Le virus touche maintenant les marchés financiers. Ils semblaient immunisés si ce n'est vaccinés, mais ils se sont sévèrement rattrapés. Construire des hypothèses est loin d'être simple tant le ressenti prend le pas sur l'analyse, pour les questions sanitaires, comme pour les questions économiques. Jean qui voulait rire encore il y a dix jours sur les Bourses s'est mué en Jean qui pleure. Il y a bien des raisons, finalement d'opter pour l'une ou l'autre des positions.
L'épidémie est désormais avérée et n'est plus limitée à la Chine comme l'avait été celle du SRAS de 2002-2003. De façon qui paraît encore plutôt marginale, au-delà du foyer asiatique, des infections avérées touchent en particulier l'Europe, l'Amérique du Nord et le Proche Orient. La prudence des scientifiques est évidemment de bonne pratique, mais elle n'aide pas à rassurer et, d'une façon assez normale, les réactions des États limitent les échanges, les voyages, la consommation et même la production.
Les scénarios économiques se mettent en ligne avec l'incertitude sanitaire et les réactions – forcément violentes – des populations et, donc, des pouvoirs politiques. Le fameux principe de précaution, aussi absurde que destructeur, ne peut être appliqué en l'espèce : la volatilité et les excès (re)deviennent pour un temps les premiers marqueurs de l'action politique.
L'incertitude, c'est ce que les investisseurs craignent avant tout. Quand elle s'impose dans la gestion publique, au risque de bousculer au moins pour un temps la vie des agents économiques, entreprises, administrations et ménages, elle remet en cause tous les scénarios, toutes les grandes hypothèses.
La chute des actions asiatiques ou européennes et, peut-être surtout, américaines, obéit à ces réflexes face aux incertitudes, qui, finalement, sont des risques inconnus.
Cette baisse des marchés qui a tourné au bain de sang paraît excessive au regard des fondamentaux. On n'est peut-être pas pour le moment passé par le pic de panique des grandes corrections boursières, mais on se situe dans la séquence.
Les conséquences économiques effectives de l'épidémie ne sont évidemment pas connues et il faut reconnaître qu'en les relevant jour après jour, les conjoncturistes (y compris ceux des institutions internationales) ne font qu'entretenir le doute et même les craintes. Cependant, même pour la Chine, les estimations les plus pessimistes tablent sur une croissance d'au moins 4,5 % cette année. C'est nettement moins que les 5,8 % généralement envisagés il y a deux mois, mais on est loin d'hypothèses de récession. Pour les autres grandes zones, on se situe plus dans des ajustements que dans des fortes révisions à la baisse. Aux États-Unis, la fourchette 1,6 % -1,9 % n'est pas en cause, l'Europe serait 0,1 % à 0,2 % au-dessous des 1 % attendus en début d'année. Evidemment, le Japon sera plus touché, comme Taïwan et la Corée.
La sérénité des économistes qui contraste avec la nervosité des investisseurs est aussi portée par la situation conjoncturelle avant la pandémie. Les éléments de stabilisation enregistrés au début de l'année en Europe, aux États-Unis et en Chine permettent de partir plutôt de haut. Les indicateurs des enquêtes de conjoncture (Ifo allemand, Réserves Fédérales d'États de la côte est et du Texas) mettent en évidence une stabilisation plutôt en hausse et les indicateurs avancés des directeurs d'achat de février montrent une certaine résistance, même si, comme on pouvait l'attendre, la baisse est sévère au Japon. Les indices composites - qui incluent les services et le manufacturier - sont encore proches du niveau neutre de 50 aux États-Unis (49,6) et au-dessus en zone euro (51,6).
La possibilité du pire implique les excès à la baisse des marchés, mais cette possibilité n'est pour le moment pas constatée et le pire n'est jamais sûr.
Devant l'incertitude économique et, plus encore peut-être, devant les réactions sévères des marchés, les traitements énergiques sont déjà prescrits. Ces traitements, encore et toujours, c'est la politique monétaire qui va les exécuter. Quel que puisse être le problème, les autorités ne semblent pas savoir faire autre chose que pratiquer des injections de monnaie.
On peut reconnaître que la partie fiscale du mix politique ne peut pas être actionnée aussi vite et avec des conséquences aussi rapides. Cependant, la Banque Centrale Européenne et la Réserve Fédérale américaine, qui sont déjà largement à la manoeuvre dans leurs stratégies de soutien à l'économie et à l'inflation, se sont dites prêtes à agir plus encore face à un problème que Jerome Powell, le patron de la Fed a reconnu dans le langage des grands argentiers être « très sérieux ».
En Chine, la manoeuvre est relancée et la création de monnaie en marche : l'équivalent de 400 milliards de dollars affichés depuis un mois sous forme de prêts à moyen terme aux banques, s'ajoutant à une baisse du taux de refinancement. Le pouvoir vise en particulier, via la Banque Populaire de Chine, les entreprises de taille moyenne (celles qui ne sont pas directement ou indirectement gérées par le parti communiste). À Hong Kong, (7,5 millions d'habitants) le soutien à la consommation est puissant : une distribution de cash du type « hélicoptère money » de l'équivalent de 1.000 euros par tête est annoncée et les autorités du territoire vont, en sus, injecter 7 milliards dans le système bancaire. Au total, plus de 4 % du PIB est lâché.
Cette nouvelle médecine financière – soigner le mal de la dette par plus de dette – ne va pas avoir des effets différents de celles des dix dernières années. Le dynamisme économique est certes entretenu, mais l'inflation reste inexistante et ce n'est pas la chute de près de 20 % du baril de brent depuis le début de l'année qui pourra aider sur ce plan. La grande conséquence des politiques monétaires agressives et celle qui le sera à un moment pour les injections de monnaie anti-épidémie, c'est la valorisation des actifs.
La violence de la baisse des marchés reflète donc l'incertitude sans vraie prise en compte des probabilités des scénarios du meilleur et du pire. Elle ne peut, bien sûr, être séparée de la très forte hausse des actions qui a précédé. L'appréciation des Bourses en 2019 s'est opérée avec un écart qui a été maintes fois noté, les indices ont gagné 25 à 30 % alors que les bénéfices des sociétés ont globalement stagné : c'est la baisse des taux d'intérêt et l'ensemble de la politique monétaire qui a provoqué la réévaluation des multiples de valorisation.
On se retrouve dans une situation particulière, puisque, finalement, la fuite vers la qualité et les anticipations des politiques des banques centrales ont ramené les rendement des emprunts d'État à 10 ans à - 0,50% en Allemagne ou - 0,20 % en France (qui avait été au-dessus de zéro jusqu'au 22 janvier), et à 1,37 % aux États-Unis contre plus de 1,9 % au début de l'année.
D'une façon paradoxale, la crise du coronavirus a reconstitué une marge pour que les actions retrouvent et même dépassent leurs niveaux records. Le constat ne vaut pas certitude et pas même forcément stratégie boursière. Deux questions peuvent casser ce potentiel ou simplement l'empêcher de se développer.
Le premier est évidemment l'ampleur de l'épidémie, sa géographie, sa durée. Ce n'est que le temps qui permettra d'estimer la réalité sanitaire et, donc, ses conséquences directes sur les conjonctures.
Le second va être plus complexe encore à estimer : il s'agit de l'évolution du fonctionnement de l'économie mondiale. La globalisation a déjà trouvé des freins à la fois géopolitiques (avec la guerre commerciale), technologiques (un autre aspect de la guerre commerciale) et structurels (avec le rééquilibrage du modèle chinois et le rapatriement de productions dans les zones développées consommatrices). L'épidémie peut accélérer une démondialisation déjà en marche. Le gel – ou la forte baisse des échanges commerciaux – en attendant le traitement de la pandémie amène les uns et les autres à faire le point, à changer ses pratiques d'investissement et de consommation, à redéployer ses stratégies.
L'exemple des médicaments est à suivre. 40 % des médicaments (principes actifs) sont produits en Chine et 60 % en Asie en incluant l'Inde. Le risque de pénurie est aujourd'hui plutôt mesuré, mais cette dépendance va immanquablement amener les grands de la pharmacie aux États-Unis ou en Europe à investir pour restaurer une indépendance en la matière. Le secteur ne sera pas le seul et, un changement de signe est à attendre pour l'ensemble des activités d'import et d'export vis-à-vis des pays émergents et, surtout, de la Chine.
L'accélération de la démondialisation après le traitement du virus est une certitude. Son ampleur et sa répartition vont être une des grandes questions économiques et financières sur fond de soutien monétaire aux marchés encore renforcé.