Le continent est isolé du Royaume-Uni depuis le début du mois. Isolé ? Pas vraiment bien sûr et pas seulement grâce au tunnel. La phase de transition qui s'est ouverte peut se définir comme un statu quo. Jusqu'à la fin de l'année au moins, les règles du marché unique continuent à bénéficier aux continentaux comme aux insulaires. On a un peu l'impression qu'après des mois de palabres pour parvenir à un accord de global, ce dernier est largement de façade : derrière la façade, il y a les détails et, dans les détails se cache le diable. Le divorce prononcé, la négociation commence vraiment.
Les enjeux économiques ne sont pas les seuls et ce ne sont sans doute pas ceux qui ont été le plus pris en compte par les participants au référendum de 2016. Cependant, les nouvelles règles du jeu qui doivent entrer en vigueur le 1er janvier prochain vont avoir des conséquences de court et de long termes qui peuvent maintenir le dynamisme des pays européens (continent, y compris hors UE, comme îles britanniques) ou, à l'inverse, peser très durablement sur les perspectives économiques et financières de l'ensemble. On retrouve le double chantage qui marque les négociations du Brexit depuis le début. Des deux côtés, on veut préserver ses propres intérêts en brandissant la menace d'une issue qui serait destructrice. Mais des deux côtés, on sait que des erreurs pour définir le statut des relations outre-manche pénaliseraient fortement les uns et les autres.
Pourtant, on se retrouve dans un début classique pour de telles discussions. Chacun proclame qu'il n'est pas demandeur.
C'est une affirmation solidement affichée du côté britannique. Le Premier ministre a – plutôt logiquement – prolongé ses engagements de campagne : le Brexit avait comme but d'affranchir le Royaume-Uni de diktats venus de Bruxelles ou de Berlin et il se refuse par avance à recevoir à nouveau des leçons. Des « règles du jeu équitables » ne lui seront pas imposées, et c'est en tant que nation souveraine qu'il entend fixer ses règlementations en matière de droit du travail, de régimes sociaux, d'aides publiques, d'environnement et, bien sûr, de normes et de fiscalité. Si la nécessité d'organiser les relations avec le Continent s'impose à eux comme aux pays de l'Union, les Britanniques ne cherchent pas d'accord qui se ferait au détriment de leur souveraineté.
Du côté de l'Union Européenne, on subordonne a priori l'objectif d'un accord complet de libre échange, sans droits de douane et sans quota, à une concurrence britannique « ouverte et loyale », c'est-à-dire en respectant finalement les règles de Bruxelles. Les divergences – qui pourraient être considérées comme une révision à la baisse des contraintes internes au Royaume-Uni – seraient d'une certaine façon sanctionnées par des limitations d'accès au marché unique.
Les différends sont ainsi centrés sur le commerce, mais comptent de vrais points d'achoppement en matière de sécurité, de droit des personnes, et de frontières, tant maritimes que terrestres (pour l'Irlande et même Gibraltar). Les législations qui vont « rapatrier » les fonctions gouvernementales qui étaient assurées par la Commission Européenne devront aussi être jugées compatibles en Europe.
L'accord global que voudraient imposer les négociateurs de l'UE ne va pas être simple à trouver dans ces conditions. Du côté britannique, ce qui est recherché est, à l'inverse, la conclusion d'accords spécifiques allant jusqu'à des régimes divers de contrôle et d'arbitrage au cas par cas. L'entrée en négociation est habile dans cet objectif : les exceptions déclarées par Londres à cette partition des règles nouvelles sont la pêche, le commerce et la sécurité qui devraient se placer sous des règles globales.
La pêche ? Pourquoi est-ce le premier des sujets de négociation qui a été retenu ? Les enjeux ne sont pas nuls évidemment, mais, en plongeant dans le différend mis en avant par M. Johnson, les négociateurs européens sont un peu tombés dans un piège. L'interdiction immédiate (ou sa menace) au lendemain du Brexit des eaux territoriales de la Manche a en quelque sorte imposé le calendrier. Le tiers des poissons pêchés par les acteurs des grands pays continentaux a été pêché dans les eaux territoriales du Royaume-Uni et, singulièrement autour des îles anglo-normandes (dont les eaux restent ouvertes jusqu'à la fin de l'année). La rupture de l'accord de politique commune de la pêche de 1970 a été qualifiée de « risque de rupture le plus grave » par Michel Barnier, le négociateur européen.
Ce risque en est-il vraiment un ? Il semble plus que probable que les eaux territoriales ne seront finalement pas interdites, fût-ce au prix d'une exonération respective de droits de douane sur les produits des pêches. Mais, les Britanniques vont demander plus en échange. C'est bien sûr les services financiers qui vont être visés. L'accès de la City aux services financiers européens va être une des grandes affaires. La suivante sera la poursuite de l'intégration des secteurs manufacturiers à ceux du continent, sujet par sujet.
Le préalable de l'accord sur la pêche met sur la table le rapport de force. C'est pas mal joué du côté britannique, mais ce serait finalement destructeur pour les deux parties de jouer sur la force la définition des règles communes. Chacun comprend le risque de « no deal ». Cela posé, la relance budgétaire qui s'annonce au Royaume Uni n'incitera pas M. Johnson à presser le calendrier : moins les importations seront ainsi subventionnées, mieux ce sera de son point de vue.
Le deal – sans doute des accords nombreux – sera évidemment trouvé. Mais, déjà les Européens ont renoncé à une convergence absolue et à un accord global. M. Barnier l'a avoué : « il faudra maîtriser les divergences ». Le constat prend en compte la complexité de la ratification des accords trouvés, par la Chambre des Communes, par le Parlement Européen, par chacun des 27 pays de l'Union Européenne.
L'ambition revue à la baisse ne bouscule pas les scénarios de croissance de court terme modeste des deux côtés de la Manche : 1 % cette année et l'année prochaine en zone euro contre 1,2 % au Royaume-Uni, à ajuster en fonction de l'évolution du change euro/sterling.