C’est bien sûr l’évolution du cycle conjoncturel qui occupe les esprits, pour les chefs d’entreprises, pour les ménages qui cherchent à protéger leur capital, pour les marchés financiers et, aussi, pour les gouvernements. Les Etats-Unis et l’Europe sont encore dans la séquence de rattrapage après l’arrête des économies. Sans préjuger des conséquences d’un regain de l’épidémie, c’est vers la Chine qu’on peut se tourner pour anticiper. C’est là où tout a commencé et où la première vague a été endiguée, permettant une réouverture de l‘économie. Après le rebond, l’orientation de la croissance vers une normalisation sur le rythme précédent de 5 % par an est à portée en 2021 ou 2022. Après la période de stabilisation, qui s’est ouverte un rythme régulier est possible à partir du début de l’année prochaine.
Evidemment, la conjoncture va être plus dépendante que jamais des politiques économiques, c’est à dire pour l’essentiel des plans budgétaires. La Chine ou même le Japon ne posent pas de question, mais le manque de consensus en Europe continentale et l’accord complexe à trouver aux Etats-Unis entre les deux chambres et l’administration sont des dangers potentiels. C’est un peu pour cela que, du côté des marchés financiers, les informations sanitaires inquiétantes rassurent : elles contraignent les Etats à agir.
Dans ce contexte si mouvant, il y a une question qui plane et qui est loin d’être tranchée. C’est l’inflation et, peut-être plus encore, le coût de l’énergie.
Les points morts des emprunts indexés sur l’inflation en hausse
On a coutume de considérer que les marchés de l’argent sont les plus fiables. Les masses en jeu évitent beaucoup des travers des autres placements et les arbitrages permanents jouent plutôt bien leur rôle. Sans s’attarder aux taux courts, administrés par les banques centrales, il apparaît que le message porté par les taux longs des deux côtés de l’Atlantique annonce une croissance très durablement ralentie par rapport aux six ou sept dernières années, en particulier aux Etats-Unis.
Bien entendu, l’excès de trésorerie et une méfiance corrélative vis à vis de la monnaie jouent leur rôle sur le niveau des taux réels, y compris un rôle technique Mais la tendance anticipée est bien une réduction de la croissance et même de la croissance potentielle. Mais, dans le même temps, sur le marché – également très efficient – des emprunts indexés sur l’inflation les points morts remontent sensiblement.
Il y a un paradoxe, tant la croissance faible est déflationniste dans un monde loin d’être vraiment« démondialisé ». Mais le passé a prouvé que les prix des biens et services pouvaient progresser avec une activité économique médiocre. Les anticipations sur le marché des emprunts indexés prennent en compte sans doute une inflexion politique générale dans le sillage de l’élection probable de Joe Biden : réduction des inégalités via la revalorisation des bas revenus, par le biais des salaires et de la redistribution L’ensemble des dispositifs à attendre, y compris fiscaux, vont chercher à passer d’une inflation des actifs à celle des biens et services.
Une stabilisation du baril après le choc du printemps et après
les faillites du schiste américain
Les anticipations sont longues et leur matérialisation va prendre du temps, même si l’élection américaine devait donner à un président démocrate un pouvoir fort assis sur une majorité dans les deux Chambres.
Le pétrole donne des indications à la fois sur l’activité et sur les possibilités d’inflation.
Après l’effondrement du début de l’année, avec un baril de brent passé de 66 dollars fin 2019 à moins de 20 dollars en avril, une stabilisation s’est opérée. Certes, les 45 dollars se situent près de 30 % au-dessous du prix d’équilibre du marché mondial.
Mais la situation apparaît plutôt normalisée sur ce plan aussi, sur des niveaux qui ont été les plus bas de 2019 et ceux de l’été 2016.
On est donc bien loin d’une flambée des coûts de l’énergie. La donne a pourtant été bouleversée par le choc du printemps : le record de faillites du secteur de 2016 aux Etats-Unis (70 milliards de dollars) va être dépassé. Le nombre puits de pétrole de schiste exploités est estimé par Baker Hughes à 176, le chiffre le plus bas depuis 15 ans, à comparer avec le record de 1.600 en 2014.
C’est la presque disparition d’un acteur qui a assuré la stabilisation à ce niveau de plus de 40 dollars (pour la qualité WTI) qui, aussi, est voisin du coût de revient de l’huile de schiste.
L’OPEP annonce une baisse de 9 % de la consommation mondiale de pétrole cette année.
Au moment de cette chute de la production américaine, cela a été l’heure de l’OPEP. Le cartel associé à la Russie a géré le recul de la consommation avec une rapidité plutôt inédite. La demande a chuté de 16,5 % de janvier à mai par rapport aux cinq premiers mois de 2019 et la production, finalement, de 14 % au deuxième trimestre.
Il y a encore du chemin à faire puisque l’OPEP a estimé cette semaine que la demande de pétrole reculerait de plus de 9 % sur l’ensemble de l’année. Toutefois, l’entente des producteurs non-américains tient en termes de volume. C’est ce qui justifie l’optimisme affiché par le patron du numéro un mondial du pétrole, le saoudien Aramco, à l’occasion de la publication de ses (mauvais) comptes du deuxième trimestre.
La problématique du cartel et de ses alliés tient précisément à la recherche d’un niveau de stabilisation qui ne relance pas la production issue du schiste américain. Le baril à 40/45 dollars semble de ce point de vue plutôt cohérent.
Il faudrait un emballement de la conjoncture pour que le brut aille sensiblement plus loin. On sait que ce n’est pas le scénario macroéconomique dominant. Rien de surprenant à constater la prudence de l’OPEP pour 2021. Elle espère dans une analyse volontariste une reprise de la consommation mondiale de 8 %, ce qui l’amènerait 3 % au-dessous de 2019. Mais elle reconnaît aussi les incertitudes qui sont liées au développement du cycle économique.
Les renouvelables vont renchérir le coût de l’énergie, malgré
un pétrole stabilisé
Les pronostics sur le marché du pétrole sont bien souvent pris à contrepied. Cela dit, attendre une stabilisation sur les niveaux actuels dans les douze mois qui viennent apparaît logique, avec les possibilités à la hausse ou à la baisse de dérapage ou d’envolée de la croissance économique mondiale.
C’est un facteur favorable pour les économies et, aussi, favorable aux politiques de pouvoir d’achat qui se dessinent dans les grands pays. Le pétrole ne devrait pas jouer contre la conjoncture. En revanche, un baril stable ne signifie pas systématiquement coûts de l’énergie contenus. La montée en puissance des énergies renouvelables implique une nette hausse des coûts. Les objectifs sont ambitieux : passer de 8 % du bouquet énergétique mondial à 50 % en 2050.
Même revu à la baisse, le niveau visé sera synonyme de dérive des coûts et d’inflation, marquant, autant que les politiques de revenu, le tournant après l’ère monétariste.