Parlez-vous Licorne ? Au moment où, sous la pression de liquidités surabondantes et de taux d'intérêt bas, nuls ou négatifs, la hausse ou le maintien des Bourses dans leurs niveaux records se confirment, on ne semble pouvoir imaginer des limites que dans la réalité des comptes des entreprises. Les cours des actions ne peuvent s'affranchir éternellement de l'évolution des bénéfices des sociétés ou des estimations qui en sont faites par les analystes financiers. C'est le rendez-vous microéconomique qui est sans doute l'indicateur qui va être le plus suivi par les investisseurs à la recherche de signaux avant-coureurs de consolidation ou même de correction.
Dans ce cadre, il y a une classe d'actif qui est particulièrement dans le viseur, en raison des process d'évaluation, du degré d'anticipations, de l'absence de liquidité ou de visibilité. Les rendez-vous avec la réalité – c'est à dire avec la cotation – peuvent être brillants comme difficiles. Il s'agit des investissements en actifs non cotés et, en premier lieu, celui dans des sociétés. Tout en haut de la hiérarchie du capital investissement – du Private Equity – il y a les stars des start-up : les licornes.
On a baptisé licorne les projets de sociétés, innovantes dans la quasi-totalité des cas, qui, dans le mode « start-up » présentent des valorisations supérieures à 1 milliard de dollars. Depuis 5 ans, les légendes se sont créées autour des paris réussis sur Uber, Airbnb ou Deliveroo. C'est cependant sans surprise que les palmarès pointent une grande quantité d'entreprises chinoises, à côté d'Américaines, loin devant le Royaume-Uni ou l'Inde. La taille du marché chinois, l'épargne excédentaire et la puissance d'entreprises toujours au moins partiellement sous contrôle public ou parapublic ont apporté le potentiel. L'opacité financière chinoise a amplifié les valorisations affichées.
Les licornes accessibles à l'investisseur sont avant tout américaines. En tout état de cause, elles reflètent une vraie tendance chez les investisseurs : la recherche de performance en s'affranchissant du court terme et, surtout, de la cotation. Les montages de Private Equity permettent d'éviter de confronter l'investissement avec une valorisation permanente de marché. Ils offrent aux responsables des fonds la possibilité de se concentrer sur le moyen et le long terme. Cela peut passer aussi par un certain manque de transparence – sur les leviers mis en oeuvre par exemple – et, dans tous les cas, par des frais de gestion et de suivi qui sont sans proportions avec les rémunérations prélevées sur les gestions dans les actions cotées ou les obligations, placées sous une pression concurrentielle très forte et renforcée encore par la gestion dite passive.
Pourtant, il ne faut pas perdre de vue que, quoi qu'il puisse arriver, la sortie du Private Equity, la matérialisation de plus-values, c'est la Bourse qui les donnera. Soit avec l'introduction sur des marchés organisés, soit par un rachat par une société elle-même cotée ou appelée à l'être.
La référence du capital investissement se sont ces fameuses licornes américaines. Elles ont leur indice, le Prime Unicorn index. C'est un indice équipondéré qui regroupe les compagnies américaines fermées (par opposition à cotées) évaluées 500 millions de dollars et plus. Les évolutions des sociétés vedettes sont écrémées puisque la capitalisation n'est pas prise en compte.
La performance du Prime Unicorn est impressionnante : plus de 30 % de valorisation annuelle depuis cinq ans. Elle l'est encore davantage depuis le début 2018 : il affiche 130 % de hausse, se comparant avec 11,5 % pour le S&P 500. La mine d'or a provoqué une ruée et, forcément, on s'interroge sur l'ensemble de la classe d'actif.
Un des grands intérêts de l'existence d'un indice est de mettre en évidence des caractéristiques. Le Prime Unicorn réplique les pratiques du Private Equity. Les valorisations des sociétés composant l'indice qu'il présente proviennent de la société ou de ses actionnaires et elles sont loin d'être régulières. Elles sont, suivant les termes même de Prime Unicorn, « dérivées d'informations publiées et de transactions, dépôts de documents et autre données relatives à la société. » C'est du déclaratif ou de la constatation de prix de levées de fonds.
L'actualité a montré, derrière les potentiels, les limites du process. La principale capitalisation de l'indice est Uber, valorisé sur les bases du Private Equity, 75,2 milliards de dollars alors que, désormais cotée à Wall Street, la compagnie présente une valorisation boursière de 50 milliards. La deuxième valorisation de Prime Unicorn est le spécialiste de la cigarette électronique JUUL, pris en compte sur la base de 40,4 milliards de dollars, valeur de souscription d'il y a un an. Les développements scientifiques autour du vapotage vont sérieusement remettre en cause cette évaluation. Il en sera de même pour SpaceX dont les 31 milliards vont être mis à l'épreuve des difficultés de son lanceur de satellite, comme cela l'a été plus encore pour la société de bureaux partagés WeWork, évaluée dans l'indice 49 milliards de dollars en février dernier et ramenée à 6,9 milliards le 30 octobre à la suite de l'échec de sa mise en Bourse.
Investir dans une start-up, investir dans une société non cotée, c'est prendre le risque d'être gagnant. Mais, évidemment, pas à tous les coups. Les évaluations sont la conséquence d'un effet entonnoir de liquidités à la recherche de rendement sans la sanction de la cotation, quand, en même temps, les professionnels de la finance sont à la recherche de meilleures marges. On ne peut pas dire que le Private Equity créé une bulle. Il est plutôt la conséquence de bulles largement liées aux taux d'intérêt et aux injections monétaires et il n'y a pas de vraies raison pour qu'elle explose spécifiquement.
Le capital investissement est en quelque sorte un dérivé d'une conjoncture financière globale autant qu'une réponse à des besoins d'investisseurs. Comme souvent pour les dérivés, un changement de signe dans les évolutions peut être un signal. Ainsi, le Prime Unicorn * est un indicateur qui, aussi artificiel qu'il puisse paraître est à suivre. Pour le Private Equity comme pour les Bourses.
*Bloomberg PUNICORN et Reuters .PUNICORN