C'est un des phénomènes financiers de l'année : l'once d'or cote 2.000 dollars. L'once d'argent 28 dollars. Le record « fou » de janvier 1980 de 850 dollars est oublié. Les 1.000 dollars passés en mars 2008 aussi. Cette ruée vers l'or – qui était encore convertible sur la base d'une once à 35 dollars en 1975 – a une qualité : elle permet de mettre la monnaie en perspective, puisqu'on dispose d'un historique (peut-être même d'un préhistorique) du métal jaune et, aussi, de l'argent qui, sans retrouver ses records de 1980 s'inscrit dans un mouvement fortement haussier.
Les records des années de laxisme monétaires cassés à partir de 1980 par le monétarisme de la Fed
Les records du métal jaune ont répliqué des calendriers de rupture. En 1971 et dans les années qui ont suivi l'or a servi de défense contre un choc de confiance sur la devise américaine. Les accords de la Jamaïque de janvier 1975 ont enterré le système monétaire international défini en juillet 1944 à Bretton Woods et qui reposait sur le dollar garanti en or. Entre 1971 et l'annonce par le président Nixon de cette remise en cause et la fin 1974, l'once est ainsi passée de 35 dollars à 197,50 dollars.
Ce n'était pas fini. Après une consolidation assez normale sure à cette multiplication par 5,6 de la valeur de l'once, une nouvelle phase a porté le métal d'un peu plus de 100 dollars début 1977 à 850 dollars en janvier 1980. La géopolitique a bien sûr été mise en avant avec le début de la guerre russe en Afghanistan, la révolution islamique en Iran et une envolée des cours du pétrole. Mais, aussi, on se trouvait dans une période assez longue de taux réels négatifs.
C'est aussi à la fin des années 1970 que les pétroliers texan Hunt ont tenté un corner sur l'argent, faisant passer l'once de 11 dollars en septembre 1979 à 50 dollars en janvier 1980.
La période qui a suivi a douché les frères Hubt et ramené l'once d'or jusqu'à 300 dollars en 2000. C'était la résultante de la lutte contre l’inflation menée par Paul Volker à la tête de la Réserve Fédérale à partir de 1980 (avec le prime rate passant un moment au-dessus de 20%) et de la généralisation de la stratégie par les grandes banques centrales.
La politique monétaire s'est infléchie depuis au gré de la crise des technologiques, de celle du crédit hypothécaire américain et de l'euro, de la mondialisation puis de leur traitement: baisse des taux réels, taux nominaux nuls et parfois même négatifs, expansion des bilans des banques centrales.
Le revirement de politique monétaire depuis 2000 a fait tomber des records pour l'once
Les paliers de 1.000 dollars en mars 2008, puis de 1.800 en juillet 2011 ont été consolidés entre 1.000 et 1.300 de 2013 à 2019. La hausse écuelle de 45 % en un an et de 34 % depuis janvier se présente comme la poursuite du mouvement initié en 2000 à partir de 300 dollars.
Qu'est-il arrivé pour que la « relique barbare », selon la formule de Keynes, le négociateur britannique de Bretton Woods, ait multiplié sa valeur par plus de 6,5 fois depuis le début du siècle ? Dans le même temps, l'indice Dow Jones a été multiplié par 2,3 et le Nasdaq par 2,6 (sans compter les dividendes)
Les facteurs de cette envolée sont évidemment multiples.
Les 12 derniers mois qui sont donc représentatifs des 20 dernières années donnent une idée. Evidemment, c'est le revirement de politique monétaire de la Réserve Fédérale et des banques centrales qui doivent la suivre, en amplifiant ou en cherchant à la limiter, qui a changé la donne. La stabilisation de la monnaie n'est plus la priorité, mais, on est revenu progressivement et de plus en plus à la doctrine des années 1970 : le soutien absolu à l'économie.
C'est l'or papier qui fait la hausse : l'encours des ETF or est supérieur à un an de production
Les bilans des banques centrales gonflés par des achats de créances à carnets ouverts produisent leurs effets. En particulier, les taux réels négatifs portent à nouveau l'or (et à un moindre degré l'argent). Cela va plus loin avec des taux nominaux qui sont quasi-nuls, nuls ou négatifs.
Les métaux précieux se trouvent ainsi banalisés : ils ne rapportent rien, mais les obligations non plus. Le cash coûte même avec des banques prélèvent des frais. Les placements de taux n'offrent pas mieux que l'or : un engagement de retrouver sa mise (ou presque) à l'échéance.
De plus, le tournant laxiste de la Réserve Fédérale, outre les perspective d'inflation à terme qui ont fait remonter les points morts sur les emprunts indexés, touche le dollar et un effet de bascule joue avec l'once.
Ce que ce premier semestre a mis en évidence, c'est la prééminence de l'investissement dans les conditions du marché de l'or. Selon le World Gold Council, la demande de l’industrie et de la joaillerie a reculé de 11 % au deuxième trimestre par rapport à la même période l'an dernier. Et sur le semestre, la baisse s'établit à 6 %. L'appréciation de l'once n'est pas à chercher de ce côté. Les banques centrales, focalisées sur leurs injections monétaires, n'ont pas accéléré leurs achats.
L'investissement a fait la hausse. C'est la suite d'un mouvement long de retour sur des matières premières dans des gestions qui ont cherché à se diversifier. La récession et ses effets sur le pétrole, les matières premières agricoles et les métaux non précieux ont de plus concentré la poche de « diversifications » sur l'or.
La demande de papier or emballe les cours du physique : les intermédiaires ne peuvent prendre le risque de contrepartie dans ce tourbillon haussier. Les certificats ETF or ont collecté l'équivalent de 777 tonnes depuis le début de l'année, un niveau qui explose le record de l'ensemble de l'année 2009 de 644 tonnes. L'encours des ETF or est supérieur de 10 % à un an de production mondiale (3.300 tonnes) et pèse 1,9 % du stock d'or présent dans le monde.
Mon argent ! Mon or ! Le retour d'une garantie millénaire
Cette évolution de la relique « barbare ressuscitée » incite à prendre le problème à l'envers. Pas seulement avec le jeu de mot facile du besoin de reliques pérennes dans un monde qui, lui, est devenu barbare, en particulier en matière financière.
Pour analyser, on peut dire que ce n'est pas l'once d'or qui vaut 2.000 dollars, que n'est pas l'once d'argent qui vaut 28 dollars (contre moins de 12 dollars en janvier). C'est le dollar qui a dévalué et vaut moins cher en poids d'or ou d'argent.
Les mesures monétaires ont de quoi produire une fuite de la monnaie, qui sanctionnerait une perte de confiance. La masse monétaire américaine (agrégat M2) qui était stabilisée autour de 50 % du produit intérieur brut américain au tournant du siècle est remontée depuis la crise et atteint 75 % , niveau inconnu depuis l'immédiat après-guerre.
L'afflux de capitaux pour défendre les portefeuilles face à ces monnaies émises à tout va se concentre sur les actions, l'immobilier et les métaux précieux. Les politiques monétaires hyper laxistes entraînent immanquablement une fuite de la monnaie. La spécificité du moment est que l'action coordonnée de toutes les grandes banques centrales interdit l'écroulement de certaines devises et les dévaluations forcées qu'on a connu au cours du XXème siècle. La fuite de la monnaie ne peut aller vers d'autres monnaies.
On a pu imaginer que les crypto-monnaies qui échappent à la fuite en avant des banques centrales pourraient être un recours. Ce sera sans doute le cas un jour, mais on en est loin, tant le manque de transparence et de réglementations limite l’investissement à des fractions très spéculatives. Cela posé, en dollars, le Bitcoin gagne 62 % depuis janvier et l'Ethereum a été multiplié par 3,5. Les crypto-monnaies pourraient être le prochain recours de fuite de la monnaie.
Pour le moment, l'or et l'argent, avec bien sûr les actions et l'immobilier sont les contreparties solides d'une monnaie qui ne l'est pas forcément ou qui n'est pas forcément perçue comme telle. Les pièces des deux métaux ont été depuis trois millénaires la garantie acceptée pour les échanges comme pour le capital. Elles le redeviennent dans l'univers de laxisme monétaire qui s'est installé.