Sans doute, les marchés financiers, les économistes et les pouvoirs politiques attendaient trop de Jackson Hole. Le symposium des banquiers centraux mondiaux tenu le dernier week-end n'a pas forcément clarifié l'avenir monétaire des États-Unis et, donc, de la planète. La faute une nouvelle fois à M. Trump ? En apparence, oui : de nouveaux épisodes de la guerre commerciale sino-américaine – annonces symétriques de hausse des droits de douane – ont occulté le discours tant attendu de Jerome Powell, le patron de la Fed.
M. Powell a fait le job fixé par les organisateurs de Jackson Hole. Il a placé dans une perspective historique (depuis les années 1950) son exposé sur « Les défis de la politique monétaire ». Les causes des crises des années 1970-1980 (les fortespressions inflationnistes) et 2000-2008 (endettements excessifs) ne lui semblent pas des facteurs de risques aujourd'hui. Le patron de la Réserve Fédérale a bien résumé la conjoncture née de la crise des subprime et de son traitement par les Banques Centrales sur fond d'une nouvelle étape de la mondialisation : inflation très faible ou inexistante malgré le plein emploi (aux États-Unis en tout cas), ce qui entraîne un maintien des taux d'intérêt à des niveaux faibles, nuls ou même négatifs.
C'est sur la dynamique actuelle que M. Powell était attendu. Il n'a pas pointé de risque pour l'économie américaine malgré un cycle de croissance qui a battu les records de durée. Les fondamentaux cadrent finalement la gestion monétaire dans les objectifs de la banque centrale américaine : l'emploi et la stabilité monétaire. Au regard du diagnostic plutôt positif sur l'évolution conjoncturelle de M. Powell, de nouvelles baisses des taux ou la reprise de programme d'injections monétaires dits non conventionnels ne semblent pas un passage obligé. Il n'en est pas de même en Europe et la BCE ne pourra qu'accélérer ses mesures de soutien.
Mais la gestion monétaire mondiale est soumise à un facteur que l'on peut qualifier d'exogène : la guerre commerciale. Concentrées sur la Chine (l'Europe et le Japon vont sans doute être épargnés au moins provisoirement) les injonctions américaines vont peser sur la croissance des deux côtés du Pacifique, sur l'expansion mondiale. C'est ainsi en fonction d'un calendrier géopolitique bien compliqué à anticiper que la Fed agira un peu à l'inverse des propos de son président.
En tout état de cause, les marchés financiers ont pris le pari de nouvelles baisses de taux directeurs américains. Ainsi, la hiérarchie des taux d'intérêt en dollar s'est inversée : le rendement des bons du Trésor à 2 ans (1,54 %) est supérieur à celui de toutes les échéances jusqu'à 12 ans. Cette courbe des taux inversée est le signe d'une anticipation d'un creux de conjoncture dans les deux à quatre ans.
Anticipation d'une récession ne veut pas dire récession finalement constatée : dans le passé, il y a eu des faux départs. Cependant, l'économie ne va pas tenir ou repartir sur la base du seul stimulus monétaire. C'est la politique qui devra agir.
Aux États-Unis, c'est d'abord une trêve ou, mieux, un règlement des différends commerciaux qui pourra soutenir l'activité. C'est ensuite un maintien des efforts budgétaires et une stabilisation de moyen terme du déficit budgétaire dans une zone de 5% du produit intérieur brut.
En Europe, les gouvernements prennent progressivement conscience que le laxisme de la BCE ne pourra pas tout. Mais vraiment très progressivement alors que l'urgence commence à poindre. Passer des analyses théoriques sur l'arme du déficit à un revirement de philosophie dans l'action budgétaire au sein de l'Union Européenne peut être long. Pour autant, nécessité fera sans doute loi. Les fondamentaux de l'économie allemande peuvent pousser les marchés financiers à un nouveau bras de fer : ils ont gagné face à la BCE en début d'année, ils le feront à un terme plus ou moins éloigné face aux gouvernements de l'UE et la Commission.
Systèmes différents, mais même besoin de policy mix des deux côtés de l'Atlantique. Les banquiers centraux qui ont jeté leurs dogmes aux orties attendent la même chose des pouvoirs politiques. Ces derniers ne résisteront pas éternellement aux conséquences d'une courbe des taux inversée.
La situation d'anticipation de baisse des taux américains n'a pas comme seule conséquence l'inversion de la courbe et, de fait, les avertissements aux deux responsables du mix de politique (monétaires et budgétaires). Elle libère les marges de manoeuvre chinoises dans la guerre commerciale pour son aspect guerre de position. En laissant filer le taux de change de sa monnaie, la Chine se place en quelque sorte en position de contrer des mesures douanières américaines pour un « conflit » qui peut durer.
Il peut sembler plutôt paradoxal de constater un retour du renminbi à sa parité dollar la plus basse depuis 2008 alors que des baisses de taux directeurs américains sont anticipées. Politique, budget et gestion monétaire sont moins indépendants que jamais. Le risque de cette rentrée est que le manque de collaboration conduise les marchés financiers à passer à la pression supérieure. Si la courbe inversée ne suffit pas, une correction d'automne du type de celle traversée l'année dernière pourrait suivre.