Au tournant de l'année, les Bourses tiennent des niveaux record et le bilan mondial des placements est gagnant dans toutes les classes d’actif, de 10 % de performance pour les obligations souveraines à près de 25 % pour les actions. Le constat est sensiblement différent si on regarde l'économie. Toujours avec une vue globale, la croissance se stabilise sur des points bas. En tête des causes, la prolongation de la contraction du commerce international.
La croissance américaine converge vers son potentiel. Ce n'est pas si mal et les 2,1 % affichés au troisième trimestre constituent ainsi le niveau de stabilisation et l'estimation 2020.
L'analyse des données de ce troisième trimestre montre bien quels sont les moteurs de l'activité. En réalité, il n'y en a qu'un : le consommateur. Les investissements des entreprises se contractent et ce sont les ménages qui portent la conjoncture, y compris en revenant sur l'immobilier. Les permis de construire ont progressé pour la première fois depuis 2017 et ils retrouvent leur niveau du début des années 2000.
Au solde américain, avec des indicateurs avancés neutres (autour de 50 pour les intentions des directeurs d'achat) c'est la gestion monétaire qui stabilise la conjoncture. Cela est patent avec cette reprise de l'immobilier de logement tirée par les taux bas. Cela l'est aussi avec les engagements de poursuite de la stratégie actuelle de taux directeurs et d'injections monétaires : le gouverneur Powell a annoncé que la Fed visait une extension du cycle, même modérée, avec l'objectif avoué de réduire les inégalités qui ont crû dans le cycle.
Au global, la Fed maintient enfin un programme d'achat d'actifs massif visant à reconstituer les réserves des banques et à restaurer une dynamique du crédit.
Les constats sont similaires dans pratiquement toutes les zones.
Dans la zone euro, c'est à 1,2 % que la stabilisation de la croissance s'est inscrite au troisième trimestre et les économistes fixent 1 % l'année prochaine, mieux pour l'Espagne, un peu mieux pour la France, sensiblement moins pour l'Allemagne et l'Italie. Ces deux derniers pays ont cependant échappé à la récession technique. Ils ont fini par encaisser une bonne part de la contraction du commerce mondial, et le point bas de leurs industries semble trouvé.
Cette conjoncture médiocre qui échappe à la récession bénéfice toujours du soutien très actif de la Banque Centrale Européenne qui combine taux négatifs, soutien aux banques (via le tiering, qui les exonère en partie du paiement des taux négatifs sur leurs réserves) et achats massifs de titres. Le dispositif laissé à Madame Lagarde à la BCE par son prédécesseur est en place sans limite de calendrier annoncée. Il est bien nécessaire au vu de la modicité des efforts budgétaires, en particulier allemand : la Commission européenne les évalue en 2020 à 0,4 % du produit intérieur brut pour la zone euro, avec une contribution allemande limitée à 0,3% malgré ses marges de manoeuvre élevées.
Le tour des grands contributeurs à la croissance mondiale est décidément marqué par la stabilisation. C'est le cas dans les zones émergentes, soutenues par des mix politiques Budget/monnaie permettant de contrebalancer la baisse des échanges commerciaux. C'est aussi le cas en Chine où le ralentissement de la croissance dû au changement de modèle se poursuit avec une cible de croissance désormais inférieure à 6 %. Les outils de soutien public sont activés avec modération, tant vis- à-vis des ménages que des entreprises. Le pouvoir en garde sous le pied, en poursuivant sa stratégie d'assainissement et de normalisation des fondamentaux. Le rebond modéré de la conjoncture en novembre – production et vente au détail – confirme les marges de manoeuvre de cette gestion de réduction de la croissance.
L'exception à cette stabilisation générale vient du Japon, qui ne stabilise pas sa croissance et, après une hausse de la TVA, passée de 8 à 10 % il y a deux mois, vise pour l'année prochaine, 0,2% d'expansion après 1 % cette année.
La stabilisation généralisée qui encaisse le tournant du cycle mondial est, on le voit, marquée par le soutien à la consommation, par des politiques monétaires très accommodantes et par des politiques budgétaires plutôt plus prudentes.
Ce passage de cycle qui se traduit par un rapatriement généralisé du dynamisme sur l'interne est une réponse à une conjoncture générale marquée par la baisse continue du commerce international. Il en est aussi une conséquence.
Après que Donald Trump ait lancé la guerre commerciale début 2018, les taux de croissance des importations comme des exportations américaines sont restés pendant dix mois sur des rythmes de progression annuels compris entre 6 et 10 %. Le tournant a eu lieu à l'automne 2018 avec + 2 % ou moins pour les importations et, depuis mars, une fourchette - 2 % / +2 % pour les exportations. Depuis le début 2019, six mois se sont soldés en négatif.
La contraction du commerce mondial est avérée : il est passé d'un rythme de croissance annuel de 5 % de 2016 à la mi-2018 à un score négatif depuis un an. Ce recul a encore été confirmé les deux derniers mois pour lesquels on dispose de statistiques. En conséquence la production industrielle mondiale affiche une croissance zéro.
Les réponses nationales évoquées dans le rapide tour des grandes zones effectué plus haut ont limité la casse et stabilisé les choses – c'est le grand mot.
Il n'y a pas de grands progrès à attendre d'un accord commercial entre les États-Unis et la Chine dont la phase 1 est encore et toujours à la veille d'être finalisée. Il y a désescalade et c'est déjà bien. Cet accord aura sans doute tout d'un armistice, une consécration globale du statu quo sur les termes actuels des échanges, sans aggravation, mais sans même un retour à la situation du début de l'année. C'est un peu, a minima, la meilleure des issues qu'on pouvait attendre.
Les parties se sont préparées à une poursuite de négociations dures après cette fameuse phase 1. Par exemple, du côté chinois en se laissant la possibilité d'une accélération possible du soutien de politique économique pour tenir bon. Du côté américain, le programme d'achats de titres du Trésor par la Fed restreint le poids dans les négociations de la menace chinoise sur le financement de l'État fédéral. Sur le rythme de 75 milliards de dollars d'achats par mois, la Fed détiendra plus de 20 % de l'encours hors dettes intra-gouvernementales d'ici à l'automne 2020.
La tendance est cependant là : désescalade, cessez-le-feu, armistice ou paix des armes, enregistrés, la démondialisation s'est installée. On en a un signe avec les multiples bras de fer autour du numérique. Les technologies, mais, aussi, les données collectées, pouvant aller jusqu'à de l'espionnage, ont été ciblées par l'administration américaine dans des interdictions, restrictions ou même actions en justice vis-à-vis de groupes chinois et, en premier lieu des géants Huawei et ZTE. Les ripostes chinoises sont montées d'un cran la semaine dernière, sans lien avec un quelconque accord, avec l'interdiction programmée de l'utilisation de logiciels étrangers par l'administration chinoise et, on l'imagine, par l'ensemble de l'énorme secteur public et parapublic.
La décision n'est pas anecdotique. On se trouve, on l'aura bien compris, dans le coeur de la négociation « de phase 2 ». Les enjeux de puissance de long terme justifient de part et d'autre une montée du conflit et, au-delà de la nécessité de continuer à commercer pour des secteurs moins stratégiques, consacrent la décision partagée de poursuivre sur la voie de la démondialisation. Et donc, au mieux, de la « stabilisation » de la croissance.