L'amélioration sanitaire se confirme et la restauration d'une situation jugée normale est en route. Plus de 500 millions de personnes dans le monde ont reçu des vaccins contre le Covid-19. Des économies comme les États-Unis, le Japon ou la Grande-Bretagne rejoignent la Chine pour retrouver leur niveau d'activité de la fin 2019 ou du début 2020, avec en vue de façon variable selon les cas, le retour de la dynamique de croissance.
Les projections qui s'établissent sur une croissance mondiale de 5,6% cette année et un prolongement à 4,6% en 2022 peuvent nous sembler plutôt optimistes vu d'Europe Continentale. Il en est de la situation économique comme de celle de la santé : on a l'impression d'être, au mieux, en retard, au pire, à l'écart de ce qui se passe. Pourtant, il n'y a pas de débat : avec des produits intérieurs bruts chinois et américains 2021 attendus en hausses respectives de près de 9% et près de 8%, la planète est sur une tendance forte. Et la convergence des deux premières économies mondiales vers les 5,5 – 5, 8% en 2022 donne la mesure.
Evidemment, derrière cet alignement de chiffres, les fondamentaux sont très différents. La Chine retrouve ses tendances, portée par sa démographie, par les parts de marché incontournables de sa production, par la maîtrise économique et financière du pouvoir et, plus encore sans doute, par son régime totalitaire qui va lui permettre d'imposer la mutation de son économie l'année du centième anniversaire du parti (cf. notre dernière chronique). La gestion monétaire et budgétaire n'est pas vraiment modifiée par rapport à la période pré-Covid.
Les États-Unis sont placés dans un environnement autre. Cela posé, le mix de politique monnaie-Budget est mobilisé : après avoir traité, par des injections budgétaires massives et une politique monétaire restée ultra-accommodante, les aspects économiques directs du blocage des économies, les fonds publics vont être activés dans une mobilisation du type et des proportions de reconstruction d'après une guerre.
Les prévisions pour l'économie américaine ne doivent rien à l'incantation. Administrations Trump et Biden confondues, c'est plus de 20 % du PIB qui auront été versées par l'État au profit des agents économiques. Les programmes se déroulent sur un rythme accéléré : au cours du seul premier semestre de cette année, l'effort budgétaire va approcher 10 % de PIB annuel.
L'objectif est bien une reconstruction, tirant en quelque sorte les leçons des années 1930 et des années 1950. La référence est là. L'Amérique se donne des moyens avec le grand objectif de relever sa croissance potentielle. Restaurer la dynamique propre d'une économie libérale avec une démographie qui, sans peser, n'est pas un catalyseur, le pari est posé. Il s'agit de distribuer cette manne budgétaire de façon à porter les mutations technologiques et les objectifs climatiques tout en réduisant les déséquilibres internes.
La recherche économique a jugé que le creusement (pour ne pas dire l'envolée) des écarts de revenus ou de patrimoine est un facteur premier de l’essoufflement de la croissance potentielle américaine, traduite par l'inflexion de la croissance nominale dès 2019 malgré les plans fiscaux de soutien pris sous l'administration Trump.
Des facteurs de crise peuvent rendre inopérantes voire contre-productives les dépenses budgétaires : les déséquilibres ne concernent pas simplement les écarts entre les citoyens, ils sont politiques, internationaux, monétaires, financiers, économiques.
C'est sans doute ce qui pourra motiver une politique monétaire moins laxiste, même si la Réserve Fédérale va, bien sûr, financer les déficits publics. Mais c'est aussi ce qui montre la nécessité d'un effet d'entraînement sur une zone économique à la traîne : l'Union Européenne.
L'actualité du moment en Europe, c'est la déroute vaccinale de l'Union. On a un peu de pitié pour nos gouvernants qui, semaine après semaine, sont contraints à annoncer des évolutions qui ne sont pas au rendez-vous. Ce n'est bien sûr qu'une question de délais et le Continent va rattraper les pays de l'OCDE. Il y a de la marge : pour arriver au taux de 60 % de vaccinés qui permettra le retour à un fonctionnement normal de l'économie, il faudra, en France, pratiquer des injections sur 30 millions de personnes.
Le retard est patent : l'économie américaine est repassée au-dessus de son niveau d'avant crise, l'Europe est à 95 % et devrait le retrouver début 2022. Ce retard aura un coût. Il devrait imposer de revoir à la hausse des plans budgétaires : les dommages seront plus forts, les sorties d'aides artificielles (chômage partiel, compensations de chiffre d'affaires, « cadeaux » et prêts divers,...) plus complexes, pour bâtir une transition vers la dynamique propre des économies.
En chiffres, cela signifie que les efforts publics de l'après-Covid doivent se rapprocher des standards américains.
On avait salué à juste titre l'annonce en juillet dernier d'un plan de relance économique commun à l'Union Européenne, basé sur une solidarité de la dette attachée et du renoncement partiel aux fameuses règles de Maastricht pour les budgets des États membres. Aujourd'hui, on comprend que 750 milliards d'euros, c'est à dire 6,7 % du produit intérieur brut 2020, ce ne pourra être qu'un premier pas. Le prix direct du prolongement des blocages assèche les possibilités de déficits pour amplifier le plan telles qu'elles avaient été envisagées il y a huit mois, quand les prévisionnistes imaginaient que le plus dur était passé.
Il faudrait doubler d'une façon ou d'une autre l'effort (moins du tiers de celui des Américains en proportion de la richesse nationale) emporté avec tant de difficulté. Ce ne sera pas simple, mais le cycle asynchrone qui laisse l'Europe continentale de côté va l'imposer. Alors que les gouvernements et la Commission Européenne avaient basé leur action sur un scénario d'alignement des planètes, le décalage est maintenant certain. Les efforts budgétaires pour rattraper le retard vont obéir à un calendrier très contraint : s’ils devaient donner leurs pleins effets au moment où les États-Unis cadraient la croissance par une politique monétaire moins laxiste, la relance pourrait tourner court.
On aura observé qu'au-delà des questions de montants, les ambitions sont communes : c'est la croissance potentielle qui est visée. Le calendrier électoral allemand, puis français et même italien ne rendent pas cette direction vers un plan-bis très facile. Il est cependant incontournable. La gestion sanitaire n'a pas fait beaucoup pour la popularité des instances de l'Union Européenne, mais que ce soit au travers de déficits nationaux et de la fin des critères de Maastricht ou de ce plan-bis, sans doute des deux, elles ont le devoir de restaurer leur crédibilité en se mettant au goût du jour.
Après avoir suivi les États-Unis depuis 1980 dans la stratégie ultra libérale de l'école de Chicago, l'UE va devoir se placer dans un univers de rééquilibrages et de déficits budgétaires.
Pour cela, pour passer la jointure, nous avons un atout : la Banque Centrale Européenne qui semble avoir fait le virage théorique et ne fait que renforcer son discours et ses actions de soutien à l'économie. Un bon point avec cependant de vrais obstacles subsistants. La cour constitutionnelle de Karlsruhe qui permet à l’Allemagne de s’affranchir des décisions de l’UE s’est déjà manifestée. Sans la politique, la gestion monétaire ne peut être opérante que pour un temps limité.