En 2008-2010, c'est la Chine qui avait relancé l'économie mondiale après la crise financière. La récession du pays de 2009 mesurée à 5,2 % par la Banque Mondiale (en dollars courants) a été effacée dès 2010 et a permis alors un produit intérieur brut du monde supérieur de 3,8 % à celui de 2008. La donne a bien changé depuis et le scénario va avoir du mal à se répéter. Le poids de la Chine dans l'économie mondiale a plus que doublé pour atteindre 18 %. Un rebond devrait donc avoir un effet d'entraînement plus fort. Le raisonnement ne peut évidemment s'arrêter là. Mais, même si il ne faut pas compter sur le même effet d'entraînement, la Chine tient bien une des clés de l'évolution conjoncturelle de la planète.
C'est à partir de la Chine que le virus s'est développé. Sans entrer dans une quelconque polémique, l'épidémie a touché d'abord ce pays et plus particulièrement certaines de ses régions. Le traitement chinois a servi de modèle pour les autres zones touchées dans le monde : confinement et blocage de l'économie, puis « déconfinement » progressif et reprise plus ou moins contrôlée de l'activité.
Évidemment, il en est des statistiques sanitaires chinoises comme il en est des données économiques officielles. Cependant, il faut bien s'appuyer sur quelque chose et, finalement, le choix de l'arrêt de l'activité semble avoir été le bon pour faire face à l'épidémie.
Les dégâts économiques ont été au niveau de ce qu'on pouvait anticiper. La chute de 6,8 % du produit intérieur brut chinois au premier trimestre (en glissement annuel) est sévère et, sans doute ne donne pas toute la mesure des conséquences du chômage très élevé dont l'ampleur ne semble pas avoir été vraiment mesurée.
Les deux derniers mois ont – évidemment – été meilleurs tant la perte d'activité était aigüe. Il y a un effet de reprise du côté des entreprises avec une production industrielle qui doit se situer au-dessus de son point bas. La consommation n'a en revanche rebondi que faiblement et limite l'ampleur du constat d'amélioration. Évidemment, de plus, la demande extérieure a beaucoup faibli et ne s'est pas reprise face à la récession européenne et en Amérique du Nord : le commerce mondial ne s'est contracté « que » de 3,6 % au 1er trimestre et cela s'est forcément aggravé. Au total, l'économie chinoise se situe plus dans une phase d'ajustement de la récession que de retour d'une dynamique réelle.
Cette tentative de retour à la normale après le blocage est très disparate entre les secteurs et, en particulier, bien des services semblent durablement affectés. Les chiffres globaux pourraient être trompeurs et masquer les écarts.
En tout état de cause, on ne pourra pas vraiment étendre des conclusions de la reprise en Chine à l'ensemble des économies occidentales. En effet, ce sont les fondamentaux spécifiques qui vont donner la tendance, le rythme, la répartition.
On ne fera donc pas de reproche aux responsables du parti communiste de renoncer aux objectifs chiffrés et précis pour l'économie. Devant l'Assemblée Nationale Populaire, le gouvernement a renoncé à donner un objectif chiffré de croissance 2020, pour la première fois dans ce pays régit par la planification. On doit y voir autre chose que la prise en compte des effets d'un cycle mondial très incertain. Pour réaliser l'objectif du doublement du PIB entre 2010 et 2020 donné par Hu Jintao au moment de son passage de relais à Xi Jinping, il aurait fallu 5,5 % cette année. On a compris qu'on en sera loin, et même sans doute proche d'un score négatif. Fixer politiquement même 1 % (ce qui serait sans doute optimiste) aurait été reconnaître formellement que ce fameux doublement, confirmé en 2016 par le treizième plan quinquennal, ne pourra pas être tenu.
C'est un objectif pour le « chômage urbain » limité à 6 % de la population active qui tient désormais lieu de directive pour cette année. La donnée ne comprend pas les travailleurs ruraux, mais pas non plus la main d'oeuvre sans statut des grandes agglomérations. C'est un minimum pour éviter des fractures sociales et il justifie de faire valider par le parlement une nouvelle étape de réformes, en particulier en diminuant le poids de l'État et de son secteur public et para public. Sa compétitivité doit être améliorée par le renoncement à des missions de services publics et l'entrée d'investisseurs privés aux critères de retour sur investissement mieux définis sera encouragée.
L'ambition est très élevée et il s'agirait bien d'une mutation. Le pouvoir veut aller encore plus loin dans une normalisation à but de compétitivité en libéralisant les investissements étrangers en Chines.
La poursuite des réformes met en évidence une stratégie politique : profiter de la crise économique pour accélérer la mutation du modèle chinois. Le rééquilibrage au profit de l'interne n'est pas abandonné. Au contraire, au poids croissant de la consommation dans l'économie, le pouvoir veut ajouter un secteur productif privé capable de financer davantage d'investissements. Le nouveau modèle chinois ne se veut pas moins sensible à l'économie mondiale mais, au contraire, vise à s'installer dans une nouvelle étape de concurrence.
Le projet a le mérite d'être mis sur la table. Il n'est pas surprenant qu'il renforce les oppositions de la part des États-Unis. Pour caricaturer, la Chine compte toujours sur les pays de l'OCDE pour lui permettre de gagner encore en puissance. La levée de capitaux étrangers pour financer la mise aux normes concurrentielles de l'industrie est un passage logique vu du pouvoir chinois. Il n'est pas moins logique que, si l'Europe reste dans une position de victime consentante, les Américains se placent en opposition frontale. C'est à l'unanimité que le Sénat a adopté une loi concernant la règlementation des entreprises cotées aux États-Unis qui exclurait de fait la plupart des groupes chinois.
Bien sûr, les capitaux internationaux pourront financer des sociétés cotées en Chine. Mais, au-delà de la mesure « de guerre froide » suivant les termes mêmes du ministre des affaires étrangères Wang Yi, se profile une montée du conflit commercial et de propriété intellectuelle.
Dans la crise économique qui va se développer, les préoccupations de politique intérieure reviennent un peu partout au premier plan. C'est le cas en Chine, malgré la protection des gouvernants des régimes totalitaires. Le niveau de vie et le chômage sont ainsi au coeur du dispositif présenté par le parti, ce qui n'exclue pas la mobilisation nationaliste visant Hong Kong et Taïwan. C'est bien sûr le cas aux États-Unis : en année électorale, on va assister à une surenchère entre les candidats sur le thème de la guerre commerciale avec la Chine. La direction est prise et va s'amplifier.
La Chine ne sera pas « le » moteur de la reprise mondiale d'ici à la fin 2021. De fait, la période est un retour généralisé des pays sur leurs forces internes. Les soutiens à l'investissement permettent de tabler sur un rebond sur les plus bas. Mais, en Chine comme aux États-Unis ou en Europe, c'est le consommateur qui va décider...