Les marins disputant le trophée du Vendée Globe ont attaqué cette semaine le « Pot au noir ». C'est le nom donné à la zone de basses pressions qui entoure le globe près de l'équateur. Sa caractéristique se traduit par des vents faibles, sans direction stable, les bateaux à voile pouvant s'y trouver pris comme dans un piège tout en devant supporter des pluies et des orages violents. La marine marchande anglaise baptisait ces passages de calme équatorial de Doldrums, c'est à dire de marasme. Le terme est aussi utilisé pour décrire les crises économiques.
Le rapprochement reste d'actualité. Si les plus rapides de nos champions du Vendée Globe semblent passer le Pot au noir en conservant un rythme correct, les économies se trouvent un peu à l'entrée d'une telle zone. Chacun perçoit, avec l'annonce des vaccins contre la covid, que des vents porteurs sont en vue pour le moyen terme, comme le sera la mer une fois dans l'hémisphère Sud. Mais chacun comprend aussi que le court terme va être sous l'influence négative des conséquences des confinements, de leur reprise et leur maintien.
Les mois qui vont venir, obéiront au scénario qui est désormais bien cadré : regain de l'épidémie, mesures de confinement plus ou moins autoritaires, mobilité encore plus réduite, baisse de la croissance. Grâce aux vaccins, les marchés financiers ont de quoi donner une vision plutôt fausse : ils anticipent les vents porteurs à échéance de quatre à six trimestres. Le passage à vide est ignoré dans les stratégies de portefeuille. Bien sûr, l'anticipation est leur règle du jeu.
Les conjoncturistes sont assez unanimes : les estimations de croissance 2020 et 2021 ont été revues en baisse depuis deux mois, le regain d'épidémie (« la deuxième vague ») et le retour des confinements. Les mesures budgétaires d'ampleur inconnue et les programmes monétaires en cours et annoncés ne devront pas se modérer. Elles sont nécessaires, même si elles ne peuvent que limiter la casse. Les indicateurs de déplacement donneront le ton, mais c'est l'ensemble de l'activité économique qui va être touchée. Les conséquences de ce premier hiver d'épidémie sans vaccin dans l'hémisphère Nord seront cependant assez disparates au sein des économies entre les zones et les pays et, bien sûr, selon les secteurs d'activité.
Ainsi, si les scénarios optimistes de long terme ont une base plutôt solide – vaccins ramenant l'activité avec des dépenses budgétaires et des injections monétaires record – l'horizon dans lequel on se place pour la météo de vents porteurs n'est pas encore déterminé. Devant nous, on pourrait trouver des surprises, des à-coups, de la volatilité conjoncturelle. Faut-il ne considérer que les belles perspectives, en « faisant du présent table rase » pour reprendre la jolie formule d'Hervé Goulletquer (stratégiste de LBPAM) ? Un petit tour des tendances du moment des grandes économies permet de tenter de mettre en perspective le court et le moyen terme.
La période de basses eaux – de marasme – que les économies traverseront au cours de ce quatrième trimestre aura, dans l'ensemble des zones, un effet sur 2021. La récession des trois derniers mois de l'année ou la réduction de l'expansion pourrait amener le niveau d'activité du début de l'année prochaine à un niveau inférieur à la moyenne de l'année précédente, ce qui se traduira au final sur le score de l'exercice 2021. Au-delà des calculs statistiques, c'est un facteur qui va concourir à une dégradation du sentiment économique, et finalement prolongera « le marasme ».
Les États-Unis ont gagné en visibilité avec les élections du début du mois : le président devrait avoir une politique internationale plus lisible et moins heurtée, alors qu'en interne, la majorité Républicaine du Sénat garantit le maintien de l'essentiel des conditions d'activité pro-business. On comprend donc pourquoi l'attention se porte d'abord sur l'épidémie.
L'arbitrage entre politique sanitaire et politique économique, qu'on imagine se rééquilibrer un peu pour la première sous influence de l'administration Biden n'est pour le moment pas aussi pénalisant pour la croissance qu'il l'est en Europe. Les États touchés sont jusqu'ici essentiellement les États ruraux à la densité plus faible et majoritairement dirigés par des gouverneurs Républicains. Une extension vers les côtes et leurs grandes métropoles sur le rythme observé en Europe apparaît probable avec l'arrivée de l'hiver, entraînant des mesures de confinement très pénalisantes pour la conjoncture, même si elles devaient être appliquées État par État avec réticence. Les indicateurs jusqu'ici favorables peuvent tourner sous la pression de l'épidémie.
C'est sur la base d'un renforcement du soutien monétaire de la Réserve Fédérale qui n'a guère le choix et d'un plan de relance public a minima, c'est à dire proche de l'objectif des Républicains, que la croissance américaine de l'ensemble de cette année est révisée sensiblement au-dessous de -4 %, ramenant à 3 % ou moins la projection de rebond 2021. La stabilisation du PIB américain au quatrième trimestre par rapport au troisième, base de ce scénario n'est toutefois pas encore assurée.
L'Europe a rétabli rapidement et avec une certaine vigueur les confinements nationaux, arbitrant fermement en faveur du sanitaire par rapport à l'économie. Le durcissement a été inégal, mais les pays les plus en retard sur ce point comme l'Allemagne ou la Suisse – sous régime fédéral il est vrai - sont en train de s'aligner sur la France ou le Royaume Uni.
Les effets sur la conjoncture seront plus mesurés qu'au printemps. L'INSEE estime que la baisse d'activité en France novembre sera de 13 % par rapport au rythme de 2019. En mars, la chute s'était établie à 30 %. La baisse de PIB du quatrième trimestre estimée entre 5 et 6 %. Le solde 2020 se situerait alors à un peu plus de 9 % et le rebond 2021 serait limité à un peu moins de 5 % compte tenu de la mauvaise fin d'année. L'Allemagne et son profil plus manufacturier, mais moins sensible à la consommation devrait faire mieux que la France cette année (récession de l'ordre de 5,5 %), mais manquera singulièrement de dynamisme en 2021, l'objectif optimiste se situant à 3 % de croissance.
La zone euro dans son ensemble affichera -7 % cette année et vise 3,5 % de croissance en 2021. C'est mieux que le Royaume Uni qui va subir les freins du Brexit (-10,5 % cette année + 4 % l'année prochaine) mais loin derrière la Suisse (-4 % en 2020 ; + 3 % en 2021).
Notre petit tour du monde des grands contributeurs à l'activité mondiale se termine en Asie. Le Japon se situe, pour la récession de cette année (-5 %) comme pour les perspectives 2021 (+ 2,5 %) dans le peloton de tête des pays développés. Pour lui, ces taux traduisent même une expansion élevée par rapport à l'historique. Malgré un regain de l'épidémie, il ne faut pas attendre des mesures contraignantes, les Japonais sachant s'appliquer à eux-mêmes un style de vie limitant la contagion. L'économie de l'Archipel va encore être soutenue par plus encore de dépenses publiques comme l'a annoncé le gouvernement Suga. Elle va profiter de la demande extérieure liée aux conjonctures américaine et chinoise.
Car la Chine, après avoir contenu l'épidémie (pour peu qu'on en sache) et avoir tenu bon sur le plan économique cette année (hausse du PMI de 2 %) va être soutenue dès l'année prochaine par le XIVème plan quinquennal. Il va prolonger l'objectif du modèle vers l'autosuffisance en soutenant la consommation et, surtout en renforçant les investissements (forcément publics), en particulier d'infrastructures et dans les technologies numériques et biologiques. Il est raisonnable de fixer une croissance de 8 % pour 2021 rappelant les belles années.
La période que les marchés ne veulent pas voir va durer encore en Europe et, à un degré moindre aux États-Unis. En Occident, les facteurs de sensibilité à surveiller sont l'évolution de l'épidémie d'abord, la pertinence des vaccins et leur mise en place ensuite. En Orient, c'est la réalité du nouveau modèle chinois qui fera la conjoncture.
La sortie du « marasme » au premier semestre 2022 est un bon pari : les marchés financiers ont le temps d'attendre sur leurs très hauts niveaux. Mais il y a toujours des imprévus, positifs ou négatifs.