L'Espagne va avoir un gouvernement. Mais, une nouvelle fois, un gouvernement minoritaire aux Cortes et rassemblant une coalition pas vraiment solide sur le plan politique. C'est en tout cas l'occasion de faire un point sur la quatrième économie de la zone euro, qui va être aussi la quatrième de l'Union Européenne.
Le Royaume Espagnol est constitué de 17 provinces autonomes, mais c'est précisément dans la diversité que sa croissance - soutenue par le tourisme et l'immobilier - s'est bâtie à partir du milieu des années soixante, puis, à partir de 1975 sur la base de la transition démocratique, consacrée en 1986 par l'intégration au sein de la Communauté Européenne. Depuis, ce qu'on avait pu appeler « le miracle espagnol » a tourné court en deux fois : crise d'inflexion de la croissance en 1992 et retombées de la grande crise de 2007-2008.
Les déséquilibres entre régions, les inégalités, ont rendu difficile le retour à la vitesse de croisière précédente. Ils sont bien illustrés, d'une part par les aspirations sécessionnistes catalanes et, surtout, par le taux de chômage qui, à 14,2 % reste de plus du double de celui de la zone euro. Le choc a été d'autant plus sévère que le Royaume, longtemps porté par les dotations européennes était devenu contributeur net après l'élargissement de 2004. L'économie de la péninsule avait été dopée par l'immobilier et a été particulièrement touchée par le choc de 2008. Une politique d'austérité et des réformes structurelles menées jusqu'en décembre 2011 par les gouvernements Zapatero (socialiste), puis Rajoy (droite) n'ont pas arrangé les choses dans un premier temps et le chômage qui s'établissait à 7,9 % à l'été 2007 est monté jusqu'à plus de 21 % 4 ans plus tard.
La sortie de la récession a ainsi été longue et douloureuse. Ce n'est que fin 2013 qu'une croissance est revenue. L'économie a bénéficié de l'effet de rattrapage, comme des pays de plus petite taille par exemple l'Irlande ou le Portugal en ont profité. Plus de 3% de croissance moyenne trois ans de suite, de 2015 à 2017, a permis, de retrouver (en dollars constants) le niveau de produit intérieur brut de 2008, mais pas davantage. Ce stade assuré, le dynamisme s'est infléchi, tout en restant meilleur que celui de la zone euro : 2,6 % de croissance l'année dernière et, selon les dernières estimations de la Banque d'Espagne, 2 % cette année et 1,7 % en 2020.
Cette rentrée dans le rang montre que la douzième économie du monde ne peut s'appuyer sur ses seules forces internes. Le rebond post-crise avait été entretenu par la consommation grâce à la baisse du chômage, même insuffisante, une hausse des salaires et le niveau des taux d'intérêt. Le pouvoir d'achat était en hausse. Sur le fond, le niveau des taux d'intérêt avait aussi permis dans le temps un certain amortissement des dettes immobilières.
La tendance garde des moteurs internes pour se prolonger : l'utilisation meilleure des capacités de production, d'entreprises ou salariées, poursuit un effet cumulatif. Mais, en sens inverse, l'inflexion de la croissance mondiale a pesé. Les incertitudes générales touchent de plus les agents économiques espagnols : dossier commercial et, singulièrement le traitement qui sera réservé à l'Europe, Brexit, le débat budgétaire entre l'Allemagne et la France, ...
Reste la politique du pays. En premier lieu, les forces centrifuges. Assez paradoxalement la crise catalane qui s'installe ne se traduit pas de façon brutale sur le front économique et les régions de croissance – Pays Basque, Madrid, Navarre, Catalogne, Aragon, Baléares en particulier – poussent toujours le pays. C'est la paralysie du pouvoir central qui en rajoute sur les incertitudes. Le gouvernement qui va être constitué entre le PSOE (socialiste) et Podemos (extrême gauche) va avoir des pouvoirs limités à la fois par les différences de programme entre les deux partis et par un manque de majorité parlementaire qui va rendre très difficile le vote de lois.
Le gouvernement minoritaire n'est pas une nouveauté, même si un minoritaire bâti sur une coalition aussi divisée sur les programmes peut renforcer la paralysie. La constitution prévoit aussi des périodes de vacances du pouvoir organisé. Depuis novembre 2011, un peu plus de 20 mois ont été régis sous le régime de gestion des affaires courantes.
Ce que l'on doit en retenir des dix dernières années, c'est précisément que les données macroéconomiques internes ou mondiales pèsent plus lourd que l'absence de pouvoir ou sa paralysie. La croissance des années 2015-2017, puis son inflexion, ne sont pas gérées à Madrid, mais reflètent des conditions générales.
La croissance de l'Espagne va rester supérieure à la moyenne de la zone euro, largement au-dessus de l'Allemagne, l'Italie ou les Pays Bas, et même de la France. Pays endetté, l'Espagne peut se permettre d'ignorer les recommandations d'effort budgétaire encore demandés cette semaine par la Commission européenne qui souhaite que le déficit structurel soit réduit de 0,6 % par an de façon à viser un équilibre à terme. Au contraire, la politique budgétaire est loin d'être excessivement expansionniste et une majorité sera sans doute trouvée aux Cortes pour accélérer en suivant la doctrine française qui veut profiter des conditions financières bien installées.
L'Espagne a joué le jeu de l'euro, a profité des fonds européens, mais, même sans gouvernement majoritaire a largement les moyens de financer de nouveaux déficits. Elle peut bien sûr compter sur les achats de la Banque Centrale Européenne et les marchés la jugent digne de confiance : l'emprunt d’État de référence à 5 ans présente un taux négatif, celui à 10 ans 0,4 %, celui à 15 ans 0,7 %.
La croissance pourrait d'autant plus être au rendez-vous que les plus dures des réformes de structure pourraient trouver une majorité politique pour être atténuées. Le rebond (modéré) du chômage au troisième trimestre va pousser à un ajustement de la réforme du travail de 2012, alors que le système de retraite – et donc l'aspect distribution des prélèvements obligatoires – n'échappera pas à une réforme.