Le calendrier électoral américain entame sa dernière ligne droite. Les États-Unis ont la caractéristique de voter pour leurs parlementaires tous les deux ans et pour leur président tous les 4 ans. La vue à long terme est assurée par le Sénat dont les membres sont élus pour 6 ans et renouvelés par tiers tous les 2 ans. Le système, basé sur des contrepouvoirs multiples, a prouvé son efficacité : au-delà de la politique internationale, l'administration présidentielle donne plus des impulsions qu'elle ne gère vraiment concrètement les choses. Le bilan des mandats Clinton est une vraie démonstration : cadré par le Sénat et la Chambre des Représentants, le président s'est avéré un champion de communication dans une économie au cycle géré de fait par la Réserve Fédérale d'Alan Greenspan.
Cependant, précisément l'impulsion médiatique de M. Trump a été spectaculaire, laissant de plus aux majorités Républicaines au Congrès la possibilité de développer un programme pro-business et de libéralisme économique renforcé.
Les enjeux de l'élection du 3 novembre sont peut-être plus importants que la plupart des précédents. Le premier des débats de mardi était donc particulièrement attendu.
C'est évidemment une déception de constater que la forme a pris le pas sur le fond. Et cette forme s'est révélée plutôt navrante. Les deux septuagénaires n'ont guère échangé que des insultes ou des invectives, sur un air d'affirmations sans chercher à les justifier. Exagérations voire mensonges absolus ont au total entamé la crédibilité des institutions américaines. Ce qui a amené une nouvelle fois le pouvoir chinois à proclamer la fin de la démocratie médiatique au profit de la direction de son pays par le parti. Il est vrai que la question des relations avec la Chine a été absente des échanges, signe d'un certain accord pour une position dure.
À l'issu de ce mauvais scénario de cour de récréation d'un collège mal tenu, on ne peut pas vraiment dire que le rapport de force entre les candidats ait sensiblement évolué. De fait, chacun a recherché en priorité à servir le discours attendu par ses propres partisans. Du côté du favori démocrate, M. Biden a cherché à prouver son aptitude à combattre en n'hésitant pas à se placer sur le terrain de l'adversaire, quitte même à le dépasser dans les termes. Sa base électorale, qui attend un certain retour à la normale après les excès du président sortant, devait comprendre que le candidat était déterminé et au point. Le sortant est resté sur son registre de provocations, cherchant à prouver son assurance et sa combativité pour défendre les tropismes de la classe moyenne américaine.
Motiver ses propres troupes ne bouscule pas les intentions de vote : Joe Biden est resté en tête, même si les sondages se resserrent dans des États clés, en particulier la Floride. Mais on doit se souvenir qu'il y a 4 ans, Mme Clinton avait abordé en tête les trois débats et, selon les sondages n’avait augmenté son avance à chaque prestation face à M. Trump.
Il faut tout de même tenter de trouver derrière le pugilat des options qui pourraient permettre de se projeter. Les accusations de gauchisme ou de socialisme proférées à l'endroit de M. Biden ont été portées sur les thèmes de la loi et de l'ordre, mais, derrière, il y a tout de même un programme économique. L'assimilation de M. Trump aux suprématismes blancs, toujours sur le thème de l'ordre, peut annoncer l'ambition d'une poursuite ultralibérale de la gestion des prélèvements fiscaux et sociaux.
De fait, sans qu'on ait eu le sentiment d'avancer, la guerre de positions est ouverte. Cela est le cas pour les institutions avec la polémique pour la nomination d'Amy Coney Barrett à la Cour Suprême d'une part, et l'annonce de possibles contestations sur la sincérité de l'élection d'autre part. De même, les échanges sur l'épidémie de la Covid-19 se sont révélés particulièrement convenus et stériles. L'annonce, depuis, de l'infection dont M. Trump est affecté n'a pas fait évoluer la question : les deux parties vont sans essayer d'en tirer argument. Mais la possibilité d'une remise en cause de l'élection de ce fait, aussi peu probable qu'elle puisse être, ne peut être complètement écartée.
Reste l'économie qui, bien qu'inscrite à l'ordre du jour du débat de mardi, n'a pu être simplement évoquée. Il faut espérer que la confrontation des candidats à la vice-présidence, qu'on imagine plus digne, éclaircira les choses. Car, en effet, les programmes sont très différents. Evidemment, leur application dépendra des majorités dans les deux chambres, qui est assurée aux Démocrates à la Chambre des Représentants, et plus incertaine au Sénat. Mais on est face à deux modèles économiques fortement opposés : extension du régime de santé vs limitation à son accès ; plus d'impôts vs encore des baisses d'impôts ; investissements massifs dans la transition énergétique vs une politique publique qui ignore pratiquement la question.
La question de la réduction des inégalités, qui est une demande pressante de la Réserve Fédérale pour soutenir la croissance sera centrale. Les démocrates vont proposer une augmentation de l'impôt sur les sociétés (de 21 à 28%) avec un relèvement du minimal, un doublement des taxes sur les profits des filiales étrangères (de 10,5 % à 21 %), et, pour les ménages, un plafonnement des déductions fiscales, une augmentation de l'impôt sur les plus-values et une hausse du taux marginal de l'impôt sur le revenu de 37 à 39 %. Cela dit, il concernerait les ménages aux revenus supérieurs à 400.000 dollars.
Les scénarios économiques devront bien s'ajuster quand on en saura plus.
Pour le moment, c'est au Congrès que se joue la conjoncture. On a le sentiment que la période électorale pousse les parlementaires des deux parties à un compromis pour le deuxième plan de soutien à l'économie de l'année. Un accord avait été trouvé en mars pour 2.200 milliards de dollars (10,3 % du produit intérieur brut américain 2019). Depuis, le bras de fer parlementaire s'est déroulé avec une proposition initiale de 3.400 milliards du côté Démocrate et un effort limité à 1.300 milliards par les Républicains. Nécessité fait loi et la fourchette s'est resserrée autour de 2.000 milliards.
La nécessité politique se comprend : aucune des deux parties n'a intérêt à se positionner comme adversaire de la croissance. Car il y a nécessité économique : si la reprise américaine est avérée et le consensus limité autour de 4 % la récession du PIB cette année, les statistiques d'emploi ne peuvent occulter la problématique du pouvoir d'achat. La mobilisation de fonds publics est une vraie nécessité au moment où le rattrapage de l'économie après l'arrêt tourne à une stabilisation dont le maintien est directement soumis à l'évolution de la consommation.
Ce qu'on constate sur les marchés financiers, c'est que l'économie réelle a nettement pris le pas sur les incertitudes de l'élection. Malgré les dernières évolutions, malgré l'infection du président, malgré les cotes des bookmakers qui se sont écartées après le débat pour le scrutin du 3 novembre *, le plan de soutien qui se profile et le déficit budgétaire de 16 % du PIB attendu pour cette année, permettent le maintien des indices boursiers.
* Biden est offert à 8/15, Trump à 2/1. Pour la Chambre des Représentants, la majorité démocrate est très favorite à 1/6, les Républicains étant à 7/2.