La crise sanitaire mondiale n'a fait que mettre davantage en évidence les spécificités - et les atouts - du pays d'où est précisément partie l'épidémie. Au bilan chinois, une croissance de l'économie face à une récession mondiale généralisée. Au bilan aussi, la communication officielle d'une restauration de la situation sanitaire. Et en perspective, l'application du XIVème plan quinquennal qui couvre cette année jusqu'à 2025. L'année 2021, qui est celle du centième anniversaire du parti communiste chinois, ne va pas inciter les dirigeants du pays à la modestie ni à la retenue dans les objectifs et les moyens de les réaliser.
La récession mondiale entraînée par les mesures de blocage des économies face à l'épidémie a atteint 3,5 %. L'Europe – y compris le Royaume-Uni – a payé le prix fort, les États-Unis et le Japon ont mal résisté, mais la Chine a tenu la croissance au bilan 2020. Cependant, 2,3 % est un score bien inférieur aux constatations des 20 dernières années et, en ratant largement la cible de 5 %, la moyenne de 6,5 % par an du XIIIème plan quinquennal pour la période 2015-2020 n'a pas été atteinte.
La poursuite de l'expansion l'année dernière est toutefois une performance qui frappe. On sait que les statistiques économiques ou financières chinoises sont publiées sous la pression politique de la propagande du parti. Cependant, d'une année à l'autre elles sont forcément comparables. Les « données instantanées » sur lesquelles se basent les économistes et qui en réalité sont l'agrégation d'observation des passages obligés de l'activité (consommation d'électricité et de pétrole, achats par cartes bancaires, utilisation de support numériques etc.) confirment aussi la fourchette 2 % - 2,5 %.
Par deux fois cette année, le pouvoir a salué la résilience de l'économie chinoise. Dans son allocation du nouvel an chinois (début février) M. Xi Jinping, le secrétaire général du PC (et de ce fait président de la République) a fait dans le lyrisme. « Les faits ont à nouveau prouvé que le système socialiste tel qu'il existe en Chine possède une vitalité et une créativité incomparables », a-t-il martelé. Le lyrisme n'exclut pas la fermeté : « Aucune difficulté ne sera insurmontable tant que l'ensemble des membres du Parti et le peuple chinois, dans toute sa diversité ethnique, se rassemblent unanimement autour du Comité central du PCC ».
Ces derniers jours, à l'occasion d'une tournée dans les grandes régions, M. Xi a précisé ses ambitions, en informant les Chinois qu’ils allaient devoir « redoubler d'efforts pour s'intégrer dans le nouveau paradigme de développement, afin de construire pleinement un pays socialiste moderne. » Il y a quinze jours, le Premier ministre avait précisé les choses devant le Congrès Populaire National (le parlement), annonçant une politique économique pragmatique, abandonnant les objectifs de croissance pour « une fourchette qui sera appropriée » en fixant les objectifs (et les résultats) annuels « en fonction des conditions réelles. » Ce qui est annoncé, c'est un développement maîtrisé, aux fondamentaux de meilleure qualité et, ainsi, plus sûr et plus pérenne.
On peut prendre ces ordres au sérieux. La Chine est un pays totalitaire, même si M. Xi se veut un
despote éclairé. Peut-être n'aura-t-il pas de mal à de révéler plus « éclairé » que ne l'a été Mao Tsétoung.
L'année du centième anniversaire donne des enjeux stratégiques pour le pays. Le rendez-vous porte sur le pouvoir d'achat : la société veut confirmer un statut « de moyenne aisance ». Avec une richesse produite de 10.800 dollars par habitant, la Chine est à moins de 15 % de ce niveau tel que défini par les instances internationales. C'est pratiquement le double du niveau 2011. Le score est à la moyenne mondiale et évidemment très inférieur à celui des États-Unis (de plus de 80 %), du Japon ou de la zone euro (plus de 70 % dans les deux cas).
La moyenne mondiale a en tout cas été trouvée et la mobilisation peut être sonnée pour l'édification durable d'un pays « du socialisme moderne ».
On ne peut pas dire dans des termes plus clairs que la deuxième économie du monde, le premier pays du monde en termes démographiques, entend plus que jamais ne pas jouer la même règle du jeu que ses homologues regroupés au sein du G7.
C'est évidemment un rappel qui ne surprend pas en matière d'organisation politique de la société : les impératifs du libre arbitre ou de la liberté individuelle ne sont pas dans la culture chinoise et cela ne changera pas. Les « sanctions » de l'Union Européenne prises ces derniers jours pour punir Pékin de ses pratiques vis-à-vis d'une minorité musulmane au Xinjiang ont peut-être des visées de politique interne, mais sont de vaines rodomontades. Les questions qui comptent, en particulier sur le respect de règles du jeu, sont économiques.
La guerre commerciale n'a pas été mise entre parenthèses par l'épidémie.
C'est sur ce terrain que l'administration Biden s'est placée face à la Chine dans les pantoufles de M. Trump. Les négociations commencées la semaine dernière en Alaska sont parties sur un ton très brutal et, finalement, sortant des discours diplomatiques. Les questions de droits de l'homme ou d’espionnage permettent toutes les outrances de chaque côté. De celui des Américains, le Xinjiang, Hong Kong, Taïwan, les cyberattaques, la Corée du Nord, le pillage technologique, les sanctions prises vis-à-vis de certains pays occidentaux. Du coté des Chinois, un procès de la démocratie américaine, au sein de laquelle les droits de l'homme se trouvaient « à un plancher » vis-à-vis des minorités et en particulier de afro-américains, et une accusation de menacer le commerce mondial en s'appuyant sur la puissance financière, en ayant une conception étendue du concept de sécurité nationale.
Le scénario théâtral du premier round de la négociation a permis de fixer les choses : les deux parties pourront camper sur leurs positions de politiques interne et internationale. Chacun aura observé qu'il n'est pas question que les sanctions que la Chine a prises vis à vis de l'Union Européenne en réponses aux siennes, soient appliquées par les États-Unis. En quelque sorte, des deux côtés du Pacifique, on accepte que l'autre reste maître de ses propres affaires.
Le sujet – commercial et financier – est justement de déterminer ce qui relève de l'interne et ce qui est une question internationale. Pour « sortir de la mentalité de Guerre Froide » et trouver « un accord gagnant- gagnant » selon les termes du ministre des Affaires Étrangères chinois, la stratégie Trump revient en force.
Ce que demande le régime chinois n'est pas nouveau : il veut que les cadeaux faits au pays par l'administration Clinton au moment de son entrée dans l'Organisation Mondiale du Commerce en 2001 soient prolongés ou même renforcés. Le retour d'une administration démocrate et de l'affichage de la promotion de relations multilatérales comme les Chinois en avaient profité sous la présidence Obama base leur stratégie offensive. Mais le retour dans les instances de ce qu'on appelle la communauté internationale a tout du faux nez : la compétition commerciale n'est pas équitable.
Les écarts sociaux de coûts, de volume de la sphère publique, de la transmission des décisions monétaires et financières ne s'atténuent pas avec la croissance chinoise. Au contraire, les ambitions nouvelles du « pays socialiste moderne » ont l'intention de s'appuyer plus que jamais sur les avantages comparatifs qui ne seraient pas bridés par des droits de douane ou des quotas.
Le sentiment de puissance chinois renforce finalement ces ambitions et, face à cela, les États-Unis n'ont pas vraiment d'alliés suffisamment solides par eux-mêmes pour lui éviter leur marginalisation progressive. Les européens se sont ainsi interdit de prolonger sur le plan commercial leurs sanctions politiques.
En panne relative de leadership international pour éviter son déclin économique relatif et celui de son modèle de « démocratie médiatique », M Biden a comme priorité le rétablissement de l'unité au sein de son pays, après une élection présidentielle qui aura confirmé des cassures sévères. Pourtant, ce sont les États-Unis qui, il y a 20 ans, avaient passé avec la Chine le deal de transfert de valeur ajoutée et finalement de richesse de l'ensemble des pays de l'OCDE (Europe en tête) vers la Chine et les pays émergents qu'elle entraîne.
M. Xi a fixé l'objectif de croissance 2021 à 6 % : la sous-estimation volontaire vise à insérer l'exercice dans une tendance moyenne de long terme. Avec les effets de base, on va se situer autour de 9 %. Le poids de la Chine est désormais de 18 % du produit intérieur brut de la planète et son dynamisme, comme celui des États-Unis (qui pourrait approcher les 8 %) va porter la conjoncture mondiale. Mais il va aussi accroître les différences de tendance long terme au profit de la Chine.
Elle est en avance dans le cycle et annonce déjà des mesures de normalisation monétaire et budgétaire à l'heure où les États-Unis amplifient leur fuite en avant. Pour autant, les ambitions du nouveau modèle chinois ne peuvent pas (encore) se réaliser sur les seules bases internes. La guerre commerciale ne peut que reprendre et va peser sur le commerce mondial au-delà de la période particulière post-Covid de cette année.
Les défis sont systémiques : l'épreuve de force commerciale, financière et, aussi monétaire sur le marché des changes, semble inévitable à une échéance de deux à trois ans. Pour le moment, la perspective n'est pas valorisée sur les marchés, mais ce sera sans doute un sujet 2022.