En laissant derrière nous l'année incroyable que nous avons subie, un scénario quasi idéal semble se dessiner. En tout cas, c'est bien le pari pris par les marchés financiers. Les scénarios d'une croissance mondiale 2021 supérieure à 4,2 % après une contraction d'un niveau équivalent sont basés sur des données tangibles, comme ceux de perspectives de nette accélération les deux années suivantes. Dans les salles de marché, certains n'hésitent pas à parler d'alignement (favorable) des planètes. Dans la série de janvier de notre chronique qui cherche à cerner les perspectives, ce n'est pas à la « science » astrologique que nous allons recourir pour juger cet alignement de trois grandes planètes. Il y a des certitudes, des hypothèses, des risques.
La situation sanitaire est bien sûr la première des clés de l'évolution conjoncturelle. L'hiver dans l'hémisphère nord a apporté un regain d'épidémie qu'on pouvait attendre. Mais la mutation du virus – et même des différentes versions du virus – amplifie sévèrement l'évolution et, aussi et peut-être surtout, les craintes des gouvernements.
L'Asie est sensiblement moins atteinte que l'Europe et l'Amérique du Nord, même si on a un peu de mal à juger de la réalité de la situation dans le cas spécifique de la Chine. Ce regain était inattendu et, entraînant des mesures sévères de blocage des économies en Europe et sans doute bientôt en Amérique du Nord, il remet en cause les scénarios de court terme. En Chine, même après la très bonne résistance des quartiers, des villes, peut-être des régions sont ou vont être aussi l'objet de mesures limitant l'activité.
Pour autant, la vaccination à grande échelle est lancée, avec des pays en avance comme Israël d'abord (23 % de la population) ou les Émirats Arabes Unis (15 %) mais aussi le Royaume Uni et les États-Unis qui ont dépassé respectivement 4 % et 3 %. Les productions sont engagées pour divers vaccins dont les taux d'efficacité sont élevés : la diffusion sera très large à partir de l'été et les scénarios d'immunités à partir de l'automne prochain apparaissent tout à fait crédibles.
Dans la logique optimiste de planètes alignées, le soulagement entraînant un retour de la confiance des agents économiques est donc planifié pour la fin de cette année ou les premiers mois 2022. Le décalage dû au regain épidémique a ainsi repoussé l'échéance de trois à six mois par rapport aux anticipations d'il y a encore deux mois. Le risque maximum serait une mutation du virus rendant inopérants les vaccins. Il est exclu pour le moment : les grandes économies se trouvent face à une dégradation sanitaire de court terme qui est certaine et à un règlement de l'épidémie à terme d'un an qui est très probable. Il faut seulement (?) passer le mauvais cap.
Une fois le virus vaincu, la croissance devrait assez rapidement et plutôt vivement accélérer. De fait, au vu des conséquences économiques limitées de la deuxième vague, le cycle est déjà enclenché. Il va aussi s'appuyer sur la conjoncture chinoise. Le pays est le grand gagnant de 2020. La Chine affiche une croissance de 1,8 % sur l'exercice et, surtout, est aujourd'hui sur une dynamique de croissance qui est supérieure à celle d'avant l'épidémie : la production industrielle est supérieure de 7 % à ce qu'elle était il y a un an.
L'effet d'entraînement va évidemment être très fort pour les économies émergentes, et pas seulement pour celles qui profitent déjà des conséquences de la conjoncture chinoise sur les cours des matières premières. Le commerce mondial témoigne de la tendance : il a retrouvé son niveau de février. Le coût du fret en est une autre illustration : au départ de Shanghai, il a été multiplié par 2,5 en un an. Le Baltic Dry Index, qui affiche un score comparable sur la période (+140%), retrouve ses meilleurs niveaux depuis le début 2011.
La Chine a été en avance pour l'épidémie, elle l'a été pour le traitement en s'appuyant sur son régime totalitaire. Elle l'est pour le rebond, sans doute en amont du règlement sanitaire. Son évolution indique que le potentiel de croissance est là et qu'il a la capacité de s'exprimer au travers des économies émergentes et développées.
Les mix de politiques économiques et budgétaires ont en tout cas mis en place les conditions de la croissance post-covid. Malgré une certaine résilience par rapport à l'Europe avec une récession 2020 inférieure de plus de moitié aux 7,9 % que va afficher la zone euro, les États-Unis vont continuer à bénéficier de la mobilisation de la Réserve Fédérale tout au long de 2021 et même au premier semestre 2022 : c'est annoncé et programmé. S'ajoute le plan de relance de 900 milliards de dollars approuvé par le Congrès qui complète celui de 2.200 milliards de mars. Cela pèse 14,5 % du produit intérieur de dépenses publiques, un niveau inconnu même en temps de guerre. Le plan Biden de 1.000 milliards de dollars de plus qui a désormais une bonne chance d'être adopté va rajouter pas loin de 4,7 % de PIB.
Sans entrer dans les chiffres, la zone euro va suivre l'exemple américain, sans limitation du point de vue monétaire, avec une puissance moins nettement forte du point de vue budgétaire, mais les moyens commencent à arriver.
Le maintien de ces politiques monétaires et budgétaires est pratiquement certain. Il met en place les conditions d'un fort rebond conjoncturel une fois la situation sanitaire restaurée. Une limitation des effets de relance venant d'une réelle résurgence de l'inflation ses effets sur les taux d'intérêt pour des économies surendettées semblent le seul point possible de décalage de l'alignement de cette planète là.
Les réactions des marchés financiers depuis le début du mois peuvent inciter à prendre au sérieux ces risques. Depuis le début de l'année, le rendement des bonds du Trésor américain à 10 ans est passé de 0,94 % à 1,8 % le 12 janvier, pour se stabiliser autour de 1,1 % Début août on se situait à 0,53 %. Les points morts d'inflation des emprunts indexés sont désormais sensiblement supérieurs à 2 % et la hiérarchie des taux indique une anticipation de dérive des prix.
Les investisseurs cherchent à se prémunir d'une reflation qui sera favorisée par le programme démocrate de l'administration Biden. Cela posé, il faudrait une très forte accélération de la croissance pour que l'inflation américaine rebondisse vraiment. On s'orientera a priori vers une hausse (très) progressive alors que l'Europe est très loin de courir un risque comparable.
En tout état de cause, les Banques Centrales et la Réserve Fédérale, la BCE et la Banque du Japon au premier rang seront là et ont les moyens et la volonté de tenir les taux d'intérêt : le cycle ne devrait pas décaler cette planète en 2021 ni même sans doute en 2022. C'est ce que dit implicitement Jerome Powell, le patron de la Fed : « quand le temps sera venu de remonter les taux, nous le feront. Mais ce n'est pas imminent. »
Les efforts budgétaires réalisés ou annoncés depuis bientôt un an sont un transfert massif de richesse. Les États (en s'endettant grâce à la politique monétaire des banques centrales) ont donné des moyens aux agents économiques privés, non seulement de limiter les effets des mesures de récession prises pour des motifs sanitaires, mais aussi d'accélérer. On va passer ainsi d''économies qui se resserrent à une croissance qui se diffuse.
La consommation – après les pouvoirs d'achats préservés et des taux d'épargne en forte progression - , les investissements publics et aussi les investissements privés qui pourront donner du levier aux deux premiers facteurs, vont nourrir cette diffusion. La croissance potentielle mondiale devrait ainsi ressortir regonflée de la crise sanitaire : les investissements numériques et technologiques en général sont entrés dans une nouvelle phase et ceux liés aux défis climatiques vont changer de dimension.
L'alignement de la planète « accélération de la croissance » va devoir affronter, en sus des questions sanitaires et de taux d'intérêt, deux risques spécifiques : celui des régulations mécaniques de marché et celui des écarts entre les zones géographiques et/ou les personnes physiques.
Les taux d'intérêt étant assez largement administrés par les autorités monétaires, les mécanismes de marché pouvant limiter le cycle se circonscrivent aux devises et aux matières premières. Les politiques concertées des banques centrales limitent les plus gros écarts de change. Cependant, les facteurs de baisse du dollar (déficits, taux réels) se développent et, face à l'euro par exemple un scénario de recul de la parité de 6 % d'ici à la fin de l'année apparaît cohérent.
Ce recul du billet vert favorisera la croissance américaine et celle de beaucoup des pays émergents qui bénéficient déjà de la conjoncture chinoise et de la hausse des matières premières. Le retard européen qui s'est accru avec l'épidémie a des raisons de se refaire en partie avec le plan de relance adopté par l'Union Européenne. Ce n'est pas tant son montant – bien inférieur au plan américain toutes proportions gardées - que l'abandon des dogmes récessionnistes par les pays qui se disent frugaux qui permet d'espérer cette correction. Cependant, la dispersion géographique de la croissance va rester forte cette année et en 2022.
Le dernier des risques est social. Les inégalités qui se sont envolées dans les pays occidentaux depuis 20 ans sont aujourd'hui considérées par les économistes comme le grand frein à une progression de la croissance potentielle et, finalement, de la croissance tout court. Les réduire est un impératif qui n'est pas simple à respecter pour les gouvernements, tant il tourne le dos à 40 ans de doctrine ultralibérale. Les débuts de la présidence Biden sont pour le moment marqués par une montée des tensions internes aux États-Unis plus que par la volonté de réunir les électeurs des deux camps. Nécessité fera cependant loi dans toutes les économies développées pour éviter de vraies crises sociales.
Le risque est réel, mais il n'est peut-être pas immédiat et on ne peut pas dire que les gouvernements n'en sont pas conscients.
Les planètes sont bel et bien alignées. Les risques de décalage et donc de rupture de l'alignement existent, mais sont bien cernés, pour la situation sanitaire, pour la conjoncture 2021 et pour la diffusion et l'accélération ensuite.