La phase de morosité des Bourses depuis le 20 janvier n'a pas pu prendre les investisseurs à revers. Elle reflète plutôt assez bien l'analyse économique qui s'est dessinée depuis le début de l'année. On a pu la résumer : les cours de Bourse évoluent en fonction du degré d'anticipation de ce qui semble certain (une nette reprise économique après le règlement de la crise sanitaire) en mettant en balance rythme très incertain du scénario porteur. Avec les campagnes de vaccinations, les doutes ou les rumeurs sur leurs déroulements et leurs agendas si différents d'une zone à une autre, et même sur leur efficacité, c'est l'incertitude du rythme de règlement sanitaire qui a déclenché les prises de bénéfices. Cette respiration dans une tendance formidablement haussière donne une occasion de prendre un peu de recul sur les données de la gestion des portefeuilles 2021.
On ne peut que le répéter : c'est la crise sanitaire qui donne le ton pour les économies. Il n'est pas anormal que des questions sur l'efficacité des vaccins se posent à ce stade des campagnes d'inoculation. Les fortes proportions de populations vaccinées – le tiers en Israël, le quart aux Émirats Arabes Unis, 11 % au Royaume Uni, 6 % aux États-Unis – permettent de premiers bilans et, surtout, de se projeter.
Au-delà des rumeurs ou informations orientées, le scénario central d'une immunité collective face aux différentes formes de la Covid-19 est confirmé. Confirmé, mais à une échéance qui sera fixée par les capacités de production, de logistique et de vaccinations elles-mêmes. Avec son taux de 1 % et des retards avoués, l'Union Européenne peut fixer le 1er semestre 2022 pour approcher la fameuse immunité collective obtenue avec 60 % et plus de la population vaccinée.
L'issue sanitaire ne fait finalement guère de doute, même si des inquiétudes surgissent et vont forcément continuer à le faire. Au stade actuel, c'est la conjoncture des mois et trimestres qui viennent immédiatement qui pose des questions et pèse sur les marchés financiers. Les annonces de mesures autoritaires pesant fortement sur les économies et, singulièrement sur la mobilité des personnes, vont entraîner eu Europe, particulièrement en Allemagne, un 1er trimestre à nouveau en contraction (après le 4ème de 2020) et, aux États-Unis, un sensible ralentissement de la croissance après un rythme encore maintenu à 4 % au quatrième trimestre.
Retardé et pas remis en cause, le retour à « la normale sanitaire » entraîne assez sainement cette respiration boursière après les records boursiers des indices américains. Le cycle est décalé et cela laisse aussi la place pour ajuster les allocations d'actif en fonction de ce « monde d'après Covid » dont seulement la période d'arrivée pose vraiment question.
En termes de gestion des actifs, le court terme plus négatif et plus longtemps négatif que prévu il y a encore un mois, ne doit pas occulter le fort potentiel de rebond à priori fixé en 2022. La tendance va rester à se positionner pour « l'après Covid ».
La conjoncture qui va suivre la période de basses eaux de cette année va rester marquée par un environnement de taux d'intérêt qui va rester ce qu'il est : les rendements vont être très (très) bas très (très) longtemps.
Les grandes banques centrales n'ont pas le choix : les risques de décrochage, et en particulier sur le marché de l'emploi, imposent des politiques de déficits budgétaires généralisées. Le plan de relance américain et, avec une intensité moindre, celui de l'Union Européenne montrent la voie. Avec le Japon, mais, aussi la Chine, ils mettent les banques centrales en position de prêteur obligé en dernier ressort pour les dettes d 'État.
Le décalage du règlement sanitaire ne fait que pousser à aller encore plus loin sur le plan monétaire pour soutenir le crédit. Ainsi, Jerome Powell, le patron de la Réserve Fédérale américaine l'a réaffirmé avec force cette semaine : « la crise épidémique n'est pas terminée, (…) le soutien à l'économie pour rattraper ses conséquences est une nécessité durable ».
Les taux administrés vont donc rester tenus dans leurs niveaux très bas ou négatifs. Et on comprend qu'acheteuses d'obligations d'État et d'entreprises, les banques centrales administrent de fait les taux longs dans un certain sens.
Restent les anticipations de reflation qui pourraient les pousser à la hausse. M. Powell écarte l'idée même que cela freinerait l'action de la Fed sur le front de la monnaie et des taux. Ni une accélération des prix, ni les risques de bulles sur les actifs ne remettraient en cause sa politique. Pour la première, la perspective ne serait, selon lui, que temporaire et, en tout état de cause, l'indicateur qui oriente la Fed est le marché de l'emploi.
Cette persistance de taux d'intérêt très bas pèse sur les allocations d'actifs qui doivent rechercher du rendement. La convergence pour les classes de débiteurs entrant dans le champ des achats des banques centrales a fortement diminué les écarts de rendement (spreads). Le moment de jouer des écarts plus importants ou une nette reconstitution de la hiérarchie des taux ne paraît pas venu. Le rendement des marchés de taux peut se trouver dans le portage et, sans doute, surtout sur des catégories de créances qui ne bénéficient pas des achats orientés et presque automatiques des grands argentiers. Dans le viseur des opportunités : des émetteurs des grands pays hors radar et, plus encore, des émetteurs des pays émergents qui peuvent de plus bénéficier de la baisse du dollar et d'une bonne dynamique des matières premières.
Les actions restent le choix par défaut et pas seulement en raison du rendement de leur dividende comparé à celui des obligations : il n'y pas d'alternative. D'une façon générale, les records des indices américains et la très bonne tenue des autres Bourses peuvent inquiéter. Les cours anticipent largement la hausse des bénéfices qui, on le comprend se décale vers le second semestre de cette année, voire sur 2022.
La dégradation sanitaire intervient sur des évaluations à l'optimisme sans doute excessivement partagé par les investisseurs. Début janvier, les projections de hausse des profits à l'échelle de la planète (MSCI World) étaient de 26 % cette année et de 16 % en 2022. Cela aurait permis de retrouver le niveau de 2019 en 2021 et de finir 2022, 20 % au-dessus de l'avant crise. Pour la zone euro, les estimations (45 % cette année, 20 % l'année prochaine) visaient cette moyenne de bénéfices 2022 supérieure de 20 % au score 2019.
Les investisseurs prennent en compte le retard. Pour autant, la forte reprise amenant les profits à s'inscrire en nette hausse sur cinq ans en prenant la base en 2019 reste la probabilité centrale. C'est elle qui va diriger les allocations d'actifs, sauf forte dégradation sanitaire bien sûr.
Cependant, derrière le retour d'une dynamique haussière des profits et des cours de Bourse, c'est une conjoncture bien différente qui va dicter les stratégies de portefeuilles.
Les arbitrages vont s'appuyer sur deux grandes tendances : le rappel à la moyenne des différents secteurs, zones géographique ou type de société ; la croissance tirée par le développement des budgets de développement durable et « responsable » (ESG).
Au premier chapitre, les valeurs industrielles, pas mal des services et même la finance. Les sociétés dites « value » devraient réduire les écarts avec le secteur technologique, surtout les écarts avec les géants des Gafam. Les valeurs moyennes, les sociétés cotées émergentes ont également du retard à refaire. La réduction de la décote des actions européennes est une piste qui demandera en revanche des confirmations.
Au deuxième chapitre, la hausse générale des budgets de redistribution dans les pays développés (le S pour social de l'ESG) va se traduire par des hausses d'impôt et, aussi, refondre les pôles de croissance de consommation. Le plus important du chapitre va concerner les investissements de transition énergétique (le E de l'ESG) financés par les États directement ou indirectement (mesures incitatives ou au contraire pénalisantes).
La rotation sectorielle débutée en fin d'année a été contrariée par la consolidation des dernières séances sous la pression de l'actualité sanitaire. C'est pourtant, au sein de cette stratégie actions un peu obligée, l'accompagnement et la prolongation de la rotation qui pourraient être la priorité de gestion. Il y a du potentiel de rattrapage pour des classes d'actifs, des secteurs, des valeurs qui n'ont pas profité des achats administrés venant des politiques monétaires. Les obligations qui n'entrent pas dans les cibles des banques centrales en font partie. Les actions hors indices ou pensant peu dans les indices aussi : les grandes gestions internationales, des fonds souverains et même des banques centrales comme celle de Suisse ou du Japon ont acheté massivement des paniers répliquant les indices boursiers, amplifiant dans les cours la concentration des hausses de bénéfices sur les poids lourds des cotes. Ce thème des actifs « non administrés » va s'imposer au fur et à mesure de l'éclaircissement des scénarios sanitaires, donc économiques.