Il aura fallu près de 40 mois pour que le vote des ressortissants du Royaume-Uni du 23 juin 2016 soit mis en application. Il apparaît maintenant que la date butoir du 31 octobre sera plus ou moins respectée, a priori avec un accord entre les 27 pays restants au sein de l'Union Européenne et le Royaume-Uni. On a bien compris que la pratique du référendum n'est pas cohérente avec une démocratie représentative, d'autant plus quand elle est installée depuis 800 ans. Accord ou pas accord, deal ou no deal, le Parlement de Westminster tranchera, sans qu'on soit certain que les conséquences soient finalement bien différentes, au-delà des à-coups de court terme. En témoigne le flegme des marchés financiers face aux derniers soubresauts.
En tout état de cause, la fin de ce feuilleton pénible qui a surtout décrédibilisé l'ensemble des institutions européennes, est bienvenue. En tournant la page, les pays du Vieux Continent et le Royaume-Uni vont se contraindre à construire un nouveau périmètre institutionnel, administratif, juridique et fiscal pour les agents économiques, personnes physiques comme entreprises.
Les négociations auront été longues. Les deux parties avaient à perdre dans une séparation brutale et il est vain de chercher à déterminer qui aurait le plus souffert d'une indépendance britannique sans contraintes ou accord particulier avec le Continent. Au fur et à mesure des négociations, il est bien apparu que le double registre « Fais-moi peur » s'est étiolé. Chacune des parties a su brandir la menace d'un scénario du pire pour obliger l'autre à des concessions.
Il s'agit bien de concessions en partant de positions de principe qui étaient assez tranchées à l'origine. Du côté continental, le refus d'un statut de partenaire associé comparable à celui de la Suisse ou de la Norvège était le plus gros du grief donné aux négociateurs emmenés par M. Barnier. Du côté insulaire, le refus de toutes règles ou lois supranationales s'appliquant aux ressortissants du Royaume ou à des étrangers en Grande Bretagne ou en Irlande du Nord, tout en conservant l'accès au marché unique.
Les menaces réciproques ont trouvé leurs limites simplement avec le temps : personne n'était finalement en position de force pour prendre le risque d'une vraie cassure et d'un Royaume-Uni séparé du Continent pour les biens comme pour les personnes. Finalement, l'affaire est rentrée dans le cadre des négociations classiques de Bruxelles. Le scénario tourne aujourd'hui presque à la caricature avec les fameux effets de manche de la dernière nuit.
Des deux côtés, et en particulier de celui de l'Allemagne qui reste prééminente, une fois compris qu'on avait trop à perdre pour ne pas être conciliant sinon même gentil, les contours d'un accord se sont fixés. Pourquoi alors tant de problèmes dans cette phase finale ?
Le consensus est acquis sur le prix de sortie (le Brexit bill) ou en tout cas sur la façon de le déterminer et pour le calendrier d'un paiement étalé. Une cote mal taillée pour le statut juridique des « impatriés », c'est-à-dire les ressortissants de l'Union au Royaume-Uni et des sujets de Sa Majesté sur les continents a été avancée, en particulier pour les lois et tribunaux compétents. Elle ne règle pas grand-chose, mais laisse du temps pour trouver un fonctionnement satisfaisant.
Sur le plan économique, le fameux statut d'associé sera accordé au Royaume-Uni, qui finalement et malgré les déclarations bruxelloises, conservera l'essentiel des avantages de membre de l'UE sans en subir toutes les contraintes et sans en financer le fonctionnement.
Derrière ces accords de fond, les problèmes rencontrés sont doubles. Le premier, le principal c'est la reconstitution d'une frontière en Irlande. Le second, c'est le poids de la Chambre des Communes qui peut casser les deals à tout moment.
Le cas de l'Irlande (et sans doute accessoirement celui de Gibraltar) se règle sans vraiment se régler. Le maintien de l'Ulster dans une zone douanière sans frontière physique peut assurer un fonctionnement de vie courante normal aux populations de l'entité républicaine et de la province de la couronne. Pour ce qui concerne les opérations plus large de commerce donnant lieu à réexport vers le continent, les écarts de taxes seront gérés par des procédures de déclarations, avec des vérifications comptables et, de façon plutôt exceptionnelle, des contrôles physiques.
Ce montage qui doit éviter les blocages et conduire progressivement à une nouvelle organisation reste une monnaie d'échange (parmi d'autres) pour le Parlement britannique. Sans qu'ils l'aient provoqué, les membres de la Chambre des Communes auront permis au Premier ministre de relancer la pression qu'ils exerçaient sur les négociateurs de l'Union. Les votes négatifs à répétition, renforçant la probabilité d'un no deal ont, en quelque sorte, contraint les équipes de M. Barnier à plus de concessions.
Westminster a joué du fonctionnement institutionnel du pays et de sa capacité de blocage pour servir la fameuse maxime de Lord Palmerston, « L'Angleterre n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts ».
L'avenir des relations trans-Manche sera davantage fixé au travers d'un gentleman agreement à fixer pour un fonctionnement équitable que par les textes eux-mêmes, qu'un deal soit trouvé ou un no deal consenti. Tous les sportifs savent qu'inventeurs du fair play, les Anglais le traduisent par des règles qui leurs donnent l'avantage. La nouvelle page qui va s'ouvrir cet hiver va forcément conduire les britanniques à plus encore d'agressivité concurrentielle, sans craindre – du fait du départ de l'UE – de forcer un dumping social, fiscal, règlementaire, commercial. Il n'y aura pas beaucoup de solidarité à attendre de la part des rois de la concurrence plus ou moins loyale, mais la règle est finalement comprise et s'est imposée.