Les Bourses ont effacé en deux séances, vendredi et lundi, 80 % de la baisse qu'elles avaient essuyée les 4 précédentes journées. La violence de la reprise – encore supérieure à celle de la baisse – a des caractéristiques techniques. Elle illustre surtout les incertitudes dans les deux sens. Le flou concerne bien sûr le développement ou le ralentissement de l'épidémie. Il n'est pas vraiment plus éclairci pour ce qui concerne les scénarios économiques. Et, même si le sujet a pu passer un peu au second plan, la politique se réinvitera peut-être plus tôt qu'on ne le pense. La crainte généralisée de louper le train de la hausse a pris le pas sur celle des incertitudes. Elle ne les efface évidemment pas.
Projeter des scénarios d'évolution de l'épidémie est un jeu à éviter. Depuis janvier, à travers la planète, les spécialistes ont alterné affirmations et contre-affirmations. La surinformation, relayée en particulier par des chapelets de professeurs de médecine, incite à s'abstenir. Ce qui n'empêche pas des pronostics affirmatifs provenant de tous les milieux. Celui des investisseurs et des marchés n'échappe pas à cette contagion verbale.
Sans tomber dans ce malheureux travers, on peut s'en tenir à l'observation. La dynamique de l'épidémie est inversée dans la plupart des pays occidentaux, à l'exception notable des États-Unis et du Royaume Uni, où les décès journaliers progressent toujours, mais à un rythme qui s'est fortement réduit. Le scénario chinois – pour peu qu'on puisse s'appuyer sur les statistiques locales – se confirme un peu partout. Les mesures de confinement fonctionnent et donnent bien des résultats.
La voie étroite est celle du « déconfinement ». Les pays les premiers touchés (Chine, Italie, Espagne) ouvrent assez logiquement la voie et vont être observés de près. Le moindre dérapage dans les nouveaux cas bouleverserait les règles sanitaires et serait très mal supporté par les marchés financiers. Pour le moment, on n'en est pas là et c'est le scénario de normalisation relativement réussie qui se confirme.
Il n'y a rien qui permette de tomber dans un optimisme béat, mais il y a des conditions pour une stabilisation … jusqu'à la mise au point d'un vaccin. Les rumeurs ou les avancées de recherche font donc l'actualité et risquent de le faire un moment. Lundi, l'espoir donné par la biotech américaine Moderna a suscité des (sur)réactions tant des milieux médicaux et politiques que des marchés financiers. Le flou n'exclue pas les anticipations, au contraire.
Les messages envoyés pour les scénarios économiques ne sont pas forcément plus clairs. Globalement, les indicateurs eu Europe et en Amérique du Nord indiquent qu'on se situe désormais sur un point bas. Mais si cela peut signifier une certaine stabilisation, ce point est très très bas. La chute de l'économie américaine au deuxième trimestre estimée entre 12 et 15 % marque une récession d'une ampleur inconnue depuis la guerre. L'Europe fera un peu mieux en moyenne, mais les dégâts sont loin d'être stoppés. Un seul chiffre résume la situation : l'Opep et l'Agence Internationale de l'énergie chiffrent à 9 % minimum la baisse de consommation de pétrole cette année.
Bien sûr, la conjoncture qui s'ouvre va être marquée par une démondialisation des biens et des personnes qui va diminuer la consommation de pétrole. Mais cela implique que les économies vont devoir repartir majoritairement sur leurs forces internes.
C'est là un handicap qu'il ne faut pas évacuer. En 2008, c'est la croissance chinoise qui avait permis de casser la récession. En 2021 (et peut-être à partir du dernier trimestre 2020), ce sont les investissements et les consommateurs de chaque zone qui devront porter l'économie. Si les investissements peuvent trouver une tendance de reprise modérée, les soutiens à la consommation ne vont pas pouvoir être accélérés à partir de leur base si élevée aujourd'hui. Au contraire, ils devront être contenus.
Les plans massifs seront des investissements publics. Aux États-Unis, c'est près de 15 % du produit intérieur brut qui est annoncé ; en Europe, l'initiative franco-allemande de la semaine dernière pourrait permettre de s'en approcher. Ce n'est déjà pas loin d'être le cas en Allemagne et en Italie alors que les plans français dépassent déjà 10 %. Les 500 milliards d'euros du plan de relance proposé par la chancelière et le président pèsent 5% du produit intérieur brut de la zone. Il y a urgence tant la durée de la récession conditionnera les conditions d'un rebond et un nouvel endettement massif est bien nécessaire.
Dans ces conditions de dépenses publiques, et sur la base de scénarios sanitaires stabilisés, c'est du consommateur que va dépendre l'enrayement de la récession. Il y a un flou assez général et les scénarios des économistes, qui visent une activité comparable à celle de 2019 pour des délais qui vont du quatrième trimestre 2020 au premier semestre 2022, en témoignent.
Même si leur nécessité n'est pas vraiment contestable, les désormais fameux 500 milliards d'euros de Merkel et Macron sont à ce stade une proposition et seulement une proposition. Leur financement par la dette mutualisée qui serait la première étape vers des « eurobonds » sur le modèle des bons du Trésor américain va ouvrir des débats politiques.
La réticence à faire preuve de solidarité financière de la part de l'Allemagne ou des Pays Bas ne va pas se tarir. Il va y avoir des débats qui peuvent virer à la caricature et au populisme dans bien des pays de la zone euro. C'est en ordre dispersé qu'ils ont géré l'épidémie, ce n'est pas forcément dans l'unité qu'ils vont tenter d'en limiter les impacts économiques.
Les aléas politiques ne vont pas s'arrêter à nos frontières. Les questions du début de l'année n'ont pas disparu, au contraire. Ce sont les États-Unis qui sont au centre des tensions. En premier lieu en raison de nouveaux épisodes de la guerre commerciale avec la Chine qui sont engagés et qui vont s'amplifier. Ils sont initiés par l'administration présidentielle mais sont soutenus dans le pays et, en particulier, au sein des parlementaires du clan démocrate.
Justement, une forte incertitude s'est renforcée aux États-Unis. La réélection de Donald Trump, qui était acquise aux yeux des investisseurs à la fin 2019, n'apparaît pas aussi certaine, loin de là. La conjoncture économique américaine, plus que la gestion de la crise sanitaire, va être au cœur de la campagne et du choix des électeurs. La fiscalité va se durcir à travers les économies de l'OCDE et une administration démocrate irait certainement plus loin et plus vite qu'une équipe Trump reconduite.
Ainsi, une éclaircie sur le front sanitaire et une amélioration conjoncturelle laborieuse, mais réelle, ne règleront pas les incertitudes. La géopolitique et la politique vont faire leur retour.
Ces incertitudes n'empêchent pas la bonne tendance des Bourses qui sont des instruments d'anticipation. Les investisseurs sont retombés dans le paradoxe des mauvaises nouvelles (des économies) qui en sont de bonnes (pour les marchés) car elles incitent les Banques Centrales à garder leurs guichets ouverts et les États à lancer des plans d'investissements. Les plans monétaires qui visent à assurer la liquidité du crédit arrosent mécaniquement les marchés et forcent les achats d'actions. Mais le rendez-vous des valorisations avec la conjoncture et les profits ne sera pas décalé éternellement.