Retour sur 2012. La crise de la dette hypothécaire américaine, passée aux banques en raison de l'empilement de dérivés de crédit, était devenue en 2012 celle des États qui avaient sauvé le système financier. Les attaques sur le montage disparate que constitue l'euro avait fragilisé à l'extrême l'existence même de la monnaie unique. Le 26 juillet, le président de la Banque Centrale Européenne avait lancé sa fameuse formule « whatever it takes » pour annoncer le sauvetage de l'euro (donc des banques de la zone) quoi qu'il puisse en coûter. La promesse a été tenue et le bilan de la BCE, doublé en proportion du PIB de la zone euro entre 2010 et aujourd'hui en témoigne. La sérénité – mais pas l'inflation - revenue sur les marchés monétaires et financiers, une nouvelle étape de mondialisation a pu porter la croissance générale.
La crise sanitaire que nous subissons a évidemment des sources bien différentes de l'enchaînement essentiellement financier démarré en 2008. Ses conséquences potentielles sont aussi bien différentes. Ce n'est plus un système financier qui a organisé sa vulnérabilité qu'il faut sauver. C'est la croissance qu'il faut retrouver. Le retour au « quel que puisse être le coût », cette fois, c'est du pays le plus puissant du monde, de son administration présidentielle, de ses parlementaires et de la Banques Centrale qui gère les taux directeurs en dollar, qu'il est venu. C'est la saison 2 du Whatever it takes.
Les enchères montent vite. Le 16 mars, M. Trump proposait aux membres du Congrès un plan de relance de 850 milliards de dollars. Il rencontrait une certaine réticence, et pas seulement de principe. Le 25 mars, le même président proposait au même Parlement un dispositif de 2.000 milliards de dollars, approuvé par le Sénat, ce plan qui agrège en sus des mesures de relance (dont des transferts aux ménages) des garanties aux entreprises et des reports de charge, représente plus de 10 % du produit intérieur brut (de 2019, et plus en 2020 après une très probable contraction de l'économie).
Cela ne s'arrête pas là, la Réserve Fédérale avait placé une mise à 700 milliards il y a dix jours. Désormais, il n'y a plus de limite dans les concours qu'elle pourra engager pour l'économie américaine, la Fed achètera les actifs « qu'elle jugera nécessaire » dans le cadre d'un ajustement quantitatif qui, quelles que puissent être les dépenses budgétaires, lui permettra de maintenir le niveau des taux d'intérêt. De plus, elle interviendra sur les marchés du crédit via le Trésor ou même directement et remet en place un mécanisme assurant aux banques la liquidité de leurs créances titrisées. La banque centrale américaine, autorisée à finalement prêter aux entreprises sans passer par les banques, serait apte à mobiliser avec les effets de levier 4.500 milliards de dollars. Le cinquième du PIB des États-Unis.
C'est le grand jeu. L'État est financé dans ses dépenses quelles qu'elles soient. Le marché du crédit va pouvoir assurer le financement des entreprises et celui du financement bancaire à l'ensemble des acteurs économiques.
Les données économiques qui tombent justifient ce traitement de choc. On estime au tiers de la population mondiale les personnes confinées. Ces 2,6 milliards d'individus sont des contributeurs dont le poids sur les conjonctures est forcément démultiplié.
L'estimation de l'INSEE est une contraction de 35 % de l'activité en France depuis le début du confinement. En prenant les précautions d'usage, ces spécialistes ont estimé l'impact d'un mois de confinement à 3 % de PIB annuel. Le constat vaut à travers le monde. C'est l'envolée des inscriptions au chômage des américains qui arrive en premier dans les préoccupations : plus de 3 millions dans la statistique de ce jeudi, c'est du jamais vu, en tout cas depuis la dernière guerre mondiale. Les enquêtes de conjoncture en Europe sont dans la lignée de celles de la France et, s'il est difficile d'interpréter les chiffres officiels chinois, l'Asie en général est largement touchée comme l'a montré la chute de 22 % de la production industrielle de Singapour en février.
Le plan américain doit bien entendu gérer les spécificités du pays, en particulier la nécessité de palier les besoins sociaux (indemnités chômage, frais de santé, …) qui sont pour une grande part pris en compte par des régimes pérennes en Europe ou au Japon. Le retour des files d'attentes des années 1930 devant les soupes populaires américaines, envisageable sur le papier, ne l'est évidemment pas politiquement.
Cela posé, les masses mobilisées par les États et les Banques Centrales pour assurer la liquidité (report ou allègement d'impôts, prêts garantis) et les injections de relance vont être mises en place de la même façon partout et dans des proportions équivalentes au dispositif américain. C'est ce qu'a confirmé le communiqué, plutôt moins alambiqué que souvent, du G20 tenu en vidéo conférence jeudi.
5.000 milliards pour la relance pure dans le G20, cela va situer d'une part les relances budgétaires entre 5 et 7 % des PIB, d'autre part un effort pour assurer la liquidité de une fois et demi à deux fois ce montant, amplifié « sans limite » par les Banques Centrales.
Crise mondiale impose finalement traitement mondial. C'est le cas pour l'épidémie. Ce sera le cas pour les économies. Au-delà des réflexes des économies « égoïstes » de la course à la productivité dans la mondialisation dont les débats européens peuvent être une illustration, la voie est tracée et chacun suivra. La dose des médications (les injections de relance et les investissements de liquidité) va dépendre de la durée de l'épidémie. Elle peut être différente d'un pays à l'autre, mais la globalisation joue encore.
Quel objectif finalement ? Faire repartir les économies. Après le choc qui sera enregistré sur 2020, les scénarios se dessinent pour 2021. Pour le moment les consensus tournent sur un retour de l'activité 5 à 10 % au-dessous de celle de 2019. Ce qui demandera qu'ils soient sérieusement affinés. Aujourd'hui, les marchés financiers ne peuvent que se concentrer au jour le jour sur les données sanitaires. Quand ils reprendront leurs esprits seulement, ils pourront prendre en compte les données fondamentales de ce « monde d'après ».