Avant la publication des comptes ou des chiffres d'affaires du troisième trimestre, du côté des analystes financiers, l'heure est aux révisions des estimations de bénéfices 2019 et à des projections 2020 plus affirmées. Le rendez-vous des anticipations avec la réalité d'un côté, celui des espoirs avec les ambitions de l'autre. Le sujet est particulièrement suivi face à des Bourses qui, malgré le reflux de cette semaine, sont dans leurs niveaux record.
Le pointage conjoncturel met en évidence la poursuite du cycle de croissance américaine et mondial. Mais une croissance qui se ralentit très sérieusement. Après les 3,8 % de 2018, les économistes tablent sur une réduction pour l'expansion mondiale autour de 2,5 % cette année. Une projection encore portée par une économie américaine qui freine cependant (2,4 % alors qu'on était à 2,9 % en 2018) et par une conjoncture chinoise maintenue (de justesse) au-dessus de 6 % de croissance.
Toujours de la croissance, mais moins de croissance : le soutien conjoncturel aux profits des entreprises est moins fort. Il ne faut pas attendre de compensation avec une progression des marges bénéficiaires, au contraire. Les spécialistes d'Invesco relèvent par exemple que les marges des entreprises américaines prises globalement (données de la comptabilité nationale) sont en baisse constante depuis 2013 pour se trouver vers un niveau de l'ordre de 10 % du produit intérieur brut, ce qui se situe dans les moyennes historiques longues.
La guerre commerciale a des conséquences sur les échanges mondiaux, désormais sur une tendance à zéro ou même en baisse. Mais elle n'a pas vraiment atténué les pressions de la mondialisation sur les prix. Les hausses de coûts doivent ainsi être absorbées par les entreprises plutôt en peine pour passer des relèvements de tarifs. En témoigne l'inflation inférieure à 2 % aux États-Unis, entre 1 % et 1,5 % en Europe, à un peu plus de 2 % en Chine.
Moins de croissance et des marges sous pression : en conséquence, les estimations de bénéfices pour cette année des sociétés cotées confirment à ce jour les indicateurs macroéconomiques. Les révisions à la baisse des estimations ont été continues depuis le début de l'année, pour arriver à une modeste projection de + 1,6 % pour les sociétés composant l'indice MSCI Monde. Les compagnies américaines limiteraient leur progrès à 1,8%, les européennes à moins de 1 % quand les analystes financiers attendent désormais une baisse de plus de 1 % pour les japonaises.
Ces estimations modestes de progression des profits confirment les indicateurs macroéconomiques, avancés ou retardés publiés depuis plusieurs trimestres. Après le rendez-vous difficile des estimations avec la réalité, ces mêmes indicateurs ne sont pas favorables. Les intentions d'achat des directeurs d'achat manufacturiers – les fameux ISM et PMI – baissent et s'approchent du niveau de neutralité de 50 aux États-Unis. Ils sont en deçà de ce seuil au Japon, plus encore en zone euro et se dirigent même dangereusement vers les 40 en Allemagne. Même si la France résiste et est encore en territoire positif, le ralentissement manufacturier touche désormais les services, ramenant généralement la donnée composite vers les fameux 50 ou au-dessous.
Les développements de la guerre commerciale ne permettent pas d'entrer dans un scénario de rebond de la croissance.
Ainsi, reconduire dans les scénarios une croissance de 2,5 % l'année prochaine au niveau de la planète tient autant d'un espoir qu'elle n'est le fruit d'une analyse objective. Les économistes qui avancent à peine plus de 1 % pour l'Union Européenne, sensiblement moins de 2 % aux États-Unis et au mieux 6 % en Chine sont cohérents avec les statistiques et enquêtes actuelles, sans prise en compte d'une éventuelle dégradation ou d'un rebond tout aussi éventuel.
Les estimations de bénéfices des analystes financiers, mises à la dure épreuve de la conjoncture cette année, ne semblent pas vraiment prendre en compte les scénarios macroéconomiques 2020. On peut relever pas loin de 10 % de progression des bénéfices par action anticipés pour le MSCI Monde, avec 10,5 % pour les américaines et les européennes et plus de 6 % pour les japonaises.
Pour une bonne part, ces projections qui semblent en net décalage avec les fondamentaux relèvent d'une certaine saisonnalité. Les taux de progression sont souvent estimés dans une fourchette de 10% - 12 % avant l'exercice ou à son début. Ils sont ensuite révisés à la hausse ou à la baisse dans des proportions souvent importantes tout au long de l'année.
Ainsi, le cycle économique tourne. Et les Bourses ne semblent pas vraiment en tenir compte. Les périodes de réévaluation des multiples avec des cours en hausse pour des bénéfices qui stagnent, doivent conduire à une reprise de la hausse des profits, faute de quoi la fragilité des cours de Bourse entraîne fragilité et volatilité.
Les estimations de bénéfices – très optimistes – pour 2020 se paient plus de 15 fois eu Europe ou à Wall Street. Malgré la fragilité induite, le flegme des investisseurs est directement et indirectement la conséquence des taux d'intérêt très bas et durablement très bas.
Directement, car les entreprises ont recours à l'endettement pour racheter leurs propres titres, ce qui soutient les bénéfices par action, même quand les profits stagnent.
Indirectement, car elles font de même pour financer leurs dividendes, en utilisant en tout état de cause à fond le levier pour leurs investissements. Indirectement enfin car les rémunérations ainsi maintenues assurent des rendements du dividende (2,5 % pour les actions japonaises ; 2,8 % pour les américaines ; 3,4 % en zone euro) qui se comparent très favorablement avec les placements obligataires.
Les actions, recours par défaut pour les investisseurs en mal de rendement comme pour les entreprises qui ne trouvent pas d'autre moyen pour servir leurs actionnaires. Tant que l'économie ne craque pas, tant que l'inflation reste inexistante ça peut durer.