Le Premier ministre ne nous a pas beaucoup éclairé sur les conditions de sortie de confinement. Il a semblé avoir un peu suivi la maxime d'Alan Greenspan à la Fed : « Si vous avez compris quelque chose, c'est que je me suis mal exprimé.» Le sujet n'est vraiment pas simple il est vrai. En effet, il est difficile de tirer des leçons de la politique chinoise dans le traitement de l'épidémie. Il en va de la communication sanitaire du parti communiste comme il en va des statistiques économiques chinoises : on a du mal à les interpréter. La sortie du confinement, ce sont les Italiens, les Espagnols et les Français qui vont l'expérimenter, pour donner un modèle. La sortie rapide du monde d'une crise de l'activité, de l'offre et de la demande, ne sera en tout état de cause pas rapide. Le rebond conjoncturel pas davantage. En question dans l'esprit des agents économiques et, a fortiori des intervenants sur les marchés financiers, les scénarios de reprise ; va-t-on vers un « V », un « u », ou des « w » ?
Le calendrier est loin d'être cerné. Le seul recours est pour le moment la sortie – très laborieuse et même plutôt chaotique -du confinement de la région de Hubei (un peu moins de 60 millions d'habitants). Si le déroulé imposé dans cette province par le parti communiste chinois était dupliqué, les premières mesures de fin de confinement seraient prises dans la première semaine de mai en Italie, et dans la troisième ou la quatrième dans les autres grands pays du Continent (Espagne, Allemagne, France) ou au Royaume-Uni. Les États-Unis commenceraient à revivre seulement fin mai.
Sur ces bases, l'ampleur de la récession mesurée pour le seul premier semestre commence à être mieux cernée. Les dégâts seront certainement plus sévères que lors des dernières crises, et en particulier, la crise financière de 2008-2011. Les indicateurs avancés comme celui des intentions des responsables d'achat des entreprises, à partir desquels raisonnent les économistes et les investisseurs, affichent des niveaux pour l'essentiel très alarmants, et dans quelques rares cas plutôt rassurants. S'appuyer sur eux est pratiquement impossible : le thermomètre est cassé.
Les données retardées, et en premier lieu le marché de l'emploi américain (re)deviennent les indicateurs de base. Sur le point particulier des États-Unis, la note est salée et va encore être majorée. Pour la première fois depuis l'automne 2010, l'économie américaine a détruit des emplois en mars (700.000). Encore ne s'agit-il que d'une extrapolation statistique à partir des deux premières semaines du mois. Pour en rester aux comparaisons historiques, les inscriptions hebdomadaires au chômage aux États-Unis du 21 au 28 mars – 3,3 millions – constituent un record depuis 1982, son choc pétrolier, son inflation et les taux directeurs de la Fed au-dessus de 20 %.
Même si l'équivalent du chômage technique est intégré dans la statistique américaine et qu'il offre un potentiel de rebond rapide de l'emploi au moment du redémarrage de l'économie, on en est seulement au début. Les anticipations varient avec celles de l'épidémie et donc des conditions de confinement, mais le taux de chômage américain, qui était de 3,5 % de la population active en février, va rapidement atteindre et même dépasser 10 %. Les économistes de Morgan Stanley annoncent 15 %, certains spécialistes d'autres banques d'affaires ne craignent pas d'avancer 20 %. Bien sûr, la violence, et donc les besoins de mobilisation des finances publiques, ne sont pas tout à fait du même ordre dans les autres grandes économies occidentales. Cependant, le monde va entrer en récession ce second trimestre, États-Unis et Europe en tête.
C'est le schéma le plus classique et le plus espéré : l'épidémie endiguée, les colossales injections budgétaires (10 % des produits intérieurs bruts des économies occidentales) et les guichets ouverts sans limite des grandes banques centrales pour assurer la liquidité de l’économie pourraient permettre un très fort rebond. Les données chinoises – qui montreraient effectivement un début de scénario en « V » - sont à la base de cette approche.
Si on les extrapole aux États-Unis et à l'Europe – avec les précautions d'usage – on dessinerait une baisse de 10 à 25 % des produits intérieurs bruts (appréciez la largeur de la fourchette) au solde du 1er semestre. Les efforts budgétaires et monétaires permettraient de stabiliser l'activité au troisième trimestre, pour retrouver à la fin de l'année ou au début de la suivante le niveau de la fin 2019.
Ce retour est un scénario plutôt dans le haut de fourchette des précédentes crises. Pour un peu que l'on puisse comparer, à échéance avril 2021, l'objectif serait de 3 % à 9 % au-dessous de la dynamique de la tendance précédente (1 % à 2 % de croissance annuelle). Mais ce sont les données sanitaires, elles d'abord et en condition nécessaire, qui vont faire jouer le cycle dans un sens ou l'autre : sans une épidémie endiguée et des vaccins développés, le » V » se muerait en « U ».
Le scénario en « U » obéit avec un décalage à la même logique que le « V ». L'économie est stabilisée à la fin de l'année et au 1er semestre 2021 par les actions des États et des Banques Centrales. Cette stabilisation sur un recul de 5 à 10 % par rapport à 2019 se poursuit plusieurs trimestres même si l'actualité sanitaire s'améliore.
En cause, le « nouveau monde » du repli des pays sur leurs intérêts nationaux, le rebond très mesuré du commerce international, une aversion au risque de la part des agents économiques des grands pays occidentaux, ménages comme entreprises.
La stabilisation dure alors plusieurs trimestres. La troisième phase du « U » (la remontée) est un mix de règlement de l’épidémie et d'une croissance basée sur l'économie de ce nouveau monde : flambées d'innovations technologiques et d'initiatives entrepreneuriales, productions rapprochées des consommateurs et chaînes de valeur raccourcies.
On comprend que la Chine ne puisse pas porter l'économie mondiale dans ce contexte, qui devra aussi faire avec des hausses de fiscalité et – un jour - d'anticipations d'inflation.
Les reprises modérées, puis des stagnations qui se succèdent : la série des w peut durer à partir du second semestre de cette année. Dans un premier temps, ce sont les données concernant le développement de l'épidémie qui peuvent envoyer ces mouvements de dos d'âne. Dans un deuxième temps, la démondialisation qui va limiter les effets d'un rebond chinois. Ensuite, les fondamentaux du « nouveau monde » qui marquent aussi le scénario en « U ». Y compris avec des anticipations de hausse de fiscalité et de risque d'inflation qui montent progressivement en puissance coiffent les rebonds. Et tout au long de ces ondulations de conjoncture, les réactions proactives des États et des banques centrales.
Le scénario des w, n'exclue, pas plus que les deux autres, une vraie poussée de croissance menée par les pays de l'OCDE à un stade ou à un autre. La vraie différence, c'est le calendrier : celui de l'épidémie avant tout, celui de la prise en compte du «nouveau monde » par les agents économiques ensuite. Le V est le scénario du rebond rapide, le U celui d'une stabilisation précédant le rebond, les w se placent dans l'hypothèse d'une adaptation progressive, ouvrant à terme la voie d'une croissance soutenue. Les w doivent déboucher sur un … √. La question est le délai d'amorçage de cette croissance nouveau type.