Le bras de fer entamé à Hong Kong par le bureau politique du parti communiste chinois prend un peu de court. Vu des marchés financiers, il s’inscrit dans la longue liste des événements exogènes qui bousculent les certitudes au coeur du mois d’août. Chacun de ces cygnes noirs – les nouvelles qu’on ne pouvait pas imaginer bousculant les certitudes – a apporté ses chocs boursiers, souvent, rattrapés dans les quatre mois suivants, mais pas toujours. Ils ont à chaque fois entraîné une forte volatilité et, aussi, des arbitrages entre les actifs et, au sein des portefeuilles d’actions, entre des concepts, des secteurs, des zones géographiques.
La facilité de l’analyse à distance a incité à considérer d’abord que l’affaire de Hong Kong était un épisode de la négociation commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Répugnant à utiliser l’arme du change dans des proportions significatives, le pouvoir de Pékin s’est placé sur le plan politique. On ne peut pas écarter les visées sur ce qui est la grande affaire conditionnant la croissance du pays et donc l’équilibre social de 1,4 milliard de personnes : les discussions commerciales. C’est en réponse à cette possibilité qu’on peut interpréter la neutralité des propos officiels de l’administration américaine et du Président. Sans que l’accusation d’avoir donné un feu vert à M. Xi Jinping soit vraiment crédible, M. Trump a soigneusement évité de prendre parti se bornant à appeler les antagonismes « à s’abstenir de toute violence ». Dans la guerre commerciale et les enjeux de la définition de nouvelles règles, les négociateurs veulent éviter que le statut de Hong Kong et de ses ressortissants puisse devenir une monnaie d’échange.
Cet appel au calme si modéré au moment où les services de renseignements américains informent le monde entier des mouvements de troupes dans la province de Guangdong et la région autonome de Guangxi limitrophes de Hong Kong, est-il à la hauteur ?
Hong Kong n’est pas vraiment un territoire comme un autre. L’ancienne colonie britannique bénéficie du statut de Région Administrative Spéciale comme Macao, ancienne possession portugaise. C’est un nain démographique dans la Chine : 7 millions d’habitants, soit 0.5 % de la population de l’Empire du Milieu. Mais c’est une puissance économique et, d’abord, financière.
Son produit intérieur brut de 3.63 milliards d’euros équivaut à 2.7 % de celui de la Chine. Rapporté à un habitant, l’écart est ainsi impressionnant : les Hongkongais ont généré chacun 48.720 dollars en 2018, un peu plus que les Allemands, 78 % de ce qu’ont fait les Américains, et 5 fois ce qu’ont produit les Chinois de la République Populaire (hors Macao et Hong Kong).
Hong Kong est la 36ème économie mondiale. Ses activités portuaires le placent au troisième rang sur la planète en se basant sur le nombre de containers qui y transitent. C’est enfin aussi la troisième place financière, derrière New-York et Londres.
Ces forces héritées des 90 ans de possession par la couronne anglaise, mais aussi par le régime « un pays, deux systèmes » mis en place pour 50 ans en 1997 lors de la rétrocession du territoire à la Chine, ont porté la croissance chinoise globale. Septième exportateur mondial en termes monétaires, Hong Kong est une plateforme de réexportation : aussi bien ses importations que ses exportations de 1,13 milliard de dollars (près de 6 % des exportations mondiales) sont réalisées avec la Chine. Le reste est très majoritairement des exportations de produits chinois et des importations à destination de l’Empire du Milieu.
La place financière est aussi le premier acteur de financement externe de l’économie malgré un régime d’actions à statut, les unes réservées aux résidents et les autres placées sur un marché ouvert.
Ce n’est pas un hasard de constater la puissance économique de la mégalopole du delta de la Rivière des Perles voisine de Hong Kong et dont Shenzhen est le centre. La ville, dont la population est passée de moins de 50.000 habitants en 1970 à 13 millions aujourd’hui a connu une croissance moyenne de 25% dans les 40 dernières années. Symbole de l’entrée de la Chine dans la mondialisation, la mégalopole est organisée dans un écosystème partagé avec Hong Kong et a été retenu pour être la place boursière de la République Populaire. Financement, ouverture mondiale, échanges facilités par la plateforme de réexportation voisine : les éléments ont été réunis pour que la Rivière des Perles soit la Silicon Valley du pays. Le géant Huawei est le symbole et le porte-drapeau de la mégalopole.
Au moment où, justement, la guerre commerciale sino-américaine inclut la propriété intellectuelle et les constitutions de données, Huawei est un des grands dossiers de la confrontation. On comprend ainsi que le poids économique de Hong Kong est tel que le statut de ses ressortissants ne peut être une variable de la négociation globale. La croissance chinoise ne peut être risquée au moment où les armes monétaires et budgétaires sont mobilisées pour sauver les 6 % annuels définis par le bureau politique et affirmés lors du XIXème congrès du parti.
Le durcissement du régime de Hong Kong avant même la moitié de la période de statut garanti qui se terminera en 2047 obéit sans doute davantage à des préoccupations internes qu’à un jeu mondial. S’il y a eu tentations, M. Trump les a refreinées dès le début de la crise. Le parti communiste ne peut perdre la face et devra obtenir des avancées (nous dirions des reculs de liberté). Mais la Chine n’a pas les moyens d’une cassure et, sans doute, un compromis sauvant les apparences sera sans doute trouvé.
Hong Kong est finalement un nouveau risque pour les marchés financiers qui en prennent en compte sans cesse de nouveaux. Mais un risque bien moindre que celui de la guerre commerciale dont il ne peut pas vraiment être un pion.