La période des « déconfinements » s'est soldée par une activité économique sensiblement au-dessus des attentes. L'optimisme des marchés financiers – très largement orchestré par les banques centrales – qui contrastait avec le pessimisme des conjoncturistes – s'est trouvé confirmé par les faits. Il n'a pas été vraiment conforté au moment où les faits lui donnaient raison, les indices boursiers étant rentrés dans une consolidation horizontale au moment où les nouvelles devenaient bonnes. Après l'anticipation, la réaction est assez normale et, désormais, c'est sur la fin de l'année et 2021 que les anticipations vont se concentrer.
Les organismes officiels prennent aujourd'hui la mesure de la surprise positive du rattrapage. C'est le moment où les publications fondamentales confirment la récession des semaines de blocage des économies. Cela n'a rien de surprenant. Mais c'est aussi la période où les questions se posent sur la période qui s'ouvre après le rebond qui a été surtout un rattrapage partiel. Au centre des inquiétudes, l'acteur de la croissance : le consommateur.
La communication du gouverneur de la Banque de France s'inscrit dans l'optimisme relatif du moment. M. Villeroy de Galhau mise désormais « sur une baisse du produit intérieur brut de 10 % » cette année. C'est un peu moins grave que craint il y a quelques semaines et le grand argentier imagine même que ce puisse « être peut-être un peu mieux, avec un fort rebond, pour espérer retrouver le niveau d'activité pré-covid début 2022.
Au-delà de ce meilleur sentiment validé en haut lieu, les indicateurs avancés valident la poursuite du rebond. Pour se focaliser sur la France qui n'est pas un cas isolé, les indices des intentions responsables des achats des entreprises – les PMI - sont arrivés à un record depuis 2018. Ils avaient bien annoncé la belle conjoncture de 2019. Pour juillet, ils se situent sensiblement au-dessus du niveau neutre de 50 : 52 dans l'industrie, 58 dans les services.
Le niveau de croissance ainsi annoncé doit évidemment être relativisé : il ne se compare pas avec la conjoncture de l'année dernière ou du début d'année. Il enregistre le rattrapage partiel des investissements qui ont été gelés au deuxième trimestre. S’il se solde sur une contraction de l'économie de l'ordre de 20 % au deuxième trimestre, 15 % environ de rebond au troisième ne permettent pas de retrouver les conditions précédentes.
Se projeter est naturel, mais il serait pour le moins hardi de prolonger la courbe des PMI de rebond. Cela permet d'encaisser les données brutes des économies sans occulter l'incertitude.
Les données brutes de ce deuxième trimestre exceptionnel sont dans la lignée des estimations pessimistes initiales.
Aux États-Unis, Jerome Powell, le patron de la Réserve Fédérale, confirmant la stratégie monétaire américaine, a concédé cette semaine que cette politique était justifiée parce que l'économie n'avait pas absorbé les chocs. La statistique brute le confirme : le PIB américain s'est contracté de 32, 9 % % au deuxième trimestre après -5 % au premier.
En Europe, la récession allemande de plus de 10 % au deuxième trimestre ne fait que modérer le recul au niveau de la zone euro et, pour l'année, il est encore difficile de projeter moins de 9 % pour l'ensemble des pays euro, légèrement plus en France et en Italie, légèrement moins en Allemagne.
Toujours sur le plan des publications concrètes, les publications des comptes trimestriels, en Europe et même à Wall Street, sont des rappels plutôt sévères à la réalité. Et, plus important sans doute, sont les commentaires des directions : il y a plus que de la prudence dans un refus quasi-général de donner des indications sur les objectifs pour la fin de l'année ou pour 2021. Un retour aux conditions de 2019 est estimé, selon les secteurs, à une échéance de 2022 à 2025, voire 2027.
Ainsi l'optimisme du rattrapage a de quoi être mis en perspective. M. Powell constate que, malgré le rebond, « la croissance est très inférieure à ce qu'elle était avant l'épidémie. » Ce constat vaut pour l'ensemble des économies. Ainsi, la croissance de rattrapage s'est essoufflée en Chine, malgré une avance de PIB de 3,2 % au deuxième trimestre (après -6,2 % au premier). Si le soutien public dope la production industrielle, encore en progression de 4,8 % sur un an en juin, la consommation n'est pas au rendez-vous : elle marque un recul de 1,8 % sur un an. La Chine ayant été la première touchée et confinée, ce rattrapage qui tourne court peut être un signal.
Les fameux PMI peuvent être nuancés. En se focalisant sur le France, l'INSEE peut jouer ce rôle. Ses enquêtes mettent en évidence un sentiment qui reste dégradé « au-delà de la remise en route » qui a suivi le 11 mai. La donnée ne compare pas des soldes d'opinions, mais une donnée observée.
On ne peut que constater que, si les perspectives économiques des patrons du secteur manufacturier sont revenues à leur niveau des dernières semaines de 2019, les actes ne suivent pas les intentions pour le moment. Les stocks ne se sont pas normalisés et les carnets de commandes sont loin d'une situation de vrai rebond. La réouverture des usines a produit ses effets, mais la dynamique ne prolonge pas pour le moment.
Les patrons dans les services ne partagent pas le même optimisme que leurs homologues des industries manufacturières. La détérioration des structures financières n'a guère été réparée par le « déconfinement » et les projections d'activité des semaines à venir ne sont que très légèrement positives.
Cette tendance des services n'est pas vraiment encourageante dans une période qui reste encore du rebond.
Le sujet est donc, en Europe, aux États-Unis comme cela l'a été en Chine, la consommation. La vigueur « du rebond de rattrapage » a surpris et a entretenu un sentiment un peu généralisé d'euphorie. Le traitement social du chômage est différent mais les moyens budgétaires ont été mis en place partout, les banques centrales étant à la manoeuvre pour assurer le crédit.
La consommation perdue pendant l'arrêt des économies n'a pas été rattrapée, seulement compensée en partie. La dynamique s'est déjà infléchie. L'indice de confiance des consommateurs français qui avait établi un plus bas depuis deux ans en mai (à 92,5) avait rebondi à 96,3 en juin, mais est revenu à 94,1 ce mois de juillet. On est loin de la moyenne de long terme de 100 et des 104,5 de février.
Les statistiques instantanées, notamment celles mises en oeuvre par l'INSEE (production d'électricité, déplacements, paiements par cartes bancaires, ...) avaient bien annoncé le rebond de mai-juin. L'inflexion actuelle devra sans doute y apparaître. Chaque analyste a ses indicateurs micro propres. L'auteur de ces lignes, qui suit le marché des jeux et paris, a observé un tournant dans la croissance à partir de la semaine qui a suivi le 14 juillet.
Les incertitudes, et en particulier celles du marché de l'emploi et (pour la France) du passage du chômage partiel au chômage proprement dit sont des incitations à l'épargne. Pour en rester aux enquêtes, les intentions des particuliers sont au plus haut depuis six ans. Après une fin de printemps et un début d'été de libération, l'équilibre cigale/fourmi va se restaurer, sans doute plus conservateur qu'il y a six mois ou un an.
Le sauvetage de l'économie avec l'objectif de récession 2020 proche de 10 % va être assuré par la consommation telle qu'elle est aujourd'hui. Mais l'inflexion est là et n'est pas limitée à la France.
Le consommateur faiblit. Ce qui va imposer une action encore redoublée pour soutenir l'emploi. Pour en revenir au gouverneur de la Banque de France, M. Villeroy de Galhau a bien défini ce besoin toujours fort d'action publique, en affirmant toutefois qu'il faudra mieux le cibler : « il faut que le quoiqu'il en coûte (du président Macron) laisse progressivement la place à un quand cela vaut le coup » . Assurément, c’est le consommateur qui « vaut le coup ».