L'actualité de la semaine, c'est la première des décisions de Donald Trump après sa libération par la faculté. Le président a demandé à ses représentants de geler les négociations pour le plan de soutien à l'économie. Derrière la rodomontade qu'on attendait - les discussions sont suspendues « jusqu'à ce que l'élection présidentielle soit passée » et la loi de soutien sera prise « après que j'ai gagné » - c'est un coup d'arrêt à la dépense budgétaire pour l'économie. Bien sûr, il s'agit plus d'un délai pour la décision que d'une remise en cause : après le plan de mars de 2.200 milliards (10,3 % du PIB américain 2019), les parlementaires étaient en voie de s'accorder sur une resucée de 2.000 milliards, à mi-distance entre les demandes Démocrates et les réserves Républicaines. La majorité à la Chambre des Représentants ne changera pas quel que puisse être le résultat de l'élection présidentielle : la direction reste fixée pour l'indispensable nouveau plan.
Au-delà de l'urgence admise pour certains secteurs de lobbies qui trouveront une perfusion, on se situe sur le terrain de la campagne électorale, M. Trump annonçant,
dans le cas de son élection une grande loi de soutien non chiffrée à destination « des petites entreprises et des Américains qui travaillent dur ». Au-delà des propos électoraux de part et d'autre, il n'y a pas vraiment de choix : il faudra accélérer. L'autre grande nouvelle de la semaine, sans doute la plus importante, l'a confirmé avec des propos spectaculaires. Elle vient du Fonds Monétaire International, le « garant de la stabilité financière et économique et de l'emploi » depuis le lendemain de la guerre.
La mission donnée à Bretton Woods a évidemment beaucoup évolué en 75 ans. Comme toutes les institutions issues de l'après-guerre, le FMI a cherché – et réussi – à assoir une vision supranationale et dogmatique dans son périmètre. Sa force de frappe n'est pas seulement diplomatique. Au-delà de l'organisation d'une coopération internationale pour assurer la stabilité du système financier, et partant du commerce mondial et de l'activité et de l'emploi, il a la capacité d'accorder des crédits aux États qui en auraient le besoin. Le concours financier du FMI n'est pas neutre et, comme il ouvre la voie à d'autres prêteurs, il a conduit l'institution et ses directeurs successifs – le plus souvent des Français – à s'imposer depuis le début des années 1980 comme un gérant de fait des pays en fragilité.
La stratégie développée a souvent été résumée ou même caricaturée comme la récession, la baisse des salaires et des retraites, un coup de frein à l'emploi : la méthode dure. L'idée des technocrates de Washington a correspondu à l'évolution des théories économiques de l'école de Washington de la révolution monétariste souvent baptisée Reagan-Thatcher. La politique appliquée aux pays en développement se résumait à assainir les fondamentaux, imposer des réformes libérales, puis à gérer ou cogérer avec le pouvoir politique et les autres créanciers, une croissance jugée durable.
Ça a plutôt marché, mais la caricature « je ramène le PIB à zéro, puis la croissance sera forte » qui n'est pas totalement inexacte n'a pas beaucoup fait pour la popularité de l'Institution.
Les pays en voie de développement et, en particulier les africains ont été les victimes des purges les plus sévères, mais c'est l'intervention du Fonds, accompagné de la BCE et de la Commission européenne, dans l'Italie de M. Berlusconi en 2011 qui a été la grande manifestation de pouvoir.
Le FMI a drivé la fameuse Troïka pour imposer une gestion de crise et, aussi une issue politique. Un président du Conseil des ministres d'un des pays les plus riches du monde, chef d'une majorité élue, était sorti par des fonctionnaires, sous la pression des besoins de refinancement de l'État.
En Grèce, pour assurer le sauvetage des créances des banques allemandes et européennes à partir de 2010, les différents gouvernements et quels qu'aient pu être les résultats d'élections, ont été contraints à appliquer les médecines FMI : coupes massives des dépenses sociales et publiques, forte baisse de l'investissement, programmes de privatisations sans limite et à prix cassés,... Au bilan, une économie en panne (chute de 40 % du PIB de 2008 à 2019), un chômage endémique (de 20 % de la population active) et pas beaucoup de perspectives y compris en matière d'amortissement de la dette. Cela dit, bien que contestées, les mesures italiennes ou grecques étaient cohérentes avec la doctrine du FMI d'autant que la dévaluation n'était pas une option ouverte au sein de la zone euro. La dévaluation devait être interne et supportée par les agents économiques locaux.
Cet aperçu donne une idée de la révolution qui a été annoncée cette semaine par Kristalina Georgieva, la directrice générale du FMI. Un an après sa prise de fonction à la suite de Christine Lagarde – restée dans la Troïka à la tête de la BCE - , Mme Georgieva a symboliquement choisi la London School of Economics pour lâcher sa bombe. Rappelant qu'elle en est elle-même une ancienne élève, elle a inscrit son discours dans la ligne de celui de William Beveridge, le théoricien du National Health britannique et de John Maynard Keynes, qui a joué le même rôle dans l'instauration du système monétaire international de Bretton Woods.
La grande argentière a confirmé une récession mondiale cette année, moins catastrophique que ce qui avait été craint il y a trois mois, et une reprise « partielle et contrastée » en 2021. Ce meilleur atterrissage est le résultat « de mesures exceptionnelles qui ont empêché l'économie de s'effondrer ». Des mesures sans précédent de politique monétaire pour maintenir le flux du crédit et, surtout 12.000 milliards de dollars de soutien budgétaire aux ménages et aux entreprises. Cela représente 14 % du PIB mondial.
La voie à suivre désormais ? Mme Georgieva place sans surprise en tête la préservation de la santé des populations. Deux autres points montrent la prise en compte par le FMI de l'arrivée d'un nouveau monde : « éviter un retrait prématuré des aides publiques » et « mener une politique budgétaire flexible et prospective ». Enfin, la gestion de la dette « surtout dans les pays à faible revenu » devra permettre de maintenir les soutiens publics vitaux grâce à « davantage de dons, de prêts concessionnels et d’allégement de la dette ». Et cela irait, dans certains cas, jusqu'à « une restructuration de la dette souveraine » avec la participation totale des créanciers publics et privés. »
On mesure l'ampleur du revirement. L'institution estime qu'une augmentation générale de l'investissement public de seulement 1 % du PIB peut créer 33 millions d'emplois. On ne parle plus de réduction des budgets, au contraire.
L'instauration d'une économie « plus résiliente » est devenue la priorité et remplace l'orthodoxie budgétaire et monétaire. La directrice générale du FMI confirme ainsi avec une vigueur inattendue le tournant de gestion monétaire amorcé par la Réserve Fédérale et explicité fin août par Jerome Powell son président.
Pour mettre en place le monde économique « plus inclusif et plus résilient » Mme Georgieva fait appel à la doctrine des anciens de l'après-guerre « qui ont forgé un monde meilleur aux heures les plus sombres. »
Aujourd’hui, si l’économie mondiale « émerge des profondeurs de la crise, cette calamité est loin d’être derrière nous. » Tous les moyens seront donc mobilisés pour cette « longue ascension » de remontée vers une croissance durable.
Les déficits budgétaires ne sont pas près de se réduire, au contraire, et le premier pays à accélérer encore sera les États-Unis, au-delà des péripéties de la campagne électorale.