La microéconomie a un rendez-vous quotidien avec la réalité alors qu'à l'inverse la macro analyse cherche à anticiper les tendances avec du recul. Pour les investisseurs et les marchés financiers, c'est un peu l'inverse : les rendez-vous de la réalité sont trimestriels, avec la publication des comptes ou des chiffres d'affaires. Les anticipations des économistes et leurs conséquences sur celles des analystes financiers et des investisseurs sont mis à l'épreuve des communications de la part des entreprises.
Le FMI et la Banque mondiale l'ont confirmé cette semaine : les taux d'intérêt vont rester très bas très longtemps. On pourrait même dire très très bas très très longtemps. Les institutions ont une certaine tendance à utiliser des indicateurs retardés, donc basés sur les faits davantage que sur les enquêtes avancées. Elles ont ainsi aussi confirmé le tournant de la croissance mondiale, ramenée à 3 % cette année, son niveau le plus bas depuis 2009 et la crise des dettes.
La problématique boursière des derniers trimestres est comprise dans ces confirmations. Les actions bénéficient de la « hausse de misère » : achetées par défaut pour trouver un rendement qui est nul ou négatif sur les marchés de taux et achetées aussi par les entreprises qui rachètent leurs propres titres pour faire progresser les profits par action en compensant la faible avance des bénéfices liées à la croissance qui faiblit. L'environnement de taux qui permet du levier au-delà des besoins d'investissement joue ainsi doublement sur les cours de Bourse des actions.
La divergence entre l'évolution de ces cours et celle des profits publiés ou attendus a été particulièrement analysée pour les compagnies qui tirent la cote mondiale et les évaluations d'investissement privé (Private Equity) : les grandes valeurs technologiques américaines. Les records boursiers ne sont pas loin pour les grands du secteur alors que leurs comptes d'exploitation paient le ralentissement du commerce mondial. Le score du FMI est à peine plus de 1 % de croissance des échanges mondiaux de biens et services.
La baisse des progressions de chiffre d'affaires ou de profits ne se retrouve pas dans les indices boursiers des technologiques : les multiples des valeurs les plus chères du monde ont encore progressé depuis un an.
Ce comportement spécifique des investisseurs et des sociétés de l'internet elles-mêmes a finalement été répliqué largement à l'ensemble des grandes Bourses. La réévaluation du ratio de capitalisation des bénéfices (le PE) l'a amené dans des niveaux qui ne sont pas aussi éloignés des moyennes historiques qu'on pourrait le craindre. Pas loin de 21 fois les estimations 2019 désormais assez bien ciblées pour les compagnies américaines, c'est trois points de plus qu'il y a un an dans des Bourses très déprimées. C'est le résultat d’un mix entre des révisions continues à la baisse des projections de profits et les hausses des cours.
Les données agglomérées mettent en évidence une stagnation des bénéfices cette année par rapport à 2018 sur toutes les zones. Bien sûr, en raisonnant globalement, les taux d'intérêt (et les rendements des dividendes) peuvent justifier les niveaux des Bourses à leur record ou pas loin. Mais, société par société, les multiples généraux fragilisent les cours : le moindre décalage dans un sens ou dans un autre est amplifié en Bourse.
Cette saison a été – et c'est bien normal au vu de la dynamique économique qui ralentit – celle des avertissements de la part des directions de groupes. Et, partant, de baisses des actions rapides et aigües.
Ce qui frappe dans ces derniers avertissements et leur sanction Boursière, c'est la diversité des victimes. Il n'y a pas vraiment de secteurs particulièrement touchés. Pour s'en tenir à la cote parisienne, la liste met en évidence cette dispersion. À part des multiples élevés la veille des publications ou des avertissements, on ne trouve pas forcément de points communs entre Renault, Accor, Remy Cointreau, Thales, Publicis, Trigano, FNAC Darty, Imerys, Danone ou Casino. Des sanctions boursières pouvant aller jusqu'à 15 % donnent finalement la mesure du risque pris sur la foi d'anticipations d'activité ou de bénéfices qui ne peuvent être réalisés.
La performance des portefeuilles doit encaisser des mauvais coups quand la tendance générale ne soutiendra pas vraiment la progression, une fois dans les prix les bénéfices du rebond du début d'année provoqué par les banques centrales.
Les gérants pour compte de tiers doivent faire avec cette « obligation de l'action » et du vrai risque de déception en raison d'estimations de bénéfices sans doute souvent excessivement optimistes : les analystes financiers ne révisent jamais assez vite dans les changements de tendance, dans un sens comme dans l'autre. On n'a sans doute rien vu en matière d'avertissements ou de publications décevantes. Les attentes de croissance des bénéfices 2020 autour de 10 % sur les grandes Bourses et de près de 15 % sur les émergents sont en cassure avec les projections – déjà plutôt généreuses – du FMI qui espère un « rebond » de la croissance mondiale à 3,2 % et des échanges en progression de 3 %.
Pour parer le choc, sauf à se résigner à un rendement nul ou négatif de ses actifs, la diversification et même l'étalement des portefeuilles va sans doute être la réponse : en raisonnant en global et en évitant les paris, les portefeuilles peuvent se laisser porter par les banques centrales. Les risques étalés limitent les effets des baisses post Profit Warning. En quelque sorte la gestion active prendrait ainsi – actif – le choix de la gestion passive.
Il faut se méfier de l'autre réponse : les actifs non cotés. L'immobilier est certes toujours dopé par les mêmes banques centrales, mais il y aura sans doute des paliers sinon des limites. Les investissements privés dans les entreprises peuvent donner l'impression d'éviter les risques de profit warning. C'est vrai au jour le jour, mais plus discuté sur la durée les écarts entre les valorisations affichées et le retour à la réalité peut être sanglant. On le voit depuis un an avec les introductions en Bourse décalées ou à prix cassé par rapport aux estimations des fameuses licornes (start-up souvent déficitaires valorisées plus d'un milliard de dollar). Mais ce qui vaut pour les géants, vaut pour l'ensemble de la classe face au ralentissement durable de la croissance.