L'épidémie de pneumonie qualifiée syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en Chine fait partie de ces rappels de la nature que les marchés financiers ne savent pas bien par quel bout prendre. Entre les inquiétudes excessives ou, au contraire, le cynisme du constat des chiffres bruts, peut-être est-ce le fond de psychologie des investisseurs qui est jugé face à l'imprévu et à l'imprévisible.
L'épidémie d'aujourd'hui n'est pas inédite. Sans remonter aux grandes peurs des pestes ou du choléra, sans même se référer aux victimes de la grippe espagnole après la première guerre mondiale, qui se sont comptées en dizaines de millions de morts, ou celles de la grippe asiatique du milieu des années 50, on peut citer la grippe de Hong Kong de 1968. Considérée par l'Organisation Mondiale de la Santé comme la première épidémie de l'ère moderne, celle des transports de masse, elle s'est soldée avec près d’1 million de morts, mais aussi par la mise au point de vaccins sur la base d'une collaboration à l'échelle de la planète. Le pire est évidement le Sida, dont la pandémie s'est répandue à la fin des années 70. Le Coronavirus d'aujourd'hui ne semble – heureusement – pas d'une nature aussi dramatique. Il y a des antécédents qui peuvent entrer dans le domaine du comparable : la grippe aviaire à partir de 2003 et - déjà - le SRAS en 2002. Les deux pandémies venaient de Chine, mais elles présentent des bilans différents : respectivement 282 et 774 morts. Dans les deux cas, les conséquences économiques – c'est notre sujet – ont été importantes : pour les filières de volailles dans le premier cas, pour l'ensemble de l'économie dans le second cas, en raison d'un vrai phénomène de panique et de frein au tourisme et aux voyages en Chine.
Le SRAS avait, selon l'OMS, infecté un peu plus de 8.000 personnes entre 2002 et 2004 et avait provoqué près de 800 morts. La violence de ces chiffres redouble quand on s’intéresse à la concentration des victimes : 80 % des personnes infectées et des décès ont concerné la Chine et Hong Kong.
L'effet économique n'est évidemment pas aussi précisément mesuré. On a estimé le coût en termes de croissance du produit intérieur brut à plus de 1 % en Chine, plus de 2,5 % à Hong Kong et 0,5 % pour Taïwan et Singapour. Les conséquences ont été limitées pour le reste des grandes économies.
L'épidémie qui s'est déclarée il y a un mois dans la ville de Wuhan au centre de la Chine (11 millions d'habitants) est sévère : déjà près de 100 décès comptabilisés pour un peu plus de 4000 personnes déclarées infectées. Ses conséquences économiques ne doivent pas être négligées devant ses dégâts en termes de santé publique.
Les autorités chinoises ont pris des dispositions énergiques et, en premier lieu, placé le foyer de l'épidémie en quarantaine. 11 millions de personnes ont ainsi été isolées à Wuhan et près de 30 millions dans la région. Les fêtes du nouvel an ont aussi été annulées (en particulier à Pékin). Le dispositif a été complété par une vigilance absolue, en particulier dans les aéroports et les gares. Des cas d'infection très ponctuels en Corée, au Japon, en Thaïlande ou aux États-Unis mettent cependant une pression forte en termes de transparence, une qualité qui n'est pas vraiment la première du parti communiste chinois.
Quoi qu'il en soit, l'économie chinoise va subir une pression sur sa croissance. La mutation de l'économie et le poids de la consommation et des services nettement plus fort qu’en 2003 impliqueraient une pression plus forte à ampleur de crise sanitaire et psychologique équivalente.
Un atterrissage brutal de l'économie chinoise est un des scénarios de risque des marchés pour cette année. Ce n'est pas jusqu'ici dans le consensus, et encore moins sur les marchés financiers. La Chine paie cependant en termes de taux de croissance la mutation de son modèle. Hors secteur à capitaux publics, l'investissement progresse sur un rythme plus proche de 4 % que de 5 % : les fameux 6 % de croissance du PIB, plancher du précédent plan quinquennal ont été abandonnés. Les conjoncturistes officiels tablaient avant SRAS sur une fourchette 5,6 % - 5,8 % pour cette année et l'année prochaine. On comprend qu'un développement de l'épidémie de pneumonie pourrait remettre en cause l'atterrissage en douceur, avec des effets financiers en Chine, dans toute l'Asie et même au plan mondial.
On n'en est pas là et il faut surtout souligner les marges de manoeuvre du pouvoir. L'économie « privée » est très et même trop endettée, mais le mix politique est pour le moment prudemment accommodant. La Banque Populaire de Chine peut jouer encore pas mal sur les réserves obligatoires des banques et sur le taux des prêts à un an. Les réserves du Budget peuvent encore être mobilisées pour l'investissement malgré un déficit public officiel peu crédible et en fait estimé au-dessus de 5 % du PIB. Enfin, le projet dit des routes de la soie est un soutien qui s'amplifiera.
Les marchés financiers ont réagi avec un certain calme face à l'épidémie. Cela peut se justifier par des retombées gérables qu'elle peut avoir sur l'économie chinoise et globale. Les indices chinois ont perdu 3 % environ au plus fort de la semaine alors que Wall Street, Tokyo et les Bourses européennes ont limité leurs déchets à 1 % et moins. Parmi les valeurs sensibles, Kering et LVMH rendent seulement 5 % et Hermes moins de 2 %.
Les journées financières qui ont suivi l'annonce de l'épidémie n'ont pas déclenché une phase de consolidation qui n'aurait pourtant pas été anormale après l'envolée des Bourses l'année dernière. Sans préjuger de la crise sanitaire elle-même, cela dénote une belle santé … des marchés. Ils ne sont pas sensibles à un événement extérieur aux conséquences mal définies : ils ne cherchent pas des raisons de baisser, au contraire. Pour le moment, il n'y a pas de contagion de ce côté.