La crise économique la plus violente depuis celle des années 1930 n'a pas créé de panique sur les marchés financiers, en tout cas pas de panique durable. Certes, les banques centrales ont fait le job avec des soutiens sans précédents tant en termes de montants injectés que de maintien de taux d'intérêt dans des niveaux très bas, et même nuls ou négatifs. Les annonces budgétaires de plans d'investissement et d'aides ont aussi joué leur rôle. Mais il est difficile de ne pas s'interroger sur une décorrélation entre les Bourses et la conjoncture. Un des lecteurs de cette chronique m'a résumé de façon imagée la période : c'est la drôle de guerre. Les hostilités (la récession) sont déclarées. Mais il n'y a pas (encore?) de morts.
Il n'y a pas de doute : l'année 2020 sera marquée par la récession. Le Fonds Monétaire International a sensiblement aggravé son diagnostic, portant à 4,9 % son estimation de la contraction mondiale cette année. 8 % de baisse pour le produit intérieur brut américain, 10,2 % pour la zone euro et pour le Royaume-Uni, 5,8 % pour le Japon et une modeste croissance de 1 % en Chine donnent une idée de la contagion économique.
Le sentiment de drôle de guerre ne touche pas seulement les marchés financiers. L'afflux de cash et les conditions financières en général ont bien empêché la crise financière. Ils ont en quelque sorte occulté le krach économique pourtant bien réel à date. Ils l'ont bien évité sur le plan fondamental : il n'y a pas d'effet sur les faillites privées et pas même de doutes sur la faculté d'États gonflant leur endettement à assurer le service de leur passif.
Les pertes d'emplois liées à des défauts des entreprises ne sont pas perceptibles dans les données de chômage, par ailleurs pas facile à interpréter en sortie de dispositifs de chômage partiel ou d'un équivalent américain. De la même façon les plans de restructuration des entreprises après le choc conjoncturel ne sont pas vraiment engagés et, en tout cas, ne se sont pas encore traduits par des suppressions d'emplois et des licenciements.
Les dispositifs – forcément temporaires – qui ont au total masqué le plongeon des économies se traduisent par ce sentiment de drôle de guerre : on peut craindre le pire, mais on sait aussi que le pire n'est jamais sûr.
Les données de chômage sont des statistiques retardées. Les prévisions du FMI aussi, d'une certaine façon. Ses spécialistes se basent sur des réactions historiques des agents économiques. C'est sur ces données qu'ils n'anticipent pas un retour à la conjoncture d'il y a 6 mois avant le début de 2022. Ils tablent sur une économie mondiale retrouvant en 2021 le niveau de 2019 en grande partie grâce à la Chine (avec une expansion de 8,2 % après les +1 % de cette année). Mais pour les économies avancées, il attend un PIB 2021 inférieur de 3,6 % à celui de 2019, la zone euro faisant, avec 4,2 %, pire que les autres grandes zones qui se situent dans la moyenne de -3,6 %.
Pourtant, depuis les sorties de confinement, les surprises économiques à la lecture des statistiques traditionnelles et, surtout, des analyses instantanées, sont positives. En effet, le pire n'était pas certain et, pour le moins, le consommateur américain ou européen est au rendez-vous. Pour les fameux indicateurs de surprise économique, on est passé aux États-Unis en moins de deux mois du pire niveau jamais atteint, dans la zone des records, portant l'indice global dans le vert. En Europe, s’il se situe encore en négatif, son rebond met en évidence une vitesse exceptionnelle.
Les consensus des économistes avaient sous-estimé l'ampleur du choc. Il a plus encore sous-estimé le début du rebond.
Un retour des économies à leur potentiel début 2022, soit en 2 ans et demi prend en réalité en compte une croissance rapide après un choc aussi exceptionnel dans son ampleur que dans sa courte durée. En zone euro, il avait fallu attendre 2015 pour retrouver les chiffres de 2008 après la crise.
La réouverture de l'économie mondiale a été orchestrée par les mesures multiples de soutien et, pour le moment en tout cas, a rétabli le moral des consommateurs, peut-être même au-delà de la période précédente. Les effets des mesures monétaires et budgétaires entretiennent ce sentiment, par leurs conséquences directes sur une normalisation des secteurs industriels.
Ainsi, ce ne sont pas seulement les marchés financiers qui traversent une drôle de guerre, mais l'ensemble des agents économiques et, en particulier celui qui a la clé de la conjoncture : le consommateur.
L'heure est sans conteste à la priorité absolue à la reprise économique. Les moyens sont là et on peut sortir de la drôle de guerre par le haut. Après tout, après une drôle de guerre il y a toujours un gagnant quand les combats sont enclenchés.
Il y a bien des raisons pour suivre les investisseurs qui prennent le pari des actions sur la base de bénéfices remontant à partir de la fin 2021. Si ce qui compte est le sens des anticipations, après le pessimisme, les révisions sont à la hausse.
Pour autant, la crise ne va produire qu'avec retard ses effets négatifs : hausse du chômage et des anticipations de chômage jouant sur les dépenses des ménages quand l'investissement privé devra prendre le relais des aides publiques directes.
La définition de la drôle de guerre est l'absence de visibilité : le rebond rapide (deux ans et demi) et la croissance est possible, mais il va passer par des périodes de retour de la crise et des doutes.