Les comités monétaires des banques centrales réunis ces derniers jours ont pris les mesures qui étaient anticipées. Si la Banque du Japon et la Banque d'Angleterre ont confirmé leur course d'attente, la Banque Centrale Européenne et la Réserve Fédérale Américaine ont suivi le consensus qui, il faut le reconnaître, était largement basé sur des déclarations précédentes des grands argentiers. Pourtant, on ne se situe pas dans le simple prolongement des décisions précédentes. La nouveauté ? Une certaine division, peut-être même des contestations sont apparues au sein des décisionnaires.
Mario Draghi a une nouvelle fois fait le job qu'attendaient les marchés financiers. Le 12 septembre, il a conclu le Conseil des Gouverneurs en annonçant des mesures de soutien : Baisse du taux directeur ; Relance de l'ajustement quantitatif (QE) et du refinancement ciblé de long terme (TLTRO); Modulation du taux de dépôt (tiering) pour soutenir le système bancaire. Cependant des contestations portant sur ce paquet se sont manifestées, y compris publiquement, ce qui n'est pas l'habitude au sein de ce cénacle.
Lors de la présentation du paquet, le président de la BCE a concédé avoir constaté « une diversité de points de vue. » Mais il a joué de sa position et a considéré que le soutien était « si large qu'un vote n'était pas utile ». Les langues se sont déliées ensuite, par des propos publics ou semi-privés. Il apparaît que, sur les 25 votants du Conseil des Gouverneurs, une dizaine avait plaidé pour une remise sine die de l'ensemble proposé. Le consensus n'était donc pas aussi large que cela.
Les propos des uns et des autres montrent que les réserves ou même l'opposition assez habituelle de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank a trouvé des relais assez larges. Les Français François Villeroy de Galhau (Banque de France) et l'économiste Benoît Coeuré, soutiens réguliers de « Super Mario » seraient tombés dans le même camp. La presse allemande a même affirmé que la moitié du fameux conseil se rangeait dans les rangs contestataires. Un défi pour Christine Lagarde qui va prendre la présidence de l'institut d'émission fin octobre, tant la crédibilité d'une banque centrale est le gage de son efficacité.
Le comité de l'Open Market américain n'a pas voté sur la décision de baisse des taux de 0,25 % lors de sa réunion du 18 septembre. En revanche, sur les anticipations, les positions apparaissent plus clairement : cinq membres estiment que le taux directeur sera inchangé d'ici à la fin de l'année par rapport à l'objectif 2 20 septembre 2019
1,75 % - 2 % des fonds fédéraux, cinq autres qu'il sera remonté de 0,25 %, alors que sept envisagent une nouvelle réduction de 0,25 %.
Il y a un « non membre » qui n'a pas besoin d'être convaincu. Il s'agit du président des États-Unis qui continue à tenter des pressions sur la Fed et plaide même pour des taux à zéro « à la japonaise ou à l'européenne ». Il est loin d'être certain que les tweets monétaires de M. Trump soient autre chose que contreproductifs vis-à-vis de l'Open Market Committee. Si les marchés financiers estiment que l'évolution conjoncturelle conduira à une nouvelle réduction des taux directeurs à la fin de l'année, rien de vraiment net n'est inscrit pour la réunion d'octobre.
Jerome Powell, le patron de la Fed n'a pas cherché à éclairer ces incertitudes en réaffirmant le pragmatisme et l'opportunisme de sa stratégie. Redire que la Fed « n'est pas sur une voie préétablie et qu'elle évaluera la situation de réunion en réunion », cela revient à mettre, mois après mois, les membres du comité de politique monétaire devant leurs responsabilités à l'analyse des données statistiques publiées et des anticipations. Evidemment, ces dernières se trouvent et vont rester sous l'influence des négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine.
Derrière les débats des responsables des politiques monétaires, derrière la contestation vis-à-vis de stratégies à nouveau très accommodantes, il y a deux grands sujets.
Le premier tient au bilan qu'on peut dresser de plus de 10 ans de politiques monétaires non conventionnelles massives. On peut considérer que les taux bas couplés à des injections de liquidités sous formes diverses ont évité une spirale de récession après la crise financière. Les systèmes bancaires ont été sauvés, le cycle mondial stabilisé, puis reparti sur des bases plus saines. La croissance américaine contraste évidemment avec la stabilisation en Europe, mais les fondamentaux et les politiques budgétaires l'expliquent assez largement.
La question de la reprise ou de la poursuite de ces stratégies pose celle de leur efficacité. Pour ce qui concerne les injections monétaires en particulier, les mesures sont jugées de moins en moins productives, s'ajoutant de façon peut-être excessive à tout ce qui a déjà été engagé. Les contestataires des comités de politiques monétaires avancent que la conjoncture encore correcte ne nécessite pas que les marges de manoeuvres soient sacrifiées sur ce plan, comme sur celui des taux d'intérêt.
Au-delà de la question de l'urgence – pas partagée – de répondre à un ralentissement de la croissance réel au plan mondial et confirmé cette semaine par l'OCDE, le deuxième sujet est la stabilité monétaire. L'inflation toujours aussi faible – les tensions aux États-Unis apparaissent ponctuelles et très limitées – est toujours basse à inexistante. Les plus rigoureux défenseurs de la stabilité de la monnaie ne peuvent nier ce phénomène qui n'est probablement pas simplement conjoncturel. Ses aspects structurels vont poser aux grands argentiers la question de la cible d'inflation et celle du « taux naturel » pour que l'économie se développe sans risques excessifs.
Ces questions ne peuvent pas être réglées sans une concertation des grandes banques centrales. C'est sans doute là que se situe le grand débat au sein des responsables. Se mettre en phase – et en phase avec les nouveaux fondamentaux des économies – ne va pas être facile.
Une nouvelle fois, nécessité fera loi évidemment. C'est la solidité du cycle, et la certitude qu'un accord commercial, même de façade va évacuer le plus gros des risques de vrai ralentissement qui explique la réticence de responsables monétaires. Mais, il y a 9 mois, ils ont cédé au diktat des marchés. Pourront-ils résister dans les mois qui viennent ?