On ne peut pas y échapper : les médias les plus grand public mettent en avant le retour des indices au-dessus de leur niveau d'il y a un an. C'est-à-dire avant le déferlement de l'épidémie de la Covid-19 et des mesures de blocage des économies, plus ou moins sévères suivant les pays. Les 32.500 points de l'indice Dow Jones sont un record absolu et marquent une hausse de 12 % par rapport aux cours d'avant le krach de la Covid. À 6.000, CAC 40 a retrouvé ce niveau.
Les progressions depuis le début de l'année : 8,7 % à Paris et 6,1 % à Wall Street, reflètent des nouvelles micro et macro-économiques qui ont été bonnes. C'est un peu une nouveauté ou en tout cas un retour : les derniers mois, c'étaient les mauvaises nouvelles qui faisaient grimper les Bourses. Les bonnes peuvent aussi porter les cours.
Vu avec le recul d'un an, les marchés financiers ont fait mieux que tenir face au choc de récession. Les dépenses publiques et les injections monétaires des grandes banques centrales (qui financent aussi en dernier ressort les déficits des budgets nationaux), toutes les deux dans des proportions inconnues même pendant ou après les guerres, ont donné aux marchés des munitions qui ont permis le rebond des cours. À partir de l'été 2020, les investisseurs ont montré qu'ils avaient bien enregistré cette donne financière d'exception. Les bonnes nouvelles économiques faisaient plier les indices, les mauvaises les faisaient monter : les premières faisaient craindre de la modération des budgets et des politiques monétaires, les secondes permettaient d'anticiper sur plus encore d'argent injecté.
Depuis le début de l'année le flux de nouvelles a bien changé : la fin de l'épidémie est en vue, les perspectives de - fort- rebond conjoncturel se précisent et sont même révisées à la hausse. Mais cela ne fait pas baisser les Bourses. Au contraire.
Semaine après semaine, l'amélioration sanitaire se renforce. Plus de 300 millions de doses ont été inoculées dans le monde et, dans les pays en avance comme la Chine ou Israël l'épidémie n'est pas loin d'être endiguée. Le Royaume-Uni a fixé à l'été – le 21 juin - le retour complet à la normale et les États-Unis visent le 4 juillet, jour de la fête de l'indépendance.
Cette fin de l'épidémie ne s'opère pas de manière synchrone. La Chine a été en avance au départ et elle l'est pour le traitement, avec 4 mois environ d'avance sur les États-Unis par exemple. Le retard de l'Union Européenne, empêtrée dans ses procédures et l'impossibilité de mettre sur le même rythme 22 pays aux systèmes de santé si différents, va infliger un retard de plus d'un trimestre à l'ensemble de la zone. Mais l'important est la dynamique et l'amélioration incontestable au plan mondial.
Ce retour programmé à la normale sanitaire, donc pour les économies, n'a pas conduit les responsables politiques et monétaires à changer leur stratégie, ni même à l'atténuer. Le Congrès a adopté un nouveau programme transpartisant de 1.900 milliards de dollars de dépenses budgétaires, qui complètera les deux précédents – également transpartisants – de l'année dernière pour un montant global de 2.900 milliards. Les Démocrates et les Républicains auront autorisé avec les administrations Trump et Biden des dépenses représentant 22,5 % du produit intérieur brut.
Les banques centrales - la Fed en l'espèce – permettent les déficits en en garantissant le financement. Et elles n'envisagent pas par ailleurs de limiter leurs dispositifs en faveur de l'économie. M. Powell n'aura qu'à confirmer sa stratégie la semaine prochaine. Mme Lagarde est allée plus loin encore jeudi à l'issue de la réunion des gouverneurs de la Banque Centrale Européenne. Elle base sa politique sur un scénario économique prudent, insistant sur les risques persistants, et, bien sûr, aussi sur le retard de vaccinations dans la zone. La priorité est le maintien de conditions financières accommodantes et la BCE va même augmenter ses achats mensuels d'obligations des États.
Les perspectives économiques profitent de la restauration sanitaire et des efforts du mix de politiques budget/monnaie. La conjoncture 2021 va être tirée (à nouveau) par la Chine et les États-Unis. Après une croissance maintenue à 2,4 % en 2020, l'économie chinoise va rattraper par rapport à ses objectifs moyen terme de 5 % à 5,5 % de croissance : elle va se situer à près de 8 % cette année. Les États-Unis n'ont pas échappé à la récession l'année dernière (-3,5 %) mais les plans publics vont assurer un retour au-dessus de 2019, avec 6,5 % à 6,8 % sur l'ensemble de 2021.
C'est le retard européen qui limitera la croissance mondiale des PIB. La zone euro est placée sur une trajectoire de 4 % venant après la récession de 6,8 % de 2020 : l'économie va tourner cette année à 97 % de son niveau de 2019 qu'elle ne retrouvera qu'en 2022. Il est à noter que la France et l'Allemagne présenteront sur deux ans un bilan égal à ce niveau de 97 %. La croissance 2022 est estimée à un modeste 4,1 % par la BCE : après les retards vaccinaux ce sera le moindre effort budgétaire qui va limiter la reprise.
Au total, malgré l'Europe, la puissance américaine et chinoise va assurer le rebond de 5,6 % minimum de la croissance mondiale 2022. La conjoncture reflèterait ainsi un niveau d'activité de 102 % de celui de 2019.
Cette conjoncture de croissance exceptionnelle entraîne forcément les forces de rappel et les facteurs de stabilisation des économies.
Le premier est bien sûr l'inflation. Une croissance mondiale de près de 6 % venant après des périodes de sous-investissement exerce des contraintes sur l'offre. Des goulots d'étranglement se développent sur l'ensemble de l'amont et, de façon visible, les prix de l'alimentaire, des métaux et du pétrole montent fortement en « bénéficiant » d'un effet de base. À court terme, des publications de chiffres de dérive des prix sensiblement supérieurs au fameux objectif de long terme de 2 % sont attendues. L'inflation observée ne semble cependant pas pour le moment avoir beaucoup de probabilité de se révéler structurelle : il y a toujours des surcapacités sur les marchés du travail. C'est en tout cas l'analyse de la présidente de la BCE et, avec des petites nuances, celle de la Fed.
Les marchés n'ont pas montré le même flegme face au regain, réel même s'il peut être temporaire, de l'inflation. Les taux obligataires se sont stabilisés, mais après une vraie tension. Et, aujourd'hui, le rendement de l'emprunt du trésor américain à 10 ans affiche 1,46 % pour moins de 0,5 % l'été dernier. Le rendement de l'OAT de même échéance est passé de -0,48 % à -0,18% Les points morts d'inflation des obligations américaines anticipent à 10 ans un niveau sensiblement supérieur à 2 %.
La force de rappel des taux a eu une conséquence directe sur les changes. Le rebond du dollar atténuera un peu le retard européen et donnera un peu plus de levier à l'économie de la Chine. Sa conséquence la plus notable est cependant de perturber les pays émergents dont les économies – et les actions – semblaient partis auparavant pour être les grands gagnants de l'année.
Les tensions sur les taux longs sont stabilisées mais ont eu un effet sur les actions : pas en termes d'indices, sauf l'exemple de la sanction peut-être excessive sur les émergents, mais en discriminant certaines classes et en favorisant d'autres. Des taux d'intérêt plus élevés pèsent sur les valeurs de croissance aux gros multiples de valorisation et ont entraîné des arbitrages vers les secteurs « value » et, aussi sur, les financières.
Finalement, en l'absence de vraies craintes de surchauffe de l'économie américaine, les bonnes nouvelles ont des raisons d'être saluées par les Bourses. Mais ces bonnes nouvelles ne le sont pas de façon égale pour toutes les actions : c'est peut-être la principale conséquence du changement de période.