L'élection américaine aura au moins confirmé une chose : l'incapacité de ce qui se veut la plus grande démocratie du monde à organiser des élections qui se déroulent de façon suffisamment fluide et transparente pour être vraiment convaincantes. Le spectacle des queues interminables, des dépouillements anarchiques, les votes par procuration ou par correspondance plus ou moins contrôlés selon les États, tout cela semble inimaginable vu de France. La force de la Constitution permet cependant de désigner un Président, que des procédures judiciaires ne pourront remettre en cause.
Cette force de la Constitution, elle est pour une grande part due aux limitations aux pouvoirs de l'administration présidentielle.
La première de ces limitations, c'est le calendrier : un mandat de 4 ans et, dans 2 ans, la sanction des élections de mi-mandat. Ensuite, il y a les instances locales : le pouvoir fédéral est incompétent par rapport à celui des États dans bien des domaines. Enfin, il y a les agences indépendantes, l'arsenal judiciaire montant jusqu'à la Cour Suprême et, surtout, le Parlement.
Les institutions fédérales américaines sont un régime présidentiel en charge de l'exécutif donnant l'intégralité du pouvoir législatif aux deux chambres composant le Congrès. C'est un véritable bicamérisme et l'administration présidentielle est pratiquement sans pouvoir en interne si elle n'obtient pas le soutien du Sénat et de la Chambre des Représentants. Il en est autrement pour la politique étrangère à une condition près : les accords et traités peuvent être dénoncés par le Président, mais ils doivent être approuvés par le Sénat.
En pratique, un Président Démocrate face à un Sénat Républicain et, malgré une Chambre des Représentants de son parti, n'aura pas de possibilité d'exécuter l'ensemble de son programme. Dans le cas de M. Biden, il va falloir oublier l'essentiel des hausses d'impôt, des dépenses budgétaires, du renforcement du système de santé, les 7.000 milliards de dollars d'investissement public en 10 ans notamment pour les industries pouvant se targuer d'une vision environnementale.
Sur le plan international, le Président sera aussi cadré pour une part. Ainsi, si M. Biden a pu annoncer qu'il allait rejoindre à nouveau l'accord de Paris sur le climat, c'est parce que ce dernier n'est pas contraignant. Le Sénat qui devra voter pour chacune des mesures qui seraient prises pour son application, n'a ainsi pas eu à l'approuver sous l'ère Obama. Les États-Unis n'ont pas été et ne seront pas liés par l'accord.
Le Président n'est cependant pas sans pouvoir : il dirige la diplomatie, est le chef des armées, négocie les traités, prend les mesures pour appliquer les lois (le pouvoir exécutif), propose au Sénat les nominations de hauts fonctionnaires. Il exerce surtout sur le Congrès le fameux « pouvoir de persuasion » vis à vis des députés et sénateurs.
On comprend que le chef de l'exécutif est là pour appliquer les lois votées par les parlementaires, mais a pour l'essentiel un pouvoir de communication. On ne sait pas de quelle marge M. Biden pourra profiter pour promouvoir un programme sur lequel il a été plus que discret dans les semaines précédant l'élection. En tout état de cause, la communication du président sera très probablement très en retrait sur celle de son prédécesseur, que ce soit en politique intérieure ou extérieure.
Ainsi, les Américains, les autres pays et, singulièrement les marchés financiers, considèrent que la nouvelle administration ne pourra bouleverser la donne, ni en interne, ni en externe. Pour agir vraiment il lui faudra trouver sans cesse des compromis avec la majorité Républicaine du Sénat. On ne peut donc pas vraiment craindre une vraie contre-révolution visant l'économie financière ultra libérale qui s'est développée depuis le début des années 1980. Il ne faut pas plus attendre une correction pour la guerre commerciale avec la Chine ou même avec le Japon et l'Europe.
Derrière la surmédiatisation de l'élection présidentielle, largement due à la personnalité du Président sortant, il n'y a donc pas de bouleversements profonds à envisager dans la politique américaine ni dans la gestion. Bien sûr, les mesures anti-épidémie pourront être réformées et renforcées. Mais elles sont pour une grande part de la compétence des États. Pour l'économie, avec une certaine stabilité fiscale et budgétaire qui va s'imposer, le pouvoir revient d'abord la Banque Centrale.
Pour les marchés financiers, le scénario est très rassurant. La stabilité que l'on peut attendre du côté politique donne de la visibilité et la Réserve Fédérale a toute la crédibilité pour prendre les choses en mains.
La Fed doit gérer une économie dont la dynamique est bien différente de celle de l'Europe. La conjoncture américaine a nettement rebondi : la reprise industrielle est tangible, la consommation des ménages en hausse, les enquêtes de moral des chefs d'entreprises positives. Il n'y a vraiment pas urgence pour la banque centrale à prendre des initiatives. D'un autre côté, la croissance a tendance à se ralentir et celle du crédit aussi. L'immobilisme politique relatif qui est anticipé va imposer une extension des facilités mises en place dans le cadre d'un dispositif qui se voulait post-Covid.
Un nouveau programme d'ajustement quantitatif (QE) ou, en tout cas sa prorogation et l'élargissement de son périmètre se profilent Une collaboration avec l'administration présidentielle sera le passage obligé pour construire ces injections qui vont évidement concerner le financement du Budget Fédéral.
Le déficit est un sujet central pour l'évolution conjoncturelle : Jerome Powell, le patron de la Fed dont le mandat courre jusqu'en février 2022, a réaffirmé cette semaine la nécessité de maintenir un réglage budgétaire accommodant. « La politique budgétaire peut faire ce que nous ne pouvons pas faire » a répété M. Powell. Il est prêt à la financer, mais le grand argentier se situe résolument dans la ligne du Fonds Monétaire International qui demande des déficits publics au risque de voir le cycle tourner. L'avertissement vaut évidement autant pour les parlementaires que pour la future administration présidentielle.
Si les perspectives économiques américaines sont jugée « extraordinairement incertaines », c'est bien sur l'évolution de l'épidémie qui inquiète la Réserve Fédérale. En exerçant une pression sur le pouvoir politique, elle estime jouer son rôle.
La problématique de la Banque Centrale Européenne n'est pas la même : ce ne sont pas les perspectives qui sont incertaines, mais la réalité des confinements qui ramène la récession après le rattrapage des économies européennes et un beau troisième trimestre.
Lors du prochain comité de politique monétaire du 10 décembre, la BCE va accélérer ses soutiens via son QE (y compris en changeant le périmètre des actifs achetés) et, aussi, avec des mesures ciblées pour soutenir le crédit. La présidente de la BCE a été particulièrement claire en affirmant que « rééquilibrage (de la politique monétaire) il y aura ». Cet engagement n'a pas surpris les marchés financiers. Une fois encore, à l'annonce d'une mauvaise nouvelle (des confinements quasi-généralisés sur la zone euro), ils ont anticipé sur la bonne (plus d'injectons monétaires). Plus d'argent, plus d'argent gratuit, cela donne une tendance boursière à défaut de donner de la visibilité aux économies.
Finalement, le bilan d'une semaine sur les Bourses met en évidence, à Wall Street comme en Europe, la confiance placée dans la gestion des économies par les banques centrales. D'une certaine façon, un certain immobilisme de la part des pouvoirs politiques condamnés à reconduire leurs stratégies rassure. Pour le moment.