont en quelque sorte des drogués au stimulus monétaire tous azimuts et sans cesse renouvelés.
Du côté américain, la Réserve Fédérale est prise en tenaille entre le souci – peu discret – du président de la voir soutenir l'économie et des marchés financiers qui ont imposé depuis six mois un revirement complet. Les anticipations de baisses de taux directeurs et leurs effets sur la hiérarchie des rendements sont élevées : trois baisses de 0,25 % d'ici au 1er trimestre 2020, et une poursuite ensuite. La marge de manoeuvre de la Fed pour freiner est assez limitée, même si un discours très conciliant peut étaler dans le temps cette baisse des taux qui semble inscrite.
Mardi, « Super » Mario Draghi a profité du séminaire de la BCE pour nous refaire le coup de son « Peu importe le coût » (whatever it takes) de 2012. À l'époque, il s'agissait de promettre des moyens sans limites pour sauver l'euro. Aujourd'hui, la même détermination est affichée pour réagir à une conjoncture qui ne s'améliorerait pas suffisamment pour permettre un retour durable de l'inflation.
C'est la clé de l'environnement monétaire : les points morts d'inflation et toutes les anticipations des marchés financiers mettent en évidence une croissance qui s'infléchit, tout en restant positive, et une inflation qui semble n'avoir aucune chance de s'approcher des objectifs des banques centrales. Il n'y a pas de cycle d'inflation malgré de nombreux pays au plein emploi. Le mandat des grands argentiers est la stabilité financière – surtout pour ce qui concerne la BCE – et il est cohérent de les voir fixer un objectif aussi à la hausse.
La donne monétaire s'inscrit ainsi dans la conjoncture magique pour la valorisation des actifs : croissance – taux bas – pas d'inflation. Ce qui est nouveau, au travers aussi bien des anticipations sur les marchés de taux qu'au travers des discours des grandes banques centrales, c'est l'absence d'une référence à une fin des stimulus monétaires.
Le deuxième facteur à prendre en compte pour trouver un point d'appui pour une gestion de portefeuille, c'est la tendance des bénéfices des entreprises.
La recherche du rendement dirige les flux vers les actions, mais taux directeurs bas et taux longs également bas – et même négatifs comme le dégagent aujourd'hui les emprunts d'État à 10 ans allemands ou français – n'annoncent pas de bonnes nouvelles pour les économies.
La croissance se réduit, mais les estimations restent encore dans une inflexion. Les scénarios tournent autour de 3,3 % au plan mondial cette année et sensiblement mieux et de l'ordre de 3,5 % en 2020. Les pays développés se stabilisent entre 1,6 % et 1,8% sur les deux exercices, et les émergents à 4,1 % cette année et plus de 4,5% l'année prochaine. Comme le résume dans une formule heureuse Raphaël Sobotka, chez Amundi, « nous sommes en fin de cycle, mais pas à la fin du cycle ».
Les indicateurs avancés montrent bien le ralentissement de la croissance : les indices PMI des directeurs d'achat sont en contraction au plan mondial pour les secteurs manufacturiers (indice inférieur à 50) et, soutenus par les économies domestiques, les indicateurs pour les services se retrouvent autour de 51, leur plus bas niveau en trois ans.
À partir de là, les mauvaises nouvelles économiques peuvent-elles continuer à être de bonnes nouvelles pour les Bourses puisqu'elles incitent les banques centrales à être de plus en plus offensives ? Évidemment les discours ultra-accommodants font craindre que les grands argentiers réagissent en réalité à des signes de forte baisse de l'inflation, de déflation ou même de récession. Le changement de stratégie depuis six mois, qui tourne le dos à une normalisation monétaire et à des réductions de dettes, est-il préventif ou réactif ? Dans le premier cas, la confiance absolue des investisseurs se justifierait en partie, dans le cas inverse, la situation serait plus tendue.
L'évolution des bénéfices des sociétés est en ligne avec ce cycle long et modéré. Les estimations pour cette année ont été nettement revues à la baisse depuis janvier. Pas très loin d'une division par deux de la progression des profits, pour se situer près de 4,20 % au plan mondial, 3,5 % pour les compagnies américaines et 4,6 % pour celles de la zone euro. Mais les analystes financiers restent plutôt optimistes pour 2020 malgré la croissance qui se modère : ils anticipent +10 % au plan mondial, autant en zone euro, +11,5 % aux États Unis, une moyenne de +14 % dans les pays émergents.
Sur ces bases, les ratios boursiers se situent à des niveaux proches des moyennes historiques. Les américaines sont à leur prix, les européennes décotent légèrement. C'est là que se situe la clé de l'évolution des Bourses, au-delà des risques politiques et géopolitiques : si les bénéfices 2020 sont au rendez-vous, on restera dans la tendance de valorisation des actifs poussée par l'absence d'inflation et les banques centrales. Si les estimations 2020 devaient être nettement révisées, les cours suivraient forcément. Le rendez-vous est fixé en septembre et donnera la direction.