La saison de la publication des chiffres d'affaires et des comptes semestriels est celle du bilan d'une période allant du normal à l'arrêt autoritaire des économies, puis de leur sortie de blocage. Elle permet donc une approche des dégâts des fameuses périodes de confinement. Les comptes vont être faits, au moment, ou, par ailleurs, ceux du rebond – mécanique, mais plus vif qu'anticipé – ouvrent les perspectives. Les scénarios sont revus le plus souvent à la hausse sur la base des données disponibles, que ce soient les fameuses statistiques instantanées d'activité ou les mesures du climat économique, vu des entreprises ou des ménages.
Ce qui est tenu pour acquis, c'est la nouvelle forme du « quoi qu'il en coûte » repris ou suivi par tous les grands États et toutes les grandes banques centrales, ces dernières prenant de plus en charge les dettes publiques créées. Derrière cette certitude, c'est la sortie de la gestion généralisée au jour le jour qui se cherche. 2020 aura été totalement atypique. Mais comment pourra être 2021 ? Chaque jour qui passe dans ce second semestre doit permettre de s'accrocher à des scénarios.
Les débats à la Chambre des Représentants illustrent bien le saut dans le vide de 2021. Le déficit budgétaire américain 2020 est aujourd'hui estimé à 3.700 milliards de dollars, ce qui sera de l'ordre de 18% du produit intérieur brut. Le plan de relance de 2.200 milliards de dollar adopté en mars n'y est pas pour rien. Un deuxième plan doit être arrêté d'ici à un mois. Le clan démocrate, majoritaire à la Chambre a adopté une enveloppe de 3.000 milliards. Le Sénat, à majorité républicaine envisage un peu plus de 1.000 milliards comme un plafond. Un accord sur un moyen (!) terme de 2.000 milliards pourrait se dessiner : on imagine mal le Président, candidat aux élections de novembre, engager un bras de fer pour restreindre le soutien à l'économie. Finalement, 10% de la richesse nationale produite cette année, cela traduira une nouvelle accélération.
La Réserve Fédérale, prêteur à l'État en dernier ressort observe une stratégie qui est forcément marquée à court terme par la liquidité des économies qui s'est très rapidement améliorée sous la pression, justement, des grandes banques centrales. Mais elle reste sur une dynamique durable de renforcement du soutien à l'activité.
La Chine suit les mêmes directions, sans, bien sûr, que les données officielles publiées puissent permettre des comparaisons.
L'inquiétude des autorités politiques et monétaires qui justifie ces stratégies contraste avec la vigueur du rebond conjoncturel, en tout cas en Europe et, évidemment, avec l'évolution des marchés financiers. Ce divorce relatif entre la base des décisions de politique économique et la réalité observée ou anticipée donne le degré d'incertitude. Il n'est pas aisé de tirer des conclusions à partir des dernières semaines, pour l'investissement privé, pour la consommation, pour les stocks et plus encore pour les exportations. On ne peut pas tirer une courbe qui prolonge les deux mois de redémarrage, si on s'en tient au calendrier de la zone euro.
La sortie du confinement a libéré les agents économiques. Il ne peut être question de compenser ce qui a été perdu en activité et production de richesse. Mais il y a une triple marge qui a joué : l'épargne accumulée, les investissements privés et publics décalés, les aides publiques déversées à carnets ouverts.
Les trois moteurs se sont allumés dans la zone euro avec la violence du rattrapage sur fond de soulagement concernant l'épidémie. Ils vont rester actifs en 2021. La levée des contraintes qui ont pesé sur la consommation et la production a produit un effet de base de mois à mois et, sauf dégradation sanitaire sévère, c'est l'ensemble du second semestre qui va être porté par ce qu'il faut bien qualifier d'effet de report. Il n'est pas déraisonnable de projeter une production européenne qui retrouve un niveau « normal » dans les premiers mois de 2021 : au-delà du rattrapage et des conditions du crédit, l'offre est soutenue par les soutiens financiers publics, des allègements d'impôts et la levée de barrières administratives.
Sur ce retour progressif de l'offre sur un rythme « pré-Covid », la demande est là. La dépense d'une part de l'épargne accumulée, joue et la récession 2020 pourra être limitée entre 6,5% et 8,5% en zone euro. Pour la France, les révisions ont ramené les projections entre 8,5% et 9,5%.
Sur un rythme normalisé de l’offre, sur la base de soutiens publics encore accélérés, en 2021 c'est la consommation qui fera la croissance. La situation sanitaire et d'éventuelles nouvelles mesures de confinement, fussent-elles « ciblées » pourraient peser.
Au-delà, et même avec la mise en œuvre de vaccinations qui seraient jugées efficaces, pour que les réserves d'épargne soient consommées (elles sont estimées à plus de 5% des dépenses annuelles des ménages), la clé sera le marché de l'emploi. Sa détérioration est certaine et les mesures de soutien temporaire vont forcément ralentir un jour. Mais, justement, l'épargne de précaution que créé une hausse du chômage a déjà été constituée cette année, au moins pour une part.
Ainsi, la gestion publique sera plus concentrée en 2021 qu'aujourd'hui sur l'emploi.
Les projections permettent de fixer un rythme de croissance en zone euro de près de 3% au quatrième trimestre cette année. Avec une offre stabilisée, les estimations des organismes privés et publics tablent sur une sorte de retour de l'expansion européenne près du potentiel tout au long de 2021 : 1,5% environ au 1er trimestre, moins de 1% au quatrième.
Ce ne serait pas si mal, mais, ces scénarios, tout optimistes qu'ils soient sur le plan sanitaire et sur celui du commerce international, ne permettent pas de projeter avant le 1er semestre 2022 un retour des économies de la zone euro aux fondamentaux de 2019.
2020 n'est plus aussi incertain et permettra une normalisation de l'offre, 2021 l'est assez largement et sera dirigé par la demande. La consommation va être soutenue par des soutiens budgétaires encore renforcés, qui remettront au minimum à 2022 une vraie « normalisation » … et, qui sait ? Le retour à une orthodoxie budgétaire et monétaire.