Première ou deuxième économie du monde suivant les modes de calcul, la Chine est aussi le foyer d’où est partie l'épidémie de la Covid-19. Aussi, les tendances conjoncturelles ont une double raison de donner la direction. En premier lieu en raison de leur effet général d'entraînement sur la planète et, en particulier sur les zones émergentes. Ensuite, parce que, premier pays touché par le virus, premier pays à avoir confiné des provinces entières, premier pays à avoir plongé en récession, l'Empire du Milieu est aussi le premier à en être sorti.
Le constat est plutôt positif : première touchée, la Chine a retrouvé une vive croissance et suit une reprise « en V ». Après un véritable effondrement de l'économie au 1er trimestre (- 6,6%), le rattrapage s'est amorcé au deuxième qui s'est soldé sur une avance de 3,2 % par rapport à la même période en 2019. Les données de l'été font mieux que confirmer et, cette semaine, le Bureau National des Statistiques a indiqué que la reprise est restée très forte en août, prenant un peu à revers les indicateurs avancés qui incitaient à anticiper une stabilisation de la croissance avec une progression, sans accélération, de la demande intérieure.
La production industrielle chinoise a gagné 5,6 % en août en référence de la même période en 2019, accélérant par rapport au score déjà élevé de 4,8 % en juillet. La baisse des investissements en immobilisations depuis le début de l'année a été pratiquement effacée par ce mois d'août si positif : après la progression de 4,8 % ce mois, elle a ramené le recul à 0,3 % sur l'ensemble des huit mois.
La surprise la plus marquante est la progression – de 0,5 % - des ventes au détail, encore en recul de juillet 2019 à juillet 2020.
Les données d'août entretiennent un vrai optimisme : le troisième trimestre va enregistrer une croissance plus forte que celle du deuxième. Les conjoncturistes ont en conséquence relevé leurs estimations pour l'ensemble de 2020 et tablent plutôt sur une expansion dans le haut d'une fourchette 2 % / 2,4 % .
La demande interne améliorée ne peut pas tout, même si elle donne une impulsion. La conjoncture mondiale, l'évolution sanitaire, la poursuite de la démondialisation imposent de relativiser.
Le rattrapage chinois obéit aux règles particulières d'un pays totalitaire : les moyens publics sont mobilisées pour soutenir les entreprises au travers du secteur public et parapublic surpuissant, mais aussi pour gonfler l'emploi (y compris précaire) et enrayer la chute du pouvoir d'achat.
La mobilisation de l'État est en effet indispensable tant la reprise est apparue déséquilibrée, directement liée au secteur public et aux dépenses d'infrastructures. On ne peut pas vraiment s'appuyer sur le - très modeste - rebond de la consommation en août, qui a été soutenu ponctuellement par des aides pour l'automobile : la baisse des salaires va encore produire ses effets.
L'année 2020 n'a pas accéléré les effets de crise commerciale sur la Chine, au contraire : les biens nécessaires au télétravail et l'équipement médical bénéficient d'une forte demande ponctuelle qui limite le recul progressif de la croissance des exportations. Mais la tendance est là et, après ces effets d'aubaine, va s'affirmer et se renforcer au gré du durcissement des relations commerciales avec les États-Unis ou l'Europe.
Ce qui est en cause pour la Chine, c'est finalement sa capacité à trouver les marques pour son nouveau modèle. La crise ne fait qu'accélérer cet impératif, qui était déjà bien compris au plus haut niveau du parti communiste face à l'inflexion du potentiel de croissance.
La fin du deal de production passé avec les États-Unis pour l'ensemble des pays développés est le grand défi des réformes qui devront être mises en place. En mai, le Comité permanent du Bureau politique du parti communiste, a défini une stratégie dite de « circulation duale » qui veut instaurer un nouveau modèle de développement. La mutation sera au centre du XIVe plan quinquennal qui couvrira la période 2021-2025.
La dialectique communiste, fût-elle chinoise, n'hésite pas dans les concepts. Le parti se place dans les besoins généraux définis au plus haut niveau : soutien de la croissance économique, amélioration des moyens de subsistance de la population et maîtrise des risques. Derrière le discours convenu, il s'agit d'adapter le pays au changement de la donne du commerce mondial.
La fin d'une croissance profitant des termes si favorables de ce commerce mondial impose une vraie mutation pour maintenir la croissance économique, en acceptant évidemment un rythme qui se réduira par rapport au bas de la fourchette 6,5 % -14 % par an respectée depuis 1991. La « circulation interne » doit devenir le principal moteur de l'activité, avec un espoir que la productivité permette que le dynamisme interne renforce celle à l'international.
Le contrôle des chaines d'approvisionnement en mixant l'interne et les importations doit, dans la logique de la démarche, permettre d'intégrer le marché chinois dans un univers de concurrence mondial.
On comprend que la crise produite par l'épidémie n'est pas derrière en Chine. Mais, aussi, que le modèle dirigiste permet de mettre les moyens pour la contrôler en conservant quoi qu'il en soit les objectifs de long terme.
Ainsi, malgré la chronologie, la Chine n'est pas le modèle de sortie de l'après-Covid. Dans les pays de l'OCDE, il n'y a pas de planification, pas de secteur bancaire captif, pas de secteur industriel quasi public, pas toujours de collectivités locales aux ordres. Les budgets publics et les banques centrales vont rester les rustines qui évitent le pire. La construction d'un nouveau modèle qui assure la croissance n'est pas à l'ordre du jour. Il est vrai que la problématique de gestion de la démographie et de la baisse du potentiel de croissance de la Chine est très sévère et impose une donne nouvelle.
Cette donne nouvelle va impacter les économies dans le monde. Sans se projeter loin, on peut s'appuyer sur une certitude : le stimulus monétaire de la Fed, de la Banque du Japon et même de la Banque Centrale Européenne ne va pouvoir que se développer encore.