On ne dira pas que les médications monétaires, financières et budgétaires ont manqué face à la dégradation conjoncturelle. Pas davantage que les ordonnances ont été comptées pour les utiliser au service des économies. Du coté monétaire, par exemple, plan d'urgence de 750 milliards d'euros annoncé par la Banque Centrale Européenne, la Réserve fédérale qui a ramené son taux directeur à zéro injecte des dollars par centaines de milliards presque au quotidien et a mis un place un nouveau mécanisme de soutien spécifique aux fonds monétaires pour sauver le dynamisme du crédit, la Banque d'Angleterre qui suit (taux directeur de 0,1 %).
Les États sont lancés comme les banques centrales dans une course aux enchères qui parait folle : le Congrès américain va étudier un plan de 1.200 milliards (soit 5 % du PIB) et l'administration présidentielle envisage un versement direct de 1.000 dollars par Américain. L'Europe est plus mesurée et les garanties d'emprunt sont pour le moment privilégiées par rapport à des mesures directes de relance. Mais les pays annoncent des décalages de rentrées fiscales ou même des abandons de créances d'État. La liste n'est pas limitative et la Chine a montré le chemin des médecines économiques comme elle l'a fait pour le traitement de l'épidémie.
L'accumulation d'annonces portant sur des centaines de milliards ne permet pas vraiment de voir les enjeux. Ce qui frappe pour le moment c'est en premier lieu le manque de coordination.
La coordination n'est pas vraiment apparente entre les pouvoirs politiques et monétaires, Elle semble encore plus incertaine entre des pays qui devraient pourtant agir de concert face à une situation globale. Le G7 de lundi a confirmé ce malaise. Comment croire que le communiqué de convenance annonçant que « des mesures coordonnées, mobilisant tous les outils de politique économique disponibles seront prises » puisse convaincre, faute d'une action concrète forte et commune ?
Résultat, le sentiment qui domine est celui de la réaction pays par pays et pas (du tout) celui d'une action raisonnée et ciblée répondant au choc d'offre qui s'est mué en choc de demande.
Cela posé, les efforts budgétaires des grands pays sont partis pour se diriger vers, au minimum, 5 % des différents produits intérieurs bruts, alors que les Banques Centrales sont engagées dans une nouvelle course sans limites apparentes au refinancement des États et à de nouvelles mesures « non conventionnelles ».
Au-delà de ces constats, il y a une certitude : la crise sanitaire a gommé les règles et pratiques financières, monétaires et budgétaires. Le bouleversement se veut temporaire et il peut le rester, mais, les cartes des perspectives de moyen et long terme sont rebattues.
La tempête boursière n'est pas aberrante dans ce contexte de perte de contrôle des pouvoirs politiques et monétaires. Son ampleur l'est peut-être évidemment. Les Bourses mesuraient l'incertitude qui est un risque que la baisse des cours sanctionne. Aujourd'hui cependant, elles valorisent surtout la certitude d'une forte récession.
On est loin du moment où le bilan des accidents liés à cette récession devra être tiré. Comme toujours, ce sont les empilements d'endettements privés qui vont craquer et la facture sera lourde et devra être étalée dans le temps. Elle sera forcément, pour une part, encore financée par les États. Ce qui est actuel, c'est la mobilisation. C'est le terme puisque certains n'ont pas craint l'impropriété de qualifier la lutte contre l'épidémie « de guerre. »
Cette mobilisation générale de soutien à la conjoncture de court terme est certes désorganisée, mais les montants annoncés donnent le tournis quand on se reporte aux débats violents opposant les uns et les autres il y a encore deux mois pour déplacer, investir, injecter ou produire en déficit 0,1 % ou 0,3 % de PIB. C’était dans un autre temps, un autre monde.
Que ce soit du côté de M. Trump ou Mme Merkel ou de la grande majorité des gouvernements, le message est le même que celui que M. Macron nous a lancé : lutte sanitaire quoi qu'il en coûte, efforts économiques … quoi qu'il en coûte aussi. « Aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite ; aucun Français ne sera laissé sans ressource » n'a pas craint d'affirmer notre président de la République.
Au-delà des premières mesures annoncées qui vont désorganiser plus encore les circuits financiers, cette absence de limites engage notre pays – comme la plupart des autres – dans une fuite en avant financière. Une guerre conduit à la reconstruction de pays détruits (comme l'Allemagne, le Japon et la Grande Bretagne après 1945). Le financement par la dette publique est alors cohérent : une fois les reconstructions menées à bien, la croissance s'emballe et les recettes fiscales permettent d'amortir et réduire les dettes. En l'espèce, nous ne sommes pas en guerre : les dépenses publiques financées de fait par les Banques Centrales, les injections monétaires à carnet ouvert ne sont pas engagées pour reconstruire. Il s'agit simplement de stabiliser les économies, de les ramener à leur situation de la fin 2019.
Ainsi, quand les mécanismes se seront rétablis – ce qui prendra plusieurs trimestres après la fin de l'épidémie – il ne faudra pas attendre un boom de croissance qui aille bien au-delà des fondamentaux de 2019. Pas de reconstruction qui produirait un rebond durable, pas de soutien démographique particulier, pas de gonflement des échanges mondiaux : la croissance sera sans doute modérée, son potentiel porté pour l'essentiel par les technologies nouvelles (y compris biotechnologies).
Le résultat à anticiper ? Une stabilisation conjoncturelle certes, mais, sans une croissance mondiale très forte, les masses mises en circulation, la nécessité d'amortir les dettes produiront forcément de l'inflation. L'anticiper aujourd'hui avec un CAC 40 dans sa zone de rebond de 2003 et 2009, des taux directeurs nuls ou négatifs, un baril de brent dans ses plus bas touchés en 2002, 2009 et 2019, avec des anticipations d'inflation dans 5 ans en dollar et euro de 1,75 % et 2 %, cela relève aujourd'hui du paradoxe. Mais, sur fond de baisse de la concurrence de coûts de production en raison de la démondialisation, il va falloir conserver le scénario en tête.