Le continent est isolé. C'est comme cela que les insulaires de Grande Bretagne décrivent leur rejet de l'Union Européenne. Cette isolation n'est pas une première et l'expression une constante dans la presse anglaise, mais le Brexit – c'est l'acronyme de communication pour cette volonté de se détacher du continent – est forcément une libération réciproque. Ce peuple de jureurs – nous les surnoms Godons depuis la guerre de 100 ans pour leur propension à invoquer le seigneur « God Dam » - imagine construire sans contrainte un avenir pour profiter plus encore de l'indulgence des autres pays du monde et de l'Europe continentale en particulier. De notre côté, de celui de l'Union Européenne qui s'est choisi un drapeau symbolisant la Vierge Marie couronnée d’étoiles, la libération a des ambitions bien plus larges.
Il n'est pourtant pas question de guerre de religion. En tout cas pas seulement. Les godons buveurs de bières et détenteurs d'un art gastronomique bien à eux (ils se sont mangés entre eux jusqu'à une période récente, disons 15.000 ans) se veulent affranchis de l'administration de Bruxelles ou de la pression d'immigrants européens (voulant plutôt être maîtres de leur sélection). Les buveurs de vin et consommateurs de grande cuisine de la France et de l'Europe du Sud, leurs borduriers du nord et de l'est buveurs de bière aussi, se sont jusqu'ici sentis sur bien des sujets des ressortissants de l'Empire britannique. Ou du moins d'un Empire américano-anglais.
L'impérialisme qui saute aux yeux, c'est bien sûr l'uniforme. Le Sapeur et son pantalon rouge garance, et sans trous qui plus est, paraît trop original, trop élégant, trop propre : il ne porte pas l'uniforme du bleu denim, certes importé de France, mais devenu une obligation internationale. Évidemment, l'impérialisme a aussi voulu régir l'essentiel : la façon de se nourrir. Le steak haché, le pain, la pizza, les pommes de terre frites, doivent pour être dans la norme, n'avoir rien à voir avec ce que pouvait proposer la cuisine française, italienne ou belge. Comme les pains fourrés grecs ne pourraient être sérieusement proposés dans les terres originelles de notre culture. L'impérialisme de la médiocrité.
Ce qui ressort du passé grec ou gréco-romain, c'est la langue. C'est dans ce domaine plus que dans aucun autre que l'impérialisme se manifeste. La langue grecque, puis le latin ont été les instruments de Rome. L'anglais a été plus insidieux s'imposant sur la base de la richesse américaine, amplifiée désormais par la révolution numérique. Les continentaux d'Europe ont été des vassaux. Ils ne peuvent le rester : l'Anglais n'est plus la langue officielle que dans deux pays de l'Union : l'Irlande derrière le Gaélique et Malte dont il est la deuxième langue, après le Maltais.
Continuer à échanger entre européens et même au sein des instances de l'Union dans un sabir qui n'est officiel que dans deux pays sur 27, et au deuxième rang dans les deux cas ? Insensé !
On objectera qu'entre eux, les européens du continent ne parlent pas vraiment anglais. Ils parlent le jargon dit « globish », c'est à dire au mieux un anglais de cuisine comme bien des sujets alors éloignés de Rome usaient d'un latin de cuisine quand les élites échangeaient en grec. L'argument ne vaut rien : la médiocrité ne peut tenir lieu d'excuse : « Nemo auditur meditocrem propriam allegans ». Le précepte doit tenir.